1. Les pouvoirs publics font de l’insécurité routière une cause nationale, des associations se mobilisent.

L’insécurité routière, en France, est un «  scandale  » a déclaré le Président de la République lors des obsèques des pompiers de LORIOL. Le Premier ministre a parlé de «  pathologie nationale  » en ouverture du Comité Interministériel de Sécurité Routière (CISR). Le 14 juillet 2002, le Président avait annoncé qu’il voulait faire de la lutte contre ce fléau un « chantier national », prioritaire de son quinquennat.

Devant un bilan « inacceptable » : 8.000 morts sur les routes chaque année, 150.000 blessés et 5.000 personnes handicapées, Jacques CHIRAC a demandé au Gouvernement d’engager une «  nouvelle politique  » , estimant que «  l’insécurité routière qui frappe si durement les Français est indigne d’un grand pays moderne  » et qu’«  il serait coupable pour les pouvoirs publics de baisser les bras, d’invoquer la fatalité  » . Le Président a par ailleurs «  assigné aux Pouvoirs Publics de rejoindre le plus rapidement possible la situation de nos voisins européens, qui obtiennent de meilleurs résultats dans la lutte contre ce fléau  » .

Jean-Pierre RAFFARIN assurait pour sa part qu’il entendait mettre en œuvre «  tous les moyens » nécessaires pour remédier à «  cette maladie grave de la société française  » .

Sous le Gouvernement précédent, la sécurité routière restait du domaine exclusif du Ministre des Transports. En 1998, Monsieur Jean Claude GAYSSOT déclare « vouloir faire baisser de moitié le nombre de victimes de la route  » , mais, faute de moyens et d’implication personnelle des plus hautes personnalités de l’Etat, la tendance ne fera que s’infléchir.

Nous assistons à un changement radical de la position des pouvoirs publics et des hauts responsables nationaux : le Président réclame une «  action de rupture  », tandis que le Premier Ministre renchérit, annonçant «  un plan de bataille national  » . Pour ce dernier, «  la sécurité routière est une affaire d’État  » . Il exige que tous les départements ministériels l’intègrent désormais dans leur gestion. Mais c’est aussi «  une affaire personnelle qui concerne chaque citoyen dans ses comportements  » et engage sa responsabilité.

Cent cinquante mille jeunes de 18 à 25 ans tués depuis la guerre. Où ? Comment ? Une guerre, un conflit, une épidémie ? Non, c’est le bilan des accidents de la route en France. Il est clair que les accidents sont admis par la plupart de nos compatriotes comme un événement normal de la vie moderne, une épidémie contre laquelle il n’y a pas grand-chose à faire. L’attitude de Pouvoirs Publics, des élus, des dirigeants et des responsables a été pendant des décennies le reflet de l’opinion publique. Jehanne COLLARD, victime d’un accident de la route, avocate de la Fondation Anne CELLIER et Jean-François LACAN, journaliste, ont publié un ouvrage « Le scandale de l’insécurité routière  » . Au cours de l’émission spéciale Vie privée, Vie publique, du 3 mars 2003 intitulée « l’accident de la route, ça n’arrive pas qu’aux autres », ils parlent de «  Ce silence assourdissant des Pouvoirs Publics face à l’insécurité routière. 1   » Néanmoins, l’insécurité routière n’intéresse pas seulement aujourd’hui le chercheur que nous sommes. Les Pouvoirs Publics prennent le problème à bras le corps, des associations se créent et s’expriment dans les médias, des personnalités et des experts apportent un éclairage particulier.

Déplorant cette « routine du malheur », C. GOT constate que « le caractère diffus et familier de l’accident de circulation est un facteur de tolérance. 2  » Loin de nous l’idée de nier la nécessité de prévenir le terrorisme, mais il nous semble qu’il y a un déséquilibre, une disproportion entre les moyens affectés aux événements médiatisés et ceux destinés à la prévention dans le secteur de l’insécurité routière.

Les chiffres de l’insécurité, ignorés par beaucoup, banalisés par la majorité, sont pourtant impuissants à rendre compte de la réalité. Personne ne devrait jamais oublier que ces chiffres, dans leur froideur glacée, masquent une somme de drames individuels, de deuils, de douleurs, qui défie la description. Le bilan est infiniment trop lourd, et l’indifférence avec laquelle notre société accepte les accidents infiniment trop grande. Comment réduire l’holocauste routier ? Nous sommes tous concernés. Cette question s’adresse d’abord à chacun d’entre nous, car nous sommes tous, à un moment ou à un autre, usagers de la route. Même si nous pensons maîtriser nos réflexes (on n’a jamais vu personne se déclarer mauvais conducteur) sommes-nous vraiment sûrs de ne jamais prendre de risques inutiles, ou de ne pas donner à d’autres, moins expérimentés, un exemple qui leur en fera courir ? Donnons-nous aux autres, et tout spécialement aux jeunes, le bon exemple 3 ? Le moment est venu de nous demander si nous accomplissons vraiment ce qui est en notre pouvoir pour empêcher tous ces drames.

La collectivité est aussi concernée, il y va de sa dignité, car elle a été trop longtemps coupable d’indifférence et d’égoïsme à l’égard de ceux des siens qu’elle a laissé tuer et blesser sur la route, alors que, paradoxalement, dans le même temps, elle prône pour chacun le droit de s’organiser entre travail, loisirs, sport, culture. Le temps libre, la qualité de la vie sont devenus des valeurs centrales dans notre société. Sur une radio périphérique, un homme politique connu, donne le signal de départ de la campagne électorale et déclare : « L’Europe que nous construisons est celle du progrès, du temps choisi et de la solidarité.  » Les enjeux sont éthiques, politiques, philosophiques : le premier devoir d’un état moderne est de protéger la vie des citoyens et d’assurer leur sécurité. Tout doit être mis en œuvre pour lutter résolument contre le fléau dramatique que constituent les accidents de la route. Mais les enjeux sont aussi économiques. Il convient de méditer sur les dépenses auxquelles la collectivité doit consentir du fait de l’insécurité routière : les accidents de la route coûtent à la nation cent vingt milliards de francs chaque année. 4 D’une part, lorsque l’accident survient, entre en jeu tout un mécanisme très coûteux de réparation : secouristes, médecins, hôpitaux, assurances essayent à grands frais de sauver ce qui peut l’être, de compenser le reste, rien n’est alors trop cher. D’autre part, un citoyen qui décède du fait routier, est un être social en qui la collectivité a investi. En effet, de la naissance à l’âge adulte, la société assure notamment son éducation et sa formation pendant une quinzaine d’années en moyenne. Pour parvenir à un certain équilibre dans un fonctionnement collectif, il devrait participer à la production de richesses pendant plusieurs décennies. Plus la victime est jeune, plus longtemps la société est privée de ces recettes et plus le «manque à gagner » est important.

Si comme usagers, nous sommes tous responsables des accidents, certains d’entre nous le sont beaucoup plus que d’autres : ce sont tous ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent influer sur leur évolution. Au niveau national, les membres du gouvernement, les parlementaires, les agents des administrations centrales, notamment le Ministère des Transports et la Direction de la Sécurité et de la Circulation Routière. Au niveau local, les élus ont un rôle majeur à y jouer pour doter les réseaux routiers des équipements de sécurité indispensables. Les services techniques compétents définissent les programmes correspondants. L’action de la police et de la gendarmerie est essentielle, mais on est encore loin de la densité de surveillance qui serait nécessaire pour que le respect des règles devienne chez l’usager de la route un réflexe, et soit donc indolore et bien accepté. Les médecins, sapeurs-pompiers et secouristes essaient de limiter les conséquences humaines des accidents. Les juges, pour leur part, ont la charge de sanctionner les infractions en tenant compte à la fois de la nécessité de peines justes envers ceux qui les ont commises, mais aussi exemplaires pour les autres usagers de la route, dont la vie même est en danger. L’industrie automobile a pris conscience de son rôle en matière de sécurité, mais nous pouvons nous interroger sur la pertinence de mettre à la disposition des usagers des véhicules dont la puissance et la vitesse de pointe sont sans commune mesure avec les vitesses maximales autorisées sur la route. Les grandes associations nationales qui regroupent des centaines de milliers d’adhérents, apportent une contribution efficace à la lutte contre l’hécatombe routière. La presse télévisée, écrite ou orale, est une profession dont l’influence est primordiale. Les éducateurs des écoles, où l’enseignement de la sécurité routière est obligatoire de par la loi, ceux des auto-écoles qui forment les futurs usagers de la route et dont la tâche est difficile mais essentielle, sont investis de responsabilité évidente. La sécurité routière est une pratique et chaque praticien a son savoir et son savoir-faire particulier : l’ingénieur automobile, l’urbaniste, le policier, le gestionnaire routier, le moniteur de conduite agissent dans leur domaine de compétence et selon leur spécialité ; «  à cet égard, on pourrait admettre qu’il y ait « des » sécurités routières. 5   »

Notes
1.

COLLARD (J.), LACAN (J-F.), Le scandale de l’insécurité routière : «  à qui profite le crime ?  » Éditions ALBIN MICHEL, 2000.

2.

GOT(C.), La santé, Flammarion, 1992, p. 40.

3.

GERONDEAU (C.), La mort inutile, Editions Plon, 1979, p. 240.

4.

SECURITE ROUTIERE., Bilan annuel, statistiques et commentaires, année 2002, Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière,La Documentation Française, p. 115.

5.

BARJONNET (P-E.), LAGARDE (D.), SERVEILLE (J.), Sécurité Routière, Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées, 1992, p. 15.