2. Les difficultés que l’on peut pressentir à un tel mouvement de baisse des accidents de la route.

La voiture en cause : symbole de puissance.

Le développement de l’automobile n’est toutefois pas neutre : il influence l’évolution des valeurs de la société et des comportements sociaux qui en découlent. Perçue comme symbole de la société technicienne, la vitesse, dont la voiture est un instrument habituel, a une valeur attractive puissante de maîtrise et de liberté : elle associe le temps gagné et le plaisir du jeu. Cet amalgame affectif et idéologique est particulièrement développé auprès de groupes sociaux qui se veulent porteurs d’efficacité : grands rouleurs et consommateurs de véhicules neufs et rapides. Ainsi, au cours des quinze dernières années, la vitesse de pointe des modèles usuels de haut de gamme commercialisés dans notre pays est-elle passée de cent soixante à deux-cent-vingt, voire deux-cent-cinquante kilomètres à l’heure, tandis que la vitesse moyenne observée sur les grands itinéraires s’accroissait d’environ un kilomètre heure par an depuis 1980. 6

Tant que régneront sur nos routes les comportements qui sont aujourd’hui ceux de trop de conducteurs, les efforts menés par ailleurs en faveur de la sécurité n’auront que des effets limités. L’impératif premier est donc de faire évoluer le contexte culturel d’utilisation de l’automobile. La façon dont la société traite la transgression de la règle est un indicateur de la culture. Nous percevons bien le changement des comportements sur la route suite à l’accroissement des contrôles et des sanctions.

Monsieur Pierre GIRAUDET, président de la Commission de la Sécurité Routière estime que les connaissances sont suffisamment précises, la situation assez grave et les esprits assez mûrs pour que soit proposé un modèle culturel et social de comportement des conducteurs acceptable par la quasi-totalité des secteurs d’opinion. Ce modèle propose une authentique maîtrise du comportement en vue d’une conduite apaisée, civilisée, conciliant le respect de la vie avec les valeurs de plaisir, de liberté et de commodité individuelle qu’apporte l’automobile. Il tend à promouvoir des automobilistes individuellement et socialement responsables : capables de maturité dans leurs attitudes ainsi que d’une bonne maîtrise de la conduite, respectueux de leurs concitoyens et sachant donc concilier leurs pratiques individuelles avec celles d’autrui. Un tel modèle ne pourra passer complètement dans les usages qu’au terme d’une évolution de longue durée, préparée et accompagnée avec persévérance par l’éducation des nouvelles générations, légitimée par les autorités scientifiques et professionnelles concernées, confirmée par la cohérence des politiques mises en œuvre par l’Etat et les autres acteurs institutionnels.

Les conduites à risque.

De tout temps l’homme cherche ses limites, au péril de sa propre vie. Le conducteur est-il conscient des risques qui le guettent ou qu’il prend délibérément ? Nous entrons sur le terrain des attitudes et des motivations profondes :entre le risque réel d’accident et sa perception par l’usager, l’acceptation de la légitimité d’une règle et son respect individuel ou collectif, il y a souvent des fossés profonds. La vitesse demeure le facteur essentiel d’incompréhension et de division de l’opinion publique. Si la moitié des conducteurs estime que la vitesse est dangereuse, seuls dix-sept pour cent de Français admettent que les excès de vitesse fassent l’objet d’une répression sévère, comme si la nécessité reconnue de la limitation des vitesses s’accompagnait d’une tolérance tacite de sa transgression. 7

Les opposants les plus déterminés sont les « gros rouleurs », les jeunes et les couches sociales supérieures, possesseurs de voitures sportives et puissantes, qui représentent un conducteur sur cinq, mais près du tiers des kilomètres parcourus. En s’appuyant sur une désinformation bien orchestrée, ces conducteurs rejettent les constats des effets de la vitesse (quelque incontestables qu’ils soient objectivement) et ne se laissent pas intimider par une répression dont la probabilité est actuellement trop faible. Les limitations de vitesse leur apparaissent inopérantes, injustes, voire attentatoires à la liberté. Ils s’estiment bons conducteurs, aptes à maîtriser les conséquences de leur vitesse, libres donc de s’affranchir de règles jugées infondées. Ils considèrent que les progrès récents de la technique automobile autorisent, sans risques supplémentaires, des vitesses plus élevées et veulent ignorer les effets de la « force vive ».

‘«’ ‘  Défenseurs d’une vision purement individualiste de l’automobile, niant (au mépris des lois de la physique) le danger des vitesses élevées, ces conducteurs, même s’ils sont souvent adroits, représentent deux fois plus de risque que la moyenne et font courir des dangers à la société en s’opposant aux règles collectives nécessaires à la sécurité d’une circulation de masse. Ainsi, la conduite automobile d’une partie significative de conducteurs français se caractérise à l’heure actuelle par une agressivité et une nervosité inconnues, voire inconcevables, dans la plupart des autres pays développés (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Pays-Bas...), dont le style de conduite ’ ‘«’ ‘ calme ’ ‘»’ ‘ privilégie la courtoisie et la tolérance. ’ ‘»’ 8

Des chiffres spécifiques à la France.

Le problème de la sécurité routière se pose dans des termes quasiment identiques à quelques décalages temporels près, dans tous les pays d’Europe. 9 Pour pouvoir comparer les nombres des accidents de la circulation et de victimes dans divers pays, il faudrait être certain que les définitions y sont les mêmes et que les relevés sont partout faits avec la même exactitude. Ce n’est pas le cas et nous ne retiendrons que le nombre des tués, (toutes catégories d’usagers) par million d’habitants. C’est un bon indice de gravité du problème social des accidents de la circulation dans les pays considérés car le nombre des tués, comme celui de la population, est généralement connu exactement. Pour 2001, le taux des tués par million d’habitants a été évalué à : 137 en Espagne, 138 en France, 84,8 en Allemagne, 111 en Italie, 80,6 au Danemark, 60 au Royaume-Uni. Le taux de tués par rapport au parc automobile a été de : 328 en Espagne, 306 en France, 288 au Danemark, 269 en Allemagne, 188 en Italie, 148 au Royaume-Uni.

Nous constatons rapidement que ces comparaisons ne sont pas favorables à la France. En 2002, 105470 accidents corporels ont occasionné 137839 blessés dont 24091 graves (hospitalisés plus de six jours), 7242 tués soit vingt par jour. Le tiers du total des accidents se produit en rase campagne et provoque près de 75 % des tués. La gravité des accidents en rase campagne est 5 fois plus élevée qu’en milieu urbain 10 .

Notes
6.

COMMISSION DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE, Livre blanc présenté au Premier Ministre, La Documentation Française, 1989, p.14.

7.

COMMISSION DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE, op. cit, p. 21.

8.

SÉCURITÉ ROUTIÈRE, Les automobilistes, la vitesse, et la sécurité routière, Dossier d’information, septembre 1994.

9.

BOUZIGUES (J-B.), La violence routière, l’Union européenne et l’insécurité routière, Editions Continent Europe, 1995, p. 12.

10.

SECURITE ROUTIERE, Bilan annuel, statistiques et commentaires, Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière, 2002