A. La formation du conducteur.

Porter un regard sur l’historique du permis de conduire, sa préparation et la situation actuelle nous aidera à mieux comprendre les conditions dans lesquelles la conduite accompagnée a été mise en place.

1. Cent ans d’automobile.

A la fin du siècle dernier, les premiers automobilistes faisaient peur aux paysans parce qu’ils épouvantaient les chevaux qui s’emballaient, et parce que les explosions du pétrole rectifié pouvaient bien mettre le feu aux moissons. Ils faisaient peur aussi aux gendarmes car ces citoyens-là allaient plus vite que les montures de police. On décida de s’assurer qu’on avait affaire à d’honnêtes gens ayant, en plus, assez d’habileté et de connaissances pour manipuler les commandes de ces dangereuses machines. Le 14 août 1893, Louis LEPINE, Préfet de police de Paris, instaure un certificat de capacités et une autorisation de mise en circulation, ancêtres du permis de conduire et de la carte grise. Ce sont les ingénieurs des mines, déjà chargés de contrôler la conformité des véhicules avant leur mise en circulation, qui reçoivent mission de vérifier l’aptitude à la conduite des futurs automobilistes. La rigueur ne semble pas être la vertu dominante de ces premiers examens puisque certains ingénieurs les font passer aux candidats sans être eux-mêmes titulaires du certificat de capacité et que les candidats arrivent le plus souvent au volant de leur véhicule, donc en toute illégalité ! L’examen, devenu le permis de conduire, la carte rose le 10 mars 1899, comporte dès l’origine une partie pratique et une partie théorique. L’épreuve pratique consiste essentiellement de la part du candidat à manœuvrer un véhicule mécanique, l’examinateur apprécie ‘«’ ‘ la prudence, le sang-froid et la présence d’esprit du candidat, la justesse de son coup d’œil, la sûreté de sa direction, son habileté à varier suivant les besoins la vitesse du véhicule, sa promptitude à mettre en œuvre, lorsqu’il y a lieu, les moyens de freinage et d’arrêt, le sentiment qu’il a des nécessités de la circulation sur la voie publique... ’ ‘»’ (circulaire du Ministère des Travaux Publics du 10 avril 1899). Au cours de l’épreuve théorique, l’examinateur pose au candidat des questions sur le rôle et l’emploi des divers leviers, pédales ou manettes, il vérifie en outre ses connaissances mécaniques.

En 1924, on délivrait déjà environ quinze mille permis de conduire par an. Les ingénieurs des mines n’y suffisaient plus, ils furent donc déchargés de cette responsabilité qui fut confiée le 4 avril 1924 à l’Union Nationale des Associations de Tourisme. Après tout, il s’agissait de coopter des touristes. Pour ce faire, l’Union des Touristes recrute des « Inspecteurs » qui sont généralement des retraités, souvent de l’armée. Ces inspecteurs interrogent les candidats conducteurs sur les principaux articles du Code de la Route (apparu en 1922) et leur font subir une courte épreuve au volant, en agglomération. Il s’agit surtout de ne pas caler le moteur...

Le 21 avril 1971 est créé le Service National des Examens du Permis de Conduire, établissement public à caractère administratif, chargé de moderniser l’examen. On délivre alors neuf cent mille permis de conduire par an. Il faut que l’ancien permis de conduire, désuet parce qu’il avait conservé de ses origines quelque chose d’artisanal et de folklorique, devienne une épreuve adaptée à la vie moderne, aux centaines de milliers de jeunes qui s’y présentent, permettant de délivrer un véritable certificat de sécurité routière attestant que le candidat possède les connaissances et les habiletés nécessaires pour prendre seul le volant. En 1972, l’interrogation orale sur la connaissance des règles de sécurité est remplacée par une épreuve collective audiovisuelle qu’il est nécessaire d’avoir réussi pour être admissible à l’épreuve pratique au volant. Les candidats voient projetées sur un écran des diapositives représentant des scènes de la circulation, vues comme s’ils étaient au volant.

Selon l’ancienne méthode d’interrogation orale, le « code » était pour de trop nombreux candidats une sorte de texte qu’il fallait apprendre par cœur pour pouvoir le réciter le jour fatidique, avant de l’oublier. On ne se souciait pas de ce qui avait été compris et retenu. Quand on est au volant, on n’est pas en sécurité parce qu’on sait « réciter le code », on évite l’accident parce qu’on est capable de prévoir ce qu’il faut faire. En ce sens, la nouvelle épreuve se rapproche des conditions réelles de la conduite.

Un programme complet et détaillé de l’examen est établi, des instructions précises sont données pour que les motifs d’ajournement des candidats soient les mêmes pour tous les inspecteurs. L’ouvrage «mieux conduire» précise les comportements acceptés, tolérés et ceux qui doivent être éliminatoires. Peu à peu, l’examen du permis de conduire prend un nouveau virage. On s’éloigne du temps où il fallait savoir « par cœur » quelques articles du code de la route, souvent mal compris, et faire « le tour du pâté de maisons sans caler le moteur ».

En 1987, le service des permis de conduire est rattaché au Ministère des Transports, Direction de la Sécurité et de la Circulation routière, Sous-Direction de la formation du conducteur, et les quelque huit cents agents deviennent fonctionnaires. Les conditions d’examen restent néanmoins les mêmes.

Du pilotage à la conduite apaisée.

Encore aujourd’hui, l’idée est très répandue que conduire, c’est bien connaître son code de la route et bien savoir manipuler le véhicule, pour avoir de bons réflexes. Tout naturellement, les apprentissages doivent être techniques, mécaniques, voire emprunter des notions de pilotage. Les modèles de bons conducteurs ne sont-ils pas, pour les jeunes notamment, les pilotes de formule 1 ? Mais au fait, qu’est-ce qu’un conducteur sûr ? Nous employons ce terme pour désigner un automobiliste capable de se déplacer sans être impliqué dans un accident, responsable ou pas. Derrière ces apprentissages apparemment techniques, n’y a-t-il pas une dimension éthique, des notions comme le civisme ? F. GENTILLE 33 parle de ‘«’ ‘ morale qui renvoie aux interrogations actuelles, plus larges et plus profondes de notre société. ’ ‘»’

Au moment de prendre une décision, un conducteur dispose de deux sources d’information qui ont forgé son opinion : la formation initiale reçue lors du passage du permis de conduire et son expérience, autrement dit, les diverses situations qu’il a déjà vécues. Plus il est expérimenté, c’est-à-dire plus il a parcouru de kilomètres, et plus il se déclare « bon ». Pourtant, tout dépendra de la qualité de la réflexion qu’il portera (ou pas) sur son expérience, et des leçons qu’il en tirera. A notre sens, une véritable « culture sécurité routière » est nécessaire pour circuler en sécurité. Cette culture déterminerait les intentions, les visées, viendrait en amont des situations de conduite, amènerait le conducteur à s’interroger : pourquoi je prends (partage) la route ? Quelles sont mes préoccupations, lorsque je circule ?

La formation initiale peut-elle remplir ce rôle ? Est-il possible, en deux ou trois mois, d’acquérir autre chose que des connaissances (très souvent limitées aux règles de circulation) et des savoir-faire (manipuler le véhicule).

A dix-huit ans, un jeune souhaite obtenir son permis de conduire le plus rapidement possible, au moindre coût. De nombreuses contraintes s’imposent à lui. S’il est encore étudiant, les examens constituent sa principale préoccupation : avoir son « bac » sera pour lui un véritable passeport pour l’avenir, aussi bien pour la poursuite d’études universitaires que pour suivre une formation professionnelle. En outre, peu de jeunes sont à l’abri du besoin, leurs moyens financiers sont limités. S’il désire entrer dans la vie active et exercer une profession, la société lui demande d’être mobile, il est donc impératif pour lui de posséder le fameux « carton rose ». La recherche d’un emploi est beaucoup moins aisée lorsqu’on ne conduit pas, il n’est pas toujours commode d’utiliser les transports en commun ou d’être dépendant de quelqu’un qui vous emmène en voiture.

Un moniteur d’auto école peut-il, à dix-huit ans, former un conducteur sûr ? Actuellement, cette profession, engagée dans un système de préparation à l’examen du permis de conduire, n’a pas le recul suffisant pour la réflexion critique. Les hommes en sont certainement capables, en suivant une bonne formation. Il faudrait peut-être penser une autre forme d’examen, remplacer l’examen audiovisuel du code de la route par des études de cas, des épreuves qui décrivent des situations où le candidat devrait faire preuve de courtoisie, de civisme.

Notes
33.

GENTILLE (F.), La sécurité routière, Collection que sais-je ? P.U.F, 1994, p. 122.