a- Dimension cognitive 

Ce projet part d’une image souhaitée, celle de la reconstruction d’une identité perdue de la ville : l’identité arabo-ottomane et ses espaces publics…

Il tente répondre à la question suivante : dans quelle mesure peut-on reconstruire les souks arabes dans une approche moderne tout en respectant et rappelant les spécificités historiques du lieu ? Mais cette question semble paradoxale et largement critiquée par les chercheurs, historiens et professionnels de l’espace : en effet, les souks répondaient à des pratiques sociales en relations avec un certain mode de vie, avec une certaine époque : alors qu’actuellement ces pratiques ne semblent plus exister dans cette ville, au moins dans sa totalité…En voulant reconstruire ces souks à l’oriental, les responsables proposent de construire un grand centre commercial vide de son contenu car il abritera d’autres éléments et pratiques que celles désirées…Sans parler du modèle communautaire qui existait dans les souks arabes…D’où une certaine ambiguïté entre les objectifs proclamés dans ce projet, en particulier ceux qui sont en relation avec le patrimoine d’une part, et la réalité actuelle du site de l’autre part…

‘« Mais le plus stupéfiante encore est la reconstruction ex nihilo, et sous l’apparence de l’expertise de quelques urbanistes, de cadres urbains dits traditionnels, tels les souks de Beyrouth ou ceux de Sayda, mais sans études historiques et architecturales préalables de leur formation, leur forme et leur fonction antérieures, ainsi que sur leur utilité future. »380

Cet espace public fermé a ainsi ouvert un grand débat sur le patrimoine et sur les mémoire des lieux sur Beyrouth : bien que l’urbaniste en chef du projet, Jade Tabet soit l’un des opposants farouches au projet global, prônant ainsi l’intégration du patrimoine, il fut embauché pour « calmer le débat ». Il a pu ainsi, et en s’appuyant sur le comité scientifique international et sur les responsables des fouilles assumer un rôle positif envers l’archéologie et la mémoire du lieu.

Cependant, et contrairement à d’autres sites du centre-ville, rasés complètement au profit de l’archéologie, c’est cette dernière qui est relativement sacrifiée ici au profit de la mémoire contemporaine :

‘«  L’impact psychologique, sur une grande partie de la population, de perdre leur souk Ayass et le square Intabli ne devrait pas être sous-estimé.381

Paradoxalement, ces mémoires défendues ont été complètement ravagées dans le cadre du même projet perdant ainsi les deux mémoires antiques et traditionnelles du lieu. Une mémoire utilisée semble-t-il plutôt comme objet voire comme symbole pour défendre un certain projet de centre commercial avec ses parkings, et tout cela au nom du patrimoine et de ses espaces publics traditionnels.

Ce projet nous montre l’usage et la définition assez divergente chez les différents acteurs, chacun prônant un objet, un symbole ou un esprit de lieu pour désigner une spécifcité locale à garder…Reste à voir l’usage de ce nouvel espace public fermé, qui ressemble plutôt à un centre commercial moderne qu’à un souk arabe traditionnel.

Figure 93. Vue axonométrique du projet de reconstruction des souks au centre ville de Beyrouth.
Figure 93. Vue axonométrique du projet de reconstruction des souks au centre ville de Beyrouth. Source : Solidere.

Notes
380.

DAVIE M., « enjeux et identités dans la genèse du patrimoine libanais », op.cit. p.66.

381.

AWADA-JALU S., « de l’usage de la mémoire dans la reconstruction », in AKL Z., DAVIE M.F., « questions sur le patrimoine architectural et urbain au Liban », ALBA, URBAMA, 1999, p.85.