d- La place comme centre de pouvoir politique et de manifestation

La place regroupe le siège du parlement libanais et les bureaux des députés, placés au centre, face à l’horloge Abed.

Cela engendre des fonctions politiques qui s’ajoutent aux usages de cette place : des députés, des ministres, des responsables politiques, des ambassadeurs, des hommes politiques étrangers en visite officielle…

Cette dimension politique engendre parfois un mécontentement pour les autres usagers de la place, surtout que cela engendre un déploiement important de soldats au milieu de la place : des forces appartenants à l’armée libanaise, au service de renseignement et de sécurité du parlement ou à la police nationale, ces militaires sont éparpillés dans la place et surveillent les usages et les usagers de la place, les jours comme les nuits.

En effet, nous avons été empêchés de questionner les gens durant nos enquêtes, sous prétexte de « déranger la sécurité du lieu » ce qui a nécessité une permission des responsables militaires : cette dernière nous a été livrée juste aux entrées de la place…

Bien que ce volet assure la sécurité du lieu, cela montre les limites d’usages et d’encadrement qui sont gérés par les militaires : plus d’une vingtaine de militaires éparpillés ici et là dans la place ; comme si l’espace public à Beyrouth n’était pas encore mature et qu’on a toujours peur de l’usage. Cette dimension politique est largement renforcée durant la journée avec la présence des politiciens et députés.

La place regroupe encore des manifestations politiques qui se font chaque fois qu’il y a un sujet sensible : devenu le symbole de l’Etat depuis le Mandat français, la place de l’Etoile attire les manifestants de toutes couleurs politiques et de toutes appartenances confessionnelles. ( bien que tout le monde n’est pas accueilli avec les mêmes façons…) : quelques-uns sont harcelés, arrêtés et frappés ; d’autres sont bien accueillis et encadrés par les militaires...des manifestations contre les actions du régime actuel, des manifestations contre certaines décisions politiques, juridiques, économiques, sociales…En un mot, c’est le symbole de l’Etat qui est représenté dans cette place. ( et pas dans le Palais présidentiel…)

En commençant par les manifestations pour des causes sociales, ce sont plutôt des employés et des ouvriers qui viennent manifester durant la journée : ce type de manifestations qui se fait 2 à 3 fois durant l’année rassemble plutôt des groupes politiques de « gauche », et qui sont partiellement bien accueillis.

Un deuxième type de manifestations commence à s’étendre au centre-ville en général, tout en passant souvent par la place de l’Etoile, les manifestations politiques. La fréquence de ces manifestations est proportionnelle aux enjeux politiques nationaux, arabes et internationaux. Elles peuvent être divisées en deux groupes :

Le premier groupe, de majorité des sympathisants de gauche, de majorité des musulmans ( des sympathisants de Amal, Hezbollah, parties communistes…) qui viennent contester plutôt devant le bâtiment de l’ESCWA. Ce groupe contient souvent un grand nombre de palestiniens ( 10 % environ) et vient manifester pour soutenir la cause « arabe », ou pour défendre « l’occupation » syrienne. Ce type de manifestations est relativement bien accueilli et encadré par les policiers et par des représentants de l’Etat. Il regroupe ainsi souvent des députés et se fait presque régulièrement au moins 1 fois par mois. La plupart des manifestants sont plutôt des hommes et les femmes sont presque peu représentées dans ce type de manifestations. Quant au nombres des manifestants, et selon nos observations de terrain, ils varient entre 1000 et 3000 personnes.

Figure 127. Manifestation politique du 24 mars 2004
Figure 127. Manifestation politique du 24 mars 2004 Source : Annahar, jeudi 25 avril 2004

Le deuxième groupe de manifestations est moins fréquent que le premier, vu ses conséquences et son encadrement : il contient plutôt des sympathisants de droite, à majorité chrétienne. Les manifestants sont à majorité des étudiants ( université Saint Joseph, Notre Dame University, Kaslik, Université Libanaise section 2 ) et regroupent à la fois des hommes et des femmes, contrairement au premier groupe. Ce groupe vient la plupart du temps pour manifester pour la libération du Liban des armées étrangères qui l’occupent.

Ce type de manifestations qui se faisait avant dans les banlieues Nord de Beyrouth, à majorité chrétiennes, commence depuis peu de temps à envahir le centre-ville. Le 14 mars par exemple, un grand rassemblement de ce type ( 3000 étudiants selon les manifestants ) avait été mal accueilli par les policiers mobilisés par des grands nombres (plus que 500 policiers). Cette manifestation a eu lieu u centre-ville vers la place des Canons, car la place de l’Etoile était complètement bouclée de policier et de militaires. Ces étudiants qui venaient exprimer pacifiquement leur mécontentement envers l’occupation syrienne. Et comme chaque fois, ces manifestants sont mal accueillis, avec une certaine agressivité qui ne différencie ni homme ni femme.

Figure 128.Manifestation politique du 14 mars 2004 
Figure 128.Manifestation politique du 14 mars 2004  Source : www.tayyar.org

Une nuance peut être formulée dans ce type de manifestations : son déplacement de la place Sassine et de la région Est de Beyrouth, à majorité chrétienne, vers le centre-ville, le nouveau centre de pouvoir national. Bien qu’elle regroupe les mêmes types de manifestants, le message recherché, et selon les responsables de ces manifestations, est de sortir du cadrage communautaire pour tendre la main à leur confrère : et toujours selon le courant patriotique libre, qui prépare ces manifestations, la neutralité politique du centre-ville symbolise ainsi l’objectif de ces manifestations qui devraient concerner la totalité des libanais, chrétiens et musulmans, et pas une seule partie.