b- Dimension normative 

La société Solidere, chargée de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, a eu l’idée de créer un “jardin du pardon” au cœur même de la cité. Constitué de cèdres, d’oliviers et d’arbres fruitiers, entourant un bassin, ce jardin comportera des vestiges archéologiques datant de quelques milliers d’années. Il sera situé dans un quartier où s’élèvent plusieurs lieux de cultes représentant les trois religions monothéistes, illustration concrète du caractère multiculturel de la ville. Entre la place de l’Etoile et celle des Martyrs, un petit coin de paradis de 2300 m2 verra le jour d’ici à 2003. L’expression d’une conscience morale dans un Liban moderne, loin de toute considération politique ou confessionnelle.

Le jardin du pardon symbolise la nécessaire réconciliation entre les protagonistes d’un conflit sanglant, laquelle ne peut se faire en éludant les drames anciens, mais en s’efforçant d’en comprendre l’origine et de pardonner à ceux qui en furent responsables. C’est le message que veut transmettre cette réalisation, massage fraternel qui semble bien accueilli par la communauté libanaise. Des éléments intemporels, symbolisant le Liban et sa beauté dans l’espace et le temps, affirment l’identité propre de chacun de nous : le Cèdre est le signe de la grandeur morale; l’olivier, de la joie et de la prospérité; le cyprès, du courage; le pin, de la sagesse ; le chêne, de la force vitale et le laurier, du succès. Des pantènes de fleurs, à dominante rose, jalonnent le parcours et évoquent les senteurs des jardins islamiques, grec et romain. En touche finale, l’eau, qu’elle soit artificielle ou qu’elle provienne de la pluie, flatte l’ouï à travers la gamme de sons. Ainsi, lorsque Beyrouth deviendra un centre commercial actif, il sera bon aux visiteurs de venir s’y refugier dans la sérénité.

‘“C’est un endroit de coexistence et de guérison … comme une invitation, un ferment de la réconciliation…” déclare M. Oussama Kabbani372, membre du comité responsable de ce projet, urbaniste créateur et manager du département du planning de la ville pour Solidere. “Le Liban sort d’une guerre intestine qui a profondément marqué ses citoyens. Il est temps de pardonner. Pardonner qui ? Il n’y a pas de règle. Pardonner en général, réfléchir un peu plus profondément pour savoir à qui il faut pardonner. Le jardin est une invitation ouverte de réflexion.”’

Si on analyse l’idée du jardin du pardon, on se rend compte tout de suite de la politique voulue à travers un tel aménagement : un espace public, un jardin public qui symbolisera un premier pas de réconciliation entre les Libanais : un jardin public qui groupera tous les beyrouthins hors de leurs appartenances confessionnelles pour un Liban à tous les Libanais. Est-ce que l’idée d’un tel jardin suffit-elle d’inciter les communautés à se réconcilier et à se regrouper de nouveaux après plusieurs années de guerres ? Mais, avoir pensé un tel jardin, représente une politique d’aménagement qui favorisera les espaces publics en dépit des espaces communautaires, et même un tel titre défendra aussi un usage communautaire, et invitera tous les Libanais à se regrouper et de se réconcilier. Enfin, un tel jardin sera-t-il accepté par les habitants de la ville, surtout qu’il les invite à surmonter le passé et les années de guerre pour un message très profond, le pardon.

Notes
372.

Magazine, 21 avril 2000, interview préparé par Catherine Abboud .