2. La loi, la répression, la sanction.

Le respect scrupuleux de la réglementation routière, notamment celle concernant les limitations de vitesse permettrait de réduire le nombre et la gravité des accidents de la route. En effet, l’analyse des enquêtes « REAGIR » met en évidence que le premier facteur d’accident sur la route est la vitesse. Des recherches ont montré, dans plusieurs pays, que lorsque la vitesse moyenne pratiquée sur les réseaux routiers diminue, même très légèrement, on constate une diminution du nombre des accidents. Des études ont montré qu’il existe un lien direct entre l’infraction et l’accident. Plus le conducteur commet d’infractions, plus il risque d’être impliqué dans un accident. 17

Pour de nombreuses raisons qu’il convient de développer, la loi n’est pas appliquée sur la route. 18 Un conducteur peut rouler impunément pendant de nombreuses années en commettant de multiples infractions. Il est admis que dans notre pays l’automobiliste est sanctionné une fois toutes les sept cents infractions commises. Plusieurs facteurs normatifs, pratiques et administratifs entrent en jeu. D’une volonté politique non affirmée à une pratique policière plus qu’«indulgente», le conducteur ne perçoit ni la règle ni la loi comme des éléments à respecter impérativement. Il conduit depuis des années, commet des infractions sans être sanctionné ni être impliqué dans un accident. Une telle expérience le conforte dans l’idée que la loi et la règle ne sont que des théories dont les préoccupations sont assez éloignées de la réalité, ou en tous cas de sa propre réalité. Christiane CELLIER 19 , présidente de l’association Anne CELLIER, parle de la non-dissuasion de notre système judiciaire. Le Livre Blanc de la Sécurité Routière 20 proposait déjà, en 1989, un certain nombre de mesures pour faire évoluer le comportement routier.

Robert NAMIAS constate qu’il n’y a pas de vrais contrôles routiers en France. Ce journaliste, actuellement directeur de l’information sur TF1 a fait un rapport au Gouvernement en 1994 dans lequel étaient préconisées un certain nombre de mesures incontestables, de toutes natures, des mesures techniques, création d’une police de la route avec affectation de moyens supplémentaires, des mesures en matière de communication, etc...

Lorsque nous portons un regard sur le système de circulation en R.F.A, nous constatons qu’un modèle répressif génère de bons résultats : moitié moins de victimes sur la route pour un parc automobile équivalent. La présence policière représente dix fois celle de la France, et nous observons des comportements routiers beaucoup plus respectueux des règles. Il y a un lien entre le niveau de répression et les accidents de la route : dans le Territoire de Belfort, en 1996, le nombre d’infractions sanctionnées par les forces de l’ordre a diminué de moitié, dans le même temps, le nombre de tués a doublé. Un retour au respect scrupuleux de la loi par des sanctions systématiques devrait permettre de disposer d’un outil dissuasif visant à faire changer les comportements.

Actuellement, en Grande-Bretagne la conduite dangereuse est passible de dix ans de prison ferme. Les pouvoirs publics ont l’intention de faire baisser le nombre de victimes de la route. Le bilan actuel est de trois mille morts par an (huit mille en France), leur objectif est de descendre en dessous de deux mille. Pour ce faire, les députés ont déposé un projet de loi dans lequel figure la réclusion perpétuelle en cas d’homicide par conduite dangereuse. La conception de la sécurité Outre-Manche est étroitement liée à la notion de civisme. ‘«’ ‘ Les Français punissent des faits, alors que les Anglais punissent des comportements, explique Catherine DAYRE, juge d’instance à CHATEAUROUX, qui s’est intéressée à la façon dont les Anglais traitent la délinquance routière. Il s’agit pour les Anglais de punir non seulement des infractions à la loi, mais des infractions à l’autre. C’est l’intérêt pour la victime qui fait toute la différence ’ ‘»’ . Ainsi les élèves des auto-écoles sont-ils éduqués à la non-agressivité et au respect des autres usagers. Et la population est encouragée à dénoncer les automobilistes dangereux. Une pratique impensable dans notre pays, où il est considéré comme courtois de faire des appels de phares pour signaler la présence de policiers sur les routes ! On ne sanctionne pas seulement les infractions majeures (alcool, vitesse...) : avoir une voiture en mauvais état ou surchargée, changer de direction sans précaution ne pas laisser le passage à un piéton sont aussi sévèrement sanctionnés. C’est ce que l’on appelle la conduite « sans soin ni attention », qui regroupe tous les comportements inciviques. Paradoxe : les règles ne sont pas plus sévères. Le taux d’alcoolémie légal, par exemple, est de 0,8 gramme par litre de sang.

Avec un peu plus de 3.000 tués par an sur les routes, les Anglais sont les champions d’Europe. Pourtant, leurs routes ne sont pas meilleures, ni leurs voitures différentes. Mais il existe dans ce pays une véritable culture de la sécurité. «  Notre première campagne date de 1908  » , explique Roger PEAL, responsable de la sécurité routière du Royaume-Uni. « Notre campagne «  Boire ou conduire  » dure depuis trente ans. La pratique du conducteur désigné lors des réceptions est générale. Un de nos héros populaires est M. TOD un conducteur indélicat dans une histoire appelée The Wind in The Willows. Tous les enfants la connaissent. Il est véritablement devenu socialement incorrect d’être imprudent au volant dans ce pays.  » « La vitesse tue. Tuez votre vitesse. » En Grande-Bretagne la conception de la sécurité est liée à celle du civisme et du respect d’autrui. Il existe une notion d’« infraction à l’autre ».

En 1982 21 , l’Etat de Nouvelles Galles du Sud introduisit le contrôle aléatoire des conducteurs, mais avec une densité sans commune mesure avec celle qui avait caractérisé l’expérience française de 1978, puisque la règle adoptée fut celle d’un contrôle annuel pour trois titulaires du permis de conduire. Le nombre des contrôles annuels atteignit ainsi un million, soit beaucoup plus qu’en France à l’époque, et ceci pour trois millions de titulaires de permis de conduire seulement!

Les résultats furent immédiats et analogues à ceux constatés en France, le nombre total des tués diminuant de près de vingt pour cent. Mais, à la différence de ce qui s’était passé dans notre pays, le résultat acquis fut durable. Autrement dit, cette expérience venue des antipodes montre qu’il est possible de changer profondément les comportements, dès lors que les usagers de la route s’attendent à être contrôlés. Elle montre surtout que, pour qu’il en soit ainsi, la meilleure et la seule méthode consiste à ce qu’il y ait effectivement des contrôles en nombre suffisant, le public ne pouvant être longtemps induit en erreur.

Il est intéressant de remarquer que le niveau de surveillance en vigueur en Australie, qui a été porté depuis lors à un contrôle annuel pour deux conducteurs, signifie qu’aucun « conducteur à risque  » ne peut longtemps espérer échapper aux contrôles. En effet, l’action des forces de police et de gendarmerie se concentre évidemment sur les jours et les heures (essentiellement le soir et la nuit, notamment les week-ends) au cours desquelles circulent les conducteurs concernés, de telle sorte que la probabilité d’être intercepté est, pour les intéressés, non pas d’une fois tous les deux ou trois ans, mais de plusieurs fois par an.

L’expérience française de 1978 permet en définitive d’affirmer que les méthodes qui ont été couronnées de succès à l’étranger le seraient également en France, sous réserve que soient réunies deux conditions. La première concerne évidement la densité des contrôles. Des progrès importants ont été accomplis depuis 1978, tout particulièrement au cours des années récentes, puisque l’on compte actuellement environ quatre millions de contrôles d’alcoolémie par an sur le territoire national. Mais ceci est encore très loin du niveau souhaitable, qui correspondrait à plus de dix millions de contrôles par an, puisque l’on compte environ trente deux millions de titulaires de permis de conduire en France. La seconde condition serait qu’une large publicité soit faite à l’existence de ces contrôles, afin que chacun en soit pleinement informé, ce qui supposerait que des moyens appropriés soient consacrés aux actions d’information conduites en faveur de la sécurité routière, ce qui n’est nullement le cas à l’heure actuelle.

Une sanction systématique, immédiate et forte a fait la preuve outre-Manche de son efficacité. Conscient de cela, le Gouvernement renforce l’aspect répressif dans le domaine de la circulation routière afin d’observer des comportements sereins au volant et vise un bilan des accidents enfin acceptable dans une société civilisée.

Néanmoins, en France, depuis une trentaine d’années, la loi a beaucoup évolué. L’auteur d’un accident mortel, alors qu’il conduisait sous l’emprise d’alcool, ne risquait à l’époque qu’une amende et une courte peine de prison avec sursis. Aujourd’hui, le nouveau code pénal comporte le délit de mise en danger de la vie d’autrui. Notre société française évolue lentement. Mais quel terrain parcouru entre les sanctions pratiquement inexistantes de l’époque et la mise en danger de la vie d’autrui reconnue à présent, même sans accident, comme un délit, notamment dans le cas de conduite en état d’ivresse ! La répression est efficace, mais elle n’agit pas sur les comportements en profondeur : dès qu’elle cesse, les conducteurs se laissent porter par leurs tendances naturelles. Il s’agit pour les pouvoirs publics de trouver un juste équilibre entre le couple contrôle, respect de la loi et éducation, formation des usagers.

Dès 1989, la Commission de la Sécurité Routière, dans le Livre Blanc présenté au Premier Ministre 22 , dans le cadre de réflexion sur le système de contrôles et de sanctions, recommande une action pédagogique en profondeur, persévérante et multiforme, doit permettre une modification des comportements telle que la route devienne plus sûre. Elle s’accompagnera inévitablement, pourtant, de la persistance d’un système de sanctions adapté aux infractions commises en ce domaine, au rendement amélioré, alimenté par des dispositifs de contrôle perfectionnés. Cela ne revient pas à dire que, dans notre pays démocratique, la liberté d’aller et venir doive subir d’intolérables attentes. Mais dès lors que, par insouciance ou par des actes de transgression délibérés, la sécurité des personnes est mise en danger, alors que la mise en circulation d’un véhicule crée par elle-même un risque, il est nécessaire que le repérage de ces comportements soit facilité et que la sanction en devienne à peu près inévitable. Pour autant, le principe de légalité des poursuites et celui de l’individualisation des peines ne seront pas perdus de vue. Les usagers ne sont pas contre : dans un sondage exclusif BVA/Auto Moto réalisé par téléphone les 28 février et 1er mars 2003, auprès d’un échantillon de 1006 personnes âgées de 15 ans et plus représentatives de la population française.

Face à la promesse de plus de contrôles, de sanctions plus dures et de la fin de toute impunité, les automobilistes changent de comportement. La peur du gendarme (43,3 %) et des sanctions plus lourdes (31,9 %) semble demeurer la meilleure piste pour faire reculer l’insécurité routière. En quatre mois, le nombre de contrôles de vitesse n’a progressé que de 15 % et le nombre de tués baisse de 30 % par rapport à 2002.

Notes
17.

BIECHELER-FRETEL (M-B.), Le comportement de base de l’automobiliste : un critère intermédiaire de prédictibilité du risque d’infraction et d’accident, Revue Recherches Transports Sécurité, I.N.R.E.T.S, n°24, p.35-44.

18.

PEREZ-DIAZ (C.), Jeux avec des règles pénales -Le cas des contraventions routières, Editions L’Harmattan, 1998, p. 212.

19.

CELLIER (C.), Lettres à Anne, Editions Belfond, 1995, p.106.

20.

COMMISSION DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE, La sécurité routière, Livre Blanc présenté au Premier Ministre, La documentation française, 1989.

21.

GERONDEAU (C.), Les Transports en France, quelques vérités bonnes à dire, Transports Actualités, p. 123, 1993.

22.

SECURITE ROUTIERE, Livre blanc présenté au Premier ministre, Paris, La Documentation Française, 1989, p. 148.