2- Le Schéma Directeur Vert de Solidere : absence d’une culture urbaine participative 

Quant au Schéma Directeur Vert de Solidere, et contrairement au Plan Vert, il correspond à une politique globale à l’échelle du centre-ville. Cette politique est menée depuis 10 ans par une société privée Solidere, largement critiquée depuis sa « naissance ».

Cette privatisation du centre-ville a été défendue par ses acteurs car elle présentait plusieurs atouts et bénéfices :

Elle résout les incapacités techniques et économiques de l’Etat à exproprier et à remodeler les terrains en créant une instance regroupant à la fois les ayants droits et les bénéficiaires.

Elle se présente comme une méthode rapide et efficace qui surmonte toutes les mesures administratives et toutes les complications législatives surtout que la loi interdit l’expropriation publique hors de l’intérêt public.

Or cette société foncière fut largement critiquée surtout qu’elle excluait une vraie participation de tous les acteurs concernés, en particulier la municipalité, les habitants, les ayants droits et l’Etat :

La privatisation du centre semblait contredire la loi qui défend le droit des propriétés privées privilégiant ainsi l’intérêt privé au détriment de l’intérêt public : cette confusion d’intérêts est renforcée par l’absence d’un vrai rôle de l’Etat d’une part et de la municipalité d’autre part ; alors que selon Solidere, la société est un objet d’intérêt général même si son statut est privé.

La modernisation« à la table rase » fut largement contestée par le public beyrouthin en général et par les professionnels en particulier ; ce nouveau référentiel qui tente changer l’image de la ville fut modifié dans ses détails ( abandon du plan de détail Eddeh après les larges contestations sur le patrimoine ), mais maintenu dans ses grandes lignes. ( le Schéma Directeur ne fut pas modifié ).

Ainsi, pour ces deux raisons, le changement d’acteurs, et le changement de référentiel, la société civile beyrouthine entreprit plusieurs méthodes afin de faire arriver sa voix :

L’association des commerçants beyrouthins a envoyé au gouvernement, et dès 1992, une demande de modification du projet de constitution de la société privée contestant son exclusion surtout qu’il était le représentant légitime des commerçants du centre-ville.413

Les grands propriétaires et locataires se sont regroupés dans un comité nommé « comité de défense pour les ayants droits du centre-ville » et ont largement mobilisé leurs contacts contre la création de la société privée.

Le Conseil Supérieur de l’Urbanisme critiqua le Schéma Directeur proposé par Solidere : selon lui, il va changer les bases sociales du centre-ville d’une part ; et qu’il ne s’intègre pas dans une vision d’ensemble, ni à l’échelle de la ville municipe, ni à l’échelle de l’agglomération.

D’autre part, plusieurs architectes ( Jade Tabet, Assem Salam, Ziad Akl…) se sont regroupés afin de proposer une nouvelle politique alternative à celle qui a été adoptée : cette politique se basait sur les tâches suivantes :

Ainsi, toutes ces contestations s’ajoutent à d’autres comme celles de May et Michael Davie, de Nabil Beyhum, de Jade Tabet…et d’autres chercheurs et professionnels, et qui convergent vers un seul objectif : défendre l’intérêt général de la ville en tissant la ville avec la ville et non pas sans la ville.

Malheureusement, ces contestations n’ont pas changé grand chose, en particulier en ce qui concerne la méthode choisie et qui exclut toute vraie participation de la société civile ; sans nier qu’ils ont amené la société à modifier son plan de détail en renforçant partiellement la préservation de spécificités locales et du patrimoine de la ville.

Ainsi, le Schéma Directeur Vert fut préparé dans ce contexte par des professionnels sous les objectifs du Schéma Directeur général excluant toute participation extérieure, à la fois dans les grands objectifs et dans les détails des projets proposés.

Ces nouveaux espaces publics sont ainsi aménagés selon la vision des techniciens, qui semble plutôt sectorielle que multidisciplinaire : aujourd’hui, on sent une vraie nécessité de créer une instance de participation où les gens seront informés, consultés et concertés, afin de faire revivre les nouveaux espaces publics proposés et aménagés ; c’est plutôt la dimension sociale qui semble manquer dans la plupart des nouveaux espaces publics proposés…

Or la vision technocratique et esthétique de la ville est venue pour répondre à une autre économique, gérée par des groupes financiers qui ne voient dans Beyrouth qu’un site potentiel pour leurs affaires selon MF. Davie.414

Or dans ce projet, la participation des habitants et ayants droits fut « économique » comme une « bonne affaire » à travers les actions de la compagnie foncière donnant l’illusion d’une démocratie participative : ce phénomène remplaça les propriétaires par des groupes financiers ; d’où la première exclusion du public beyrouthin de ses droits comme propriétaire ou ayant droit dans la ville qui est devenu un simple détenteur de quelques actions fictives…

Or selon MF.Davie, la négociation qui se déroula au début du projet se résuma en deux tâches uniques : un volet économique avec les ayants droits et quelques groupes financiers sur les bénéfices de chacun ; et un volet esthétique avec quelques particuliers, chercheurs, techniciens…sur l’aspect historique de la ville, voire sur son image physique et celle de ses espaces publics, selon des modèles imaginés plutôt que vécus…415

Ces quelques remarques montrent bien qu’il n’y a pas eu une vraie concertation avec le public beyrouthin en particulier et libanais en général ; il y a eu quelques informations au grand public à travers des expositions, excluant toute consultation ou concertation, excluant toute enquête publique, excluant tout atelier commun de travail…

Bref, selon cette expérience, un deuxième problème de relation semble s’affirmer : l’absence de relation entre Solidere et le public beyrouthin, entre le maître d’œuvre et d’ouvrage d’une part et les habitants d’autre part : l’absence d’une vraie culture urbaine qui pourra reconnaître les compétences du public en premier lieu et l’associer à sa démarche en deuxième lieu : ceci restera toujours absent tant qu’il n’y a pas d’instances de médiation, tant qu’il n’y a pas de vrais médiateurs…

Or cette démarche de projet fut bien rapidement appliquée à cause d’un facteur très important : l’absence en gros des intérêts confessionnels dans le centre-ville, ou l’absence d’une vraie territorialisation confessionnelle dans le centre-ville, devenu un no man’s land depuis une trentaine d’année...

Selon cette expérience, on sent l’absence d’un vrai projet de société, d’un vrai projet urbain, d’un vrai projet de partenariat avec toute la société civile de la ville ; cette société qui s’est ainsi retrouvée comme un public spectateur qui ne peut que subir une logique d’en haut, en raison d’une absence d’une vraie médiation intellectuelle.

Et nous continuons les exemples afin de comprendre cette absence imposée de ce public qui, n’ayant plus de droit dans son centre ne semble plus compétent aux yeux des responsables pour le faire associer à leur démarche : comme si la compétence du public et ses droits se résumaient seulement par des enjeux physiques et matériels gommant ainsi toute compétence sociale…

Notes
413.

voir le journal Al-Safir du 10/10/1992.

414.

DAVIE M.F., « Beyrouth : Quelle ville pour quel citoyen ? » Institut du Monde Arabe, Paris, Séance du 19 mai 1994, « la reconstruction de Beyrouth ».

415.

DAVIE M.F., « Beyrouth : Quelle ville pour quel citoyen ? », op.cit., 1994.