Comprendre les usages et les différents enjeux de la place de l’Etoile ne peut-être assuré sans une présentation des monuments et vestiges historiques qu’elle regroupe, en ce qu’ils portent en terme de représentations.
Des monuments et des vestiges historiques qui remontent jusqu’à plus que 2000 ans, jusqu’au temps des romains. Ces éléments historiques déjà présentés dans l’aperçu historique nous tracent l’intérêt patrimonial de ce lieu.
En effet, les vestiges archéologiques découverts ces dernières années témoignent de la présence du Forum romain de l’ancienne ville romaine ( le décumanus romain ). On espérait bien retrouver des traces de la fameuse école de droit de « Beryte », la plus célèbre à l’époque romaine. Après la guerre, une équipe de l’université libanaise a dégagé une partie du Cardo Maximus près de l’église Saint Georges des orthodoxes. Cette voie romaine parcourait la ville de Beyrouth.
Ce lieu est entouré aussi de monuments datants de l’époque des Croisés, comme l’ancienne église Saint Jean des croisés transformée en mosquée à l’époque arabe, ( la grande mosquée Al Omari ) et d’autres édifices religieux datants de l’époque ottomane. (cathédrale Saint Georges des Maronites, des orthodoxes, églises Saint Elias…)
Ensuite, et sous ce lieu s’engageait le secteur méridional de la ville arabo-ottomane intra-muros, avec ses ruelles, ses marchés et ses souks : un système d’espaces publics orientaux qui reflétaient des pratiques sociales agissant à leur tour sur les formes des espaces, et ceci sans aucune planification.
Cette partie de la ville et de son histoire fut complètement rasée avec l’époque du Mandat français qui complétait le processus de modernisation initié avec les Tanzimats ottomanes : en se référant aux normes en vogue à l’époque en France, un système radiocentrique fut imposé dans les années trente, remplaçant ainsi la ville arabe : la place de l’Etoile.
Cette époque de l’histoire de la ville a été largement conservée et réhabilitée dans le cadre du projet urbain actuel : ceci a été largement critiqué par plusieurs chercheurs et professionnels de l’espace, jugeant que le projet actuel a rasé non seulement des monuments historiques, mais des mémoires de la ville, voire une grande partie de son identité, tout en privilégiant l’époque du Mandat sur les autres époques.
‘« Face à la mémoire « officielle », qui réduit le passé à une collection de morceaux choisis » destinés à alimenter la spéculation immobilière, face aux mémoires identitaires qui s’efforcent de le transformer en argument rhétorique destiné à justifier le rejet de l’autre, est-il encore possible d’imaginer une mémoire qui se nourrisse des mémoires diverses constituées au cours de l’histoire, et qui ont marqué les moments forts du vivre ensemble » ?417 ’Ainsi, ce lieu qui représentait le modernisme imposé à l’époque est devenu actuellement le cœur historique de la ville. A noter que cet urbanisme « importé » fut confronté à des spécificités locales et à des enjeux locaux, s’adaptant ainsi partiellement aux réalités du lieu. ( l’étoile ne fut pas achevée à cause des bâtiments religieux qui empêchaient la construction de toutes ses ailes).
Selon nos lectures et analyses de terrains, quelques éléments de synthèse nous semblent pertinents pour comprendre l’état actuel de cette place :
Cette place remonte à l’origine du mandat français dans sa forme actuelle, et à des origines beaucoup plus lointaines dans sa localisation, et elle n’est pas la création du projet urbain actuel : sa localisation géographique actuelle et sa forme se justifient par des enjeux socio-politiques historiques qui ont marqué la ville et sa formation depuis plusieurs siècles.
Cette place fut avant l’époque du Mandat français le lieu d’un espace public traditionnel, à savoir les souks arabo-ottamns : des espaces publics complètement rasés dans ce lieu avec le Mandat français.
Ce lieu qui regroupe une diversité d’édifices religieux ( cathédrales, églises et mosquées ) représente dorénavant un symbole culturel fort : la place comme centre de réconciliation et de rencontre entre les différentes communautés.
Cette place et son environnement ont vécu plusieurs étapes qui l’ont marqué : l’époque romaine qui se présente aujourd’hui à travers des vestiges archéologiques ou monuments historiques et des symboles forts ( l’école de droit) ; l’époque arabo-ottomane qui a été relativement rasée, laissant derrière elle quelques bâtiments qui ont été restaurés durant ces dernières années ; ce tissu urbain qui composait la ville durant quelques siècles fut interrompu par le Mandat français : une étape très importante dans l’histoire de ce lieu. Cette étape a radicalement changé l’apparence et les fonctionnalités de ce lieu : époque qui fut complétée par la construction du bâtiment du parlement libanais.
Ces éléments historiques expliquent la forme actuelle de la place ; quant aux fonctionnalités actuelles, elles ont été proposées par les responsables de Solidere : un espace plutôt dédié à la restauration, sans oublier la présence du Parlement qui engendre d’autres types d’usages et de fréquentations.
TABET J., « des pierres dans la mémoire », in TBAT J. ( dir.), « Beyrouth, la brûlure des rêves », Paris, Autrement, 2001, p.73.