b- Dimension normative :

Spatialement parlant, cette place n’est plus qu’un espace vide qui attend son aménagement selon des plans dessinés et conçus par Solidere…

La place des Canons est incluse dans le projet de reconstruction du centre-ville confié à Solidere : elle sera aménagée dans la 2èmeétape du projet, déjà commencée il y a quelques mois : durant cette 2èmeétape, l’aménagement final de la place des Martyrs sera exécuté. Des études et des projets préliminaires des parcs de stationnement souterrain place des martyrs et près du Sérail (environ 2000 emplacements) sont entamés. La place des Martyrs sera réaménagée d’une façon nouvelle (voir les propositions

d’aménagement de la place) : un tunnel rectangulaire ouvrant sur la mer suivant un axe piétonnier entouré de routes bordées d’arbres: ce nouveau tunnel fera un percé vers la mer et ouvrira à des perspectives infinies.

L’idée de l’aménagement, c’est donc d’ouvrir sur la mer la place des Martyrs et qui n’est pas nouvelle : elle figurait déjà sur le plan Danger de 1932. L’aménagement de la place des Martyrs fera l’objet d’un concours international. La célèbre statue des martyrs, précédemment érigée au centre de la place des Canons, sera placée entre deux avenues à circulation rapide : elle risque donc de perdre sa fonction symbolique, celle de signaler un point fort de la cité dans une ville qui cherche des repères urbains et des espaces de rencontres.

Symboliquement parlant, cette place est morte, elle est devenue le nouveau « martyr ». Il me semble que la statue qui va prendre sa place au centre du site représentera dorénavant un nouveau martyr, l’espace public.

Ainsi, et contrairement aux objectifs annoncés dans le Schéma Directeur Vert de Solidere, en particulier celui de créer des espaces publics ouverts à tous les beyrouthins et répondant à leurs pratiques sociales, ce projet semble affirmer d’autres intérêts et représentations privées.

Il faut attendre l’aménagement de cette place, voire de cette nouvelle « Avenue », pour voir dans l’avenir quelles types de pratiques et d’usagers va-t-elle abriter…

Bien que sa nouvelle forme ne semble pas privilégier une vraie appropriation sociale des beyrouthins…

Reste à noter que ces dernières années, une nouvelle-ancienne fonction commencé à émerger d’une manière naturelle : la place comme lieu de manifestations politiques de tout horizons : des manifestations contre ou avec le pouvoir, de droite et de gauche, des chrétiens et des musulmans…Une dimension politique qui marque le symbole fort de ce lieu, un symbole lié avec la mémoire du lieu qui ne semble pas avoir été rasé avec les coups de pioches de Solidere.

En effet, les responsables de ce projet parle d’un réaménagement de cette place tout en réinventant les mémoires de ce lieu :

‘«  La place des Martyrs constitue l’exemple le plus spectaculaire. Cet espace a joué, tout le long de ces cent dernières années de l’histoire de la ville, un rôle central comme lieu de sociabilité. Tous les aspects de la joie, de la tristesse et de la révolte collectives s’y sont manifestés, et selon diverses intensités. Ces manifestations n’étaient que des formes de l’appropriation de l’espace par le public par la population, voire par l’Etat. »377

Madame Ghoussainy parle d’une mémoire individuelle et collective qui refuse d’abandonner et d’oublier l’espace bien qu’il soit complètement gommé de son cadre urbain en l’attente d’un éventuel réaménagement.

Notes
377.

GHOUSSAINY N., « espaces publics et patrimoine dans le projet de reconstruction du centre-ville de Beyrouth », op.cit., p.95..