2- Analyses 

a- Quelle participation sans démocratie locale et nationale ?

En analysant les 3 références d’aménagement d’espaces publics, nous pouvons conclure qu’ils manquent d’un facteur-clé rarement pris en considération : la participation des habitants et des associations locales.

Ces derniers, étant écartés du processus d’aménagement, soulignent l’incohérence entre leurs attentes d’une part, et les référentiels proposés d’autre part.

Or selon notre étude, nous avons relevé un premier élément d’interprétation de ce problème, celui d’une crise d’une démocratie locale plus participative :

En effet, après dix ans de fin de guerre locale, les autorités publiques continuent toujours à mettre « la main » sur les collectivités locales malgré les grandes actions élaborées en leur faveur : la création d’un ministère des collectivités locales et les élections municipales qui se déroulées il y quelques années ont affirmé une décision politique assez ferme : consolider la décentralisation.

Or si nous approfondissons notre recherche sur la crise de démocratie locale et nationale actuelle au Liban, nous pouvons relever quelques handicaps qui continuent toujours à définir les règles du jeu :

L’absence de volonté de partager le pouvoir et la décision : le communautarisme politique est la seule référence de travail chez la plupart des politiciens libanais ; ceci empêche la possibilité d’ouvrir une marge à la participation des citoyens et citadins dans les projets ou politiques urbaines, sociales, politiques, économiques…La volonté de partager le pouvoir n’existe pas ; au contraire, chacun s’attache à son poste, en essayant de penser à la place des gens qu’il représente, au moins théoriquement : en résumé, la démocratie est très loin d’être pratiquée au Liban, quelque soit le domaine d’intervention.

La « culture » et la « pratique » de concertation ne sont pas assez développées au sein des institutions locales ou nationales ; ainsi, l’avis des gens et des acteurs civils ne sont pas pris en compte, voire même pas écoutés ; en effet, et pour la plupart des fonctionnaires, ils ne sont pas habitués à écouter les propositions des "autres », en particulier ceux qui ne se manifestent pas malgré leur implication directe dans des projets ou décision et politiques locales : ce problème d’écoute s’explique par un deuxième handicap, le manque d’éthique de concertation, d’un document juridique qui pourra les engager dans vraie dynamique de concertation.

L’absence d’une vraie concertation s’explique ainsi par une absence d’une référence de « pratique » de la concertation, voire d’une charte de participation qui fixera les normes, les objectifs et les outils de la concertation.

Dans le SDAU RMB par exemple, la référence de la concertation était basée sur le consensus communautaire, où toutes les confessions devraient se concerter, afin d’élaborer un travail collectif : mais si nous analysons cette recherche de consensus, on voit très bien que les habitants et associations locales n’ont pas été concertés : ils ont été remplacés par des techniciens « communautaires », voire par des professionnels représentant les communautés et qui ont travaillé ensemble avec les services de l’Etat :

Aucune information descendante ne fut transmise par les chargés du travail : la population ne fut pas informée des décisions ou intentions des techniciens et élus.

Aucune information remontante de la population autre que celle diffusée par les techniciens représentants les communautés n’a alimenté le travail.

Aucune consultation, ni concertation n’a engagé un dialogue avec la population afin de construire un intérêt général partagé et non pas imposé.

Bref, la communication à travers tous ses niveaux ( information, consultation, concertation, coproduction ) était absente hormis les techniciens qui supposaient représenter les communautés, et plus clairement, les chefs des milices confessionnelles de l’époque…

Quant au Plan Vert, il a même ignoré la participation des beyrouthins, laissant très peu de place à la concertation. Ceci s’explique par un manque de volonté et de culture de référence de concertation au sein de la municipalité, où la concertation si elle a lieu, se réduit à un travail de consensus entre des intérêts privés ou communautaires : en effet, aucun document de référence pour la concertation n’existe au sein de la municipalité où le travail bureaucratique classique et le sectarisme des tâches et des disciplines continue à imposer les règles du jeu ; d’autre part, et selon notre analyse des mesures d’accompagnement entreprises par le service espace vert de la municipalité, ce dernier coopère avec les habitants arbitrairement et selon les opportunités sans qu’il y ait un certain document précisant à la fois aux habitants et aux fonctionnaires les modalités et les outils de la participation. Ainsi, on peut parler parfois de quelques gestes d’information du public, de consultation ( à travers les associations civiles ) et très peu de concertation.

Enfin, en ce qui concerne le SD Vert de Solidere, la participation était contrariée par l’appropriation du projet par une société privée chargée de définir l’intérêt général : ainsi, parler de démocratie locale dans ce cas était et reste très loin de la réalité, tant que l’intérêt public reste dans des « mains » privées et très peu encadré par les autorités publiques : l’Etat et la municipalité restant à l’extérieur des grands choix et décisions, le projet urbain s’élabore et prend place sans la ville, sans les habitants.

D’autre part, les initiatives d’échange qui s’élaborent ici et là ne sont pas liées entre-elles par aucune référence ou instance de médiation : l’intérêt général semble ainsi se construire sans référence ; ainsi, l’information quand elle existe ne circule pas entre les différents espaces de débats existants : il n’y a pas de coopération entre les différentes échelles de la ville, en commençant par le quartier, tout en passant par le centre-ville, jusqu’à arriver aux limites municipales et celles de l’agglomération.

Bref, il n’y a pas de solidarité territoriale qui pourra mener vers la construction d’un seul intérêt général…

Cette crise de culture démocratie participative existe à Beyrouth à différentes échelles et s’accompagne par un deuxième type de crise : une crise d’une culture urbaine collective.