2. Une approche multi-causale.

Pour que les accidents soient de moins en moins nombreux, il faut s’efforcer de supprimer leurs causes. C’est une évidence ! Une action n’est vraiment efficace que si elle s’attaque à la cause, à la racine du mal. Il est donc indispensable de connaître les causes des accidents. Malheureusement, elles sont beaucoup plus difficiles à découvrir et à définir qu’on pourrait le croire au premier abord. Pour comprendre en quoi consiste cette difficulté, il faut s’efforcer de se débarrasser des idées courantes, des clichés et bien réfléchir à la signification des mots que l’on emploie. Mais, qu’est-ce qu’une cause ? C’est un événement, un état, quelque chose que l’on constate et qui entraîne nécessairement un autre événement ou un autre état, qui est l’effet de la cause. En supprimant la cause, on supprime l’effet. La cause et l’effet s’enchaînent. Nous sommes habitués par la vie quotidienne à penser sans cesse à l’enchaînement des causes et des effets : si je touche un objet trop chaud, je me brûle ; si je mange, je n’ai plus faim...

L’analyse d’un accident nous montre qu’il est impossible de ne découvrir qu’une seule cause : c’est-à-dire une cause qui rendrait l’accident inévitable et sans laquelle il n’aurait certainement pas eu lieu. Par exemple, une voiture a quitté la route à la sortie d’un virage. Le véhicule a percuté un arbre et l’un des occupants a été blessé. L’accident ne serait peut-être pas arrivé si la voiture avait roulé moins vite, si le conducteur avait contrebraqué au lieu de freiner, si la chaussée n’avait pas été glissante, si le virage avait été mieux signalé, si les pneus du véhicule avaient été en meilleur état. Chacun de ces éléments a concouru à ce que l’accident se produise, mais aucun n’était suffisant pour le provoquer : en effet beaucoup d’autres voitures sont passées dans ce virage mal signalé à la même vitesse sans pour autant quitter la route.

Pour Carl HOYOS 26 , la très faible efficacité qu’a eue jusqu’ici la recherche relative aux accidents, tient à la traditionnelle question des « causes » de l’accident. Il a montré que la pensée déterministe causale sous-jacente était inadéquate à l’objet. Il est indispensable de considérer les fréquences d’accident en tant que variables aléatoires, d’après la théorie des probabilités. Le risque d’accident a été placé comme notion centrale et défini comme une probabilité d’accident. Pour lui, la mission du psychologue de la circulation, formulée autrement, est alors d’obtenir des grandeurs relatives aux influences psychologiques auxquelles le risque est soumis. Il a traité de questions spéciales concernant la diminution du risque au moyen d’une sélection psychologique du personnel. Au premier plan se trouvait alors la question de l’efficacité, tant au point de vue de l’individu qu’au point de vue de la collectivité. Il semble dans son ouvrage qu’on doive attendre beaucoup de l’abandon de la fréquence d’accidents et de ses variations comme mesure de l’efficacité de telle ou telle disposition en vue de la sécurité. Il recommande de mieux s’appliquer à l’observation des comportements dangereux, dont les risques ont été préalablement déterminés de façon empirique, et essayer d’avoir une action sur eux.

L’accident est en réalité le résultat d’une accumulation d’éléments qui le rendent de plus en plus probable. Nous les nommerons facteurs, éléments qui concourent à un résultat. Aucun d’eux ne provoque nécessairement l’accident, c’est peut-être pourquoi on s’en méfie moins. Par exemple, le fait de rouler avec des pneus lisses est un important facteur d’accident. Pourtant chaque jour, parmi les personnes qui circulent ainsi, la plupart n’a pas d’accident.

On appelle facteur déclenchant, celui qui semble avoir provoqué finalement l’accident comme la goutte d’eau fait déborder le vase. Mais il ne s’agit souvent que la partie cachée de l’iceberg et on lui attache généralement une importance démesurée. La lutte contre les accidents est, sans doute, plus un travail de fourmis consistant à éliminer chacun des facteurs.

Le programme REAGIR (Réagir par des Enquêtes sur les Accidents Graves et des Initiatives pour y Remédier) a été créé en 1983/1984 : il s’agit de faire réaliser par des équipes pluridisciplinaires des enquêtes pour déterminer les facteurs en jeu dans les accidents mortels et de proposer des mesures correctives. Actuellement, plus de 25.000 accidents ont fait l’objet d’une enquête REAGIR et plus de 6.000 experts ont été formés. L’originalité de ses objectifs puisqu’il s’agit d’abord d’un plan de mobilisation sociale sur l’insécurité routière, son ampleur et sa remarquable efficacité justifient quelques précisions.

Cinq buts principaux étaient assignés à ces enquêtes :

Si l’organisation et les objectifs initiaux de REAGIR (mobiliser l’opinion et les partenaires de la sécurité) ont peu varié, ce dernier est devenu aujourd’hui, après vingt années de fonctionnement, un outil indispensable qui participe au diagnostic de l’insécurité routière.

Un rapport de l’OCDE «  Accidents de la route : enquêtes sur le site  », avait identifié en 1988 cinq pays membres qui effectuent régulièrement des études fondées sur les enquêtes détaillées d’accidents (Allemagne, Australie, Finlande, France, Suède). Les méthodes d’approche et les champs d’application sont certes différents mais des caractéristiques communes peuvent être soulignées : le premier objectif est d’identifier et d’analyser les facteurs impliqués dans les accidents. Les enquêtes ont confirmé qu’il n’existe jamais de cause unique mais un faisceau de circonstances. Elles visent parfois à évaluer les normes de sécurité et à proposer des mesures opérationnelles de sécurité routière ; elles sont conduites par des équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, psychologues, médecins, policiers, etc...) et consistent à analyser les diverses phases de l’accident (avant, au moment et après le choc).

RENAULT , constructeur français d’automobiles, avec le Laboratoire d’accidentologie, de biomécanique et d’études du comportement humain (LAB) met en œuvre une démarche identique. Le responsable, Jean-Yves LE COZ, médecin de formation, explique les travaux menés sur le thème des accidents. La sécurité primaire repose aussi sur l’accidentologie et l’expérimentation. L’accidentologie primaire consiste à comprendre les enchaînements de facteurs menant à l’accident, afin d’imaginer les solutions pour l’éviter. Jusqu’à présent, la sécurité routière n’avait pas été pensée comme un système, avec un automobiliste dans un véhicule placé dans un environnement donné. ‘«’ ‘ C’est dans ce contexte que, avec l’INRETS, nous menons des études détaillées d’accidents ’ ‘»’ . Deux équipes du CEESAR (Centre Européen d’Etudes de Sécurité et d’Analyse des Risques) se rendent sur les lieux d’accidents, en même temps que les forces de police ou de gendarmerie et les secours. Chacune comprend un spécialiste de l’automobile, un expert des infrastructures et un psychologue. Leur objectif est de décrire les scénarios d’accidents, afin de proposer diverses orientations pour les systèmes d’aides à la conduite. Pour cela, des expérimentations sont menées sur route ou simulateur, afin d’étudier le comportement des conducteurs dans une situation à risque. ‘«’ ‘ Dans le cadre des études sur l’aide au freinage d’urgence, nous avons, par exemple, analyser sur piste les réactions d’automobilistes confrontés à un obstacle soudain. ’ ‘»’ Le but était d’étudier leurs stratégies de freinage et de chercher un indicateur qui, à partir de paramètres physiques mesurés sur les véhicules, permettait de différencier un freinage normal d’un freinage d’urgence (cela pour faire en sorte que le système d’aide ne se déclenche bien qu’en cas de freinage d’urgence).

Notes
26.

HOYOS (C. G.), Psychologie de la Circulation Routière, Collection Le Psychologue, Presses Universitaires de France, 1968, p. 269.