1- Le Plan Vert : absence de démocratie locale ?

Comme nous avons vu dans les chapitres précédants, le Plan Vert a été préparé par des spécialistes de l’espace, en particulier par des paysagistes en collaboration avec la municipalité de Beyrouth et avec le Conseil Régional Ile-de-France.

Ce Plan Vert, bien qu’il soit élaboré en coordonnant avec la municipalité de Beyrouth tout en se basant sur quelques enquêtes de terrain, fut essentiellement le fruit de quelques spécialistes de l’espace dans une logique de plan plutôt que de projet.

En effet, cette logique de plan et d’acteurs résume en gros les pratiques de l’urbanisme au Liban ; ce sont toujours des « techniciens » qui préparent les projets avec une vision de plan plutôt sectorielle que multidimensionnelle ; ce sont majoritairement les architectes qui s’occupent de cette tâche qui se résume par un travail bureaucratique figé et sectoriel.

Ainsi, la plupart des municipalités libanaises qui ont des capacités humaines et économiques travaillent en partenariat avec des bureaux privés spécialisés ; et ce qui s’est passé avec le Plan Vert ne semble pas être très loin de ses pratiques, surtout que c’est une agence de paysagisme privée étrangère qui s’est occupée du plan.

Cette pratique montre qu’il y a un problème dans la culture urbaine locale, où tout le monde semble avoir délégué les enjeux des projets urbains aux spécialistes, élus et techniciens, comme si la ville devrait toujours se modifier selon leurs visions. Ainsi, le public s’est retrouvé depuis longtemps, voire depuis le Mandat français, éloigné de ces tâches qui concernent le travail de professionnels : cette vision qui s’inspire de l’urbanisme « fonctionnel français des Modernistes » semble donner une certaine légitimité à cette pratique courante au Liban.

D’autre part, un deuxième enjeu s’ajoute à cette manière de « voir les choses » : l’absence de vraies relations entre l’individu et sa municipalité : le problème d’une vraie citadinité. En effet, cette relation a été largement touchée pendant les années de guerre, surtout que depuis, il n’y avait pas eu de nouvelles élections municipales : ces dernières ont eu lieu depuis quelques années…et la décentralisation semble très loin d’être mature. Or selon notre étude conceptuelle, la plupart des projets urbains en Occident sont menés aujourd’hui par les collectivités locales qui essaient de jour en jour de faire participer les habitants et la société civile.

Ainsi, et pour ces deux raisons, il me semble naturel d’évoquer l’absence de la participation des beyrouthins à l’élaboration du Plan Vert : le débat public n’existe pas ; les comités de quartiers n’existent pas ; les instances de médiation n’existent pas ; et la municipalité de Beyrouth, comme la plupart des municipalités libanaises, est très loin de jouer ce rôle de médiateur entre les habitants et les professionnels d’une part, et entre les habitants et l’Etat d’autre part.

En effet, la « médiation » semble fonctionner ailleurs, par l’intermédiaire des communautés qui continuent jusqu’à nos jours à représenter les intérêts de leurs partisans.

Mais cela ne signifie pas une absence totale des relations entre les beyrouthins et leur municipalité : en coopérant avec le département des espaces verts de la municipalité, plusieurs individus ou groupements ont apporté des soutiens humains et économiques afin d’augmenter les espaces verts de leur capitale, en particulier dans leurs proximités…

Mais ces types de coopération restent très modestes et ne dépassent pas l’échelle de proximité, voire du quartier d’une part, et des mesures ponctuelles d’autre part.

D’après cet exemple nous sentons bien qu’on est très loin à Beyrouth du principe de « gouvernance » largement privilégié en Occident.