2. Changement de paradigme.

D’une logique d’examen à une dynamique d’éducation et de formation.

Conduire, c’est bien connaître le code de la route et savoir manipuler, maîtriser son véhicule. Cette idée a guidé l’organisation administrative du permis de conduire depuis la naissance de l’automobile. Le « permis » existe depuis la fin du siècle dernier, mais l’organisation de la profession d’enseignant de la conduite est beaucoup plus récente et c’est encore plus récemment qu’on a reconnu l’importance du problème pédagogique que pose la formation des conducteurs. Cette formation concerne actuellement près d’un million de candidats qui, dans leur très grande majorité, sont des jeunes gens et des jeunes filles.

On constate que ces jeunes, au cours des premières années qui suivent l’obtention du permis, sont très fréquemment impliqués dans les accidents de la circulation, près de trois fois plus que l’ensemble des conducteurs. Un tiers des usagers des voitures de tourisme tués a moins de vingt-cinq ans. Améliorer la formation des futurs automobilistes apparaît comme un important moyen pour réduire la fréquence de ces accidents particulièrement tragiques à cause de la jeunesse des victimes. Quelques mesures avaient déjà été prises au cours des années antérieures pour faire progresser la pédagogie de la conduite, mais celle-ci est encore loin du niveau qu’elle devrait atteindre. Une des conditions à remplir pour accroître l’efficacité de l’enseignement est actuellement la mise en œuvre et l’application du Programme National de Formation (PNF) des automobilistes 34 .

Dans nos sociétés occidentales, l’accès à l’automobile justifie un projet éducatif exigeant et moderne dont les enjeux, en termes de sécurité routière, sont de première importance. L’évolution des connaissances nécessite une révision et un approfondissement des savoirs enseignés. La publication du PNF répond à cette nécessité.

Le programme national de formation.

Le contenu de l’enseignement à dispenser aux futurs automobilistes n’a pas jusqu’alors été suffisamment précisé. Certes un programme des examens des permis de conduire, et non pas de formation, a été publié en 1976 (décision interministérielle du 24 août 1976 - Code de la Route, Tome V). Ce programme ne comporte pas une liste détaillée des objectifs pédagogiques qui doivent être atteints par les élèves. Il indique des sujets, mais il ne fixe pas des niveaux.

Ce programme n’a donc pas eu une grande influence sur la qualité de l’enseignement, ce dernier se limitant, très souvent, à une stricte préparation (bachotage) aux épreuves de l’examen. De plus ce programme n’était pas accompagné des documents pédagogiques qui auraient pu guider des enseignants désireux de s’en inspirer.

Il n’a pas non plus été l’objet d’une information suffisante : il aurait fallu qu’il soit largement expliqué et même enseigné à tous ceux qui auraient pu l’utiliser. De nombreux établissements proposent des formations en matière de sécurité routière sans programme ni réflexion pédagogique préalable sur les contenus et méthodes d’enseignement. Ces pratiques rendaient totalement hétérogène l’enseignement aucun document n’étant de nature à homogénéiser les contenus de formation.

Devant cet état de carence, conforté par la très forte sinistralité des jeunes conducteurs (statistiques Réagir et secteur de l’assurance) le comité interministériel de sécurité routière du 11 février 1987 a décidé l’élaboration et la mise en œuvre d’un document de référence (PNF) afin de remédier aux lacunes relatives au domaine de la formation des conducteurs et rendre homogène tout enseignement de la sécurité routière.

Historique.

L’élaboration de ce document s’est déroulé selon les phases suivantes :

  1. Concertation avec l’ensemble de la profession des enseignants de la conduite afin de déterminer les orientations générales de ces programmes,
  2. Elaboration des documents par un groupe de travail constitué de chercheurs de l’Institut National de Recherches sur les Transports et leur Sécurité (INRETS), de spécialistes en psychopédagogie, et dans les domaines techniques de personnalités compétentes aux niveaux de l’infrastructure, de la signalisation, des assurances, des aspects relatifs aux véhicules, et physiologiques des conducteurs.
  3. Validation de ce programme par un groupe de personnalités compétentes dans chacun de ces domaines.
  4. Consultation et avis du Conseil Supérieur de l’Enseignement de la Conduite Automobile et de l’Organisation de la Profession (CSECAOP). En date du 15 avril 1988 celui-ci a donné son accord.
  5. Publication par arrêté du 23 janvier 1989.

Présenté sous forme d’objectifs pédagogiques spécifiques, il concerne principalement les enseignements qui, de l’âge de la maternelle à la phase de l’après-permis, peuvent participer de près ou de loin à l’Education de l’automobiliste. Il s’agit donc de pédagogues de l’Education Nationale, de différents milieux associatifs et parascolaires, des professionnels de l’enseignement de la conduite...

L’objectif général étant d’amener tout conducteur à la maîtrise de connaissances, de savoir-faire, et à développer des attitudes positives par rapport à la sécurité routière, chaque enseignant est libre d’adopter les méthodes et cheminements qui lui conviennent, en fonction de l’âge des élèves et de la spécialisation de son enseignement. Ce programme se veut une vue d’ensemble aussi exhaustive que possible des matières auxquelles un automobiliste responsable doit être sensibilisé. Les étapes de l’acquisition de ces connaissances et de cette maîtrise sont à bâtir selon des plans de formation les plus rigoureux et ambitieux possible.

Contenu.

Quatre grands chapitres présentent quatre éclairages différents mais complémentaires de la conduite automobile. Chacun énonce des objectifs pédagogiques spécifiques dans les domaines didactiques classiques : cognitif, psychomoteur et affectif.

I.- Devenir automobiliste. Le passage d’un statut de piéton à celui de conducteur de voiture implique l’accès à un espace qu’il faut partager avec d’autres usagers, selon de nouvelles règles d’interaction et de communication. La sécurité passe d’abord par une appropriation de l’automobile. Elle passe aussi par une connaissance approfondie d’un certain nombre de grands principes et de normes réglementaires liés à la circulation, dont la bonne compréhension est nécessaire à une conscience collective de partage et de tolérance. L’objet de ce chapitre est d’amener le futur automobiliste à percevoir mieux et plus complètement l’univers où il va vivre. Il s’agit aussi de l’aider à développer des composantes d’autonomie, de responsabilité individuelle et de pratiques de vie avec les autres.

Vivre avec les autres. L’explicite et l’implicite : en conduite, il existe, comme dans tout système de communication sociale, des nuances et des modalités de l’affirmation, de l’ordre, de la défense, de la négation ou de la décision, qu’il est indispensable de percevoir et de décoder. Se contenter du flou ou de l’à-peu-près dans l’interprétation est facteur d’insécurité. La diversité, caractéristique inhérente au système routier, est aussi source d’enrichissement à condition de connaître et reconnaître les particularités des autres usagers de façon approfondie.

II.- Gérer son déplacement. Conduire c’est gérer l’ensemble des possibles et des interdits dans toutes les situations de conduite rencontrées. Ce chapitre qui regroupe les notions de maîtrise du véhicule, d’insertion dans la circulation, et d’adaptation aux diverses situations constitue la base d’un entraînement aux situations de conduite.

III.- Les états dégradés 35 du système. Accéder à l’automobile, c’est aussi prendre conscience individuellement et collectivement d’une certaine forme d’insécurité routière liée à cet univers.

Le développement d’attitudes positives par rapport au système routier doit s’appuyer sur des connaissances objectives liées aux états dégradés de ce système. Ils peuvent affecter l’homme, le véhicule ou l’environnement. Le conducteur doit savoir faire face à des situations anormales ou d’urgence.

IV.- Comprendre le phénomène automobile. Accéder à l’automobile, c’est participer à une culture automobile qui peut présenter de multiples facettes. C’est tout d’abord son importance dans la vie quotidienne. C’est aussi la traduction concrète de progrès technologiques qui ne sont pas sans conséquences en terme de santé publique et d’environnement. Enfin, l’automobile joue un rôle important d’un point de vue économique et présente une dimension juridique spécifique.

C’est dans un contexte largement éclairé par différentes disciplines que peut se forger une connaissance rationnelle et argumentée de l’usage de l’automobile et de ses conséquences. Ce chapitre a donc pour ambition de proposer certaines approches didactiques, certains thèmes de réflexion et d’analyse qui peuvent contribuer à une meilleure responsabilisation de l’automobiliste.

Le guide pour la formation des automobilistes.

Le guide pour la formation des automobilistes 36 , plus connu sous le terme « guide du formateur » a pour objectif de faciliter l’enseignement du contenu du programme national de formation ; il s’agit d’un manuel de pédagogie destiné principalement aux enseignants de la conduite. Il développe les étapes de formation et les évaluations de synthèse de l’apprentissage de la conduite.

La première partie développe quelques notions que les formateurs ont intérêt à connaître pour savoir diriger leurs élèves vers les objectifs qui sont définis dans la seconde partie du guide ainsi que dans le livret d’apprentissage. Il est fait référence aux grands principes pédagogiques, communs à tout enseignement, aborde le contenu de la formation en définissant les notions de finalité, programme, objectif, progression... L’enseignement : importance de la motivation, qu’est-ce-qu’une méthode, l’expérience, l’apprentissage, que signifie communiquer, les moyens de l’enseignement, les évaluations.

On peut enseigner empiriquement, sans se poser de question, et avec un peu de tête et de cœur, réussir d’une façon acceptable, mais avec en plus quelques compétences en pédagogie, les résultats pourraient être meilleurs.

De la finalité aux évaluations, on parcourt quelques sentiers de la pédagogie, il en reste bien d’autres. Dans les livres ? Pourquoi pas ? Dans sa pratique quotidienne, certainement. Donner à réfléchir à cette pratique quotidienne est l’intention de la première partie du guide. Rappelons ici les relations entre la théorie et la pratique.

La seconde partie est plus directement centrée sur cette pratique. Il n’y a plus de traité des méthodes car c’est l’affaire de chaque formateur. Mais de nombreuses précisions sont fournies concernant les objectifs de la formation initiale et les évaluations permettant de savoir si ces objectifs ont été atteints. Chaque formateur trouvera des indications qui sont plus immédiatement utilisables que celles qui sont données dans la première partie. Cependant, il est impossible de dire à chaque pas ce qu’il faut faire, de plus, ce serait insupportable et inefficace. La seconde partie du guide propose donc seulement une démarche pédagogique que chacun doit s’efforcer d’adopter. La première partie avait pour ambition d’apporter quelque lumière pour éclairer le chemin afin que cette démarche soit mieux assurée. La seconde partie du guide pour la formation des automobilistes précise : 1) Quel doit être le contenu de la formation 37 , c’est-à-dire quelles connaissances et quelles habiletés doivent être apprises par l’élève ; 2) Quel niveau de performance l’élève doit atteindre pour chacune de ces connaissances et pour chacune de ces habiletés ; 3) Comment évaluer les performances (connaissances et habiletés) pour vérifier que le niveau visé a été atteint. Cette détermination des niveaux et des moyens d’évaluation constitue l’essentiel de cette seconde partie du guide.

Le guide de l’inspecteur, complément du guide du formateur, permet à l’inspecteur de jouer son rôle de conseiller et d’évaluateur auprès de l’enseignant de la conduite. Il lui permet d’estimer si l’enseignement dispensé à l’élève procède d’une pédagogie active apte à développer chez celui-ci les comportements nécessaires pour qu’il devienne un conducteur sûr.

Les dossiers thématiques ont pour but de développer certains points du programme relatifs à de grands thèmes de la sécurité routière (vitesse, médicaments, fatigue, vigilance, alcool, entretien du véhicule, assurances...). 

Le livret d’apprentissage.

Lors de son inscription en préfecture en vue de l’obtention du permis de conduire, chaque jeune se voit délivrer un livret d’apprentissage. Cet ouvrage aide le candidat à prendre une part active à sa propre formation en suivant pas à pas ses progrès. Le but de la formation initiale est indiqué dans ce document : «Etre capable de conduire une voiture sans mettre en danger ni sa propre sécurité, ni celle des autres. » 38 Cette formation du conducteur, qui doit être précédée d’une évaluation des connaissances et des capacités d’apprentissage de l’élève, se décompose en quatre étapes qui comportent chacune un objectif général : maîtriser la voiture à allure lente ou modérée, le trafic étant faible ou nul ; choisir la position sur la chaussée, franchir une intersection ou y changer de direction ; circuler dans des conditions normales sur route et en agglomération ; connaître les situations présentant des difficultés particulières. Pour valider chaque étape, le formateur procède à une évaluation de synthèse. Par exemple, pour la deuxième étape, l’élève conduira environ 15 minutes sur un parcours offrant la possibilité de vérifier si les principaux objectifs ont été atteints : intersections avec priorité, sans priorité, avec feux tricolores, avec signal « cédez le passage » et signal «stop », sans visibilité, et aussi, dans la mesure du possible, ronds-points. Il conduira à une allure normale et devra, à la demande du formateur, tourner à gauche ou à droite à certaines intersections.

Les améliorations attendues.

Le programme, les documents pédagogiques et la formation des enseignants de la conduite devraient avoir pour effet : une élévation de la qualité, donc de l’efficacité de la formation, qui deviendra, en outre, plus homogène ; une amélioration de la motivation des élèves et des enseignants, en particulier une meilleure prise de conscience de leurs responsabilités en matière de sécurité ; une modification des comportements des conducteurs qui auront réellement acquis des connaissances au lieu d’avoir seulement recherché la réussite aux épreuves d’un examen ; un meilleur rendement de la formation, un niveau supérieur des compétences pourra être atteint par des élèves sans avoir à leur imposer des contraintes supplémentaires en ce qui concerne la durée, donc le coût de leur préparation à la conduite. L’application du programme ne signifie donc pas qu’il soit nécessaire d’augmenter le nombre d’heures consacrées à la formation. En outre, une plus grande adhésion des enseignants à l’A.A.C. est attendue, les contenus pédagogiques et leur mise en application étant définis lors des sessions de formation continue.

D’une logique d’examen, le système de formation du conducteur est passé à une logique de formation. En effet, quelques réformes ont modifié l’examen, conduisant les enseignants à préparer différemment les candidats ; on disait alors que « l’examen tire la formation ». Actuellement, le jeune suit un apprentissage conforme à un programme, si les objectifs sont atteints, les épreuves du permis de conduire ne devraient constituer qu’une étape naturelle, simple et facile.

Notes
34.

MINISTERE des L’EQUIPEMENT, du LOGEMENT, des TRANSPORTS et de la MER, Programme National de Formation à la Conduite, Journal Officiel du 24 Janvier 1989.

35.

Terme utilisé en référence à son acception dans d’autres modes de transport, tels les transports aériens et les transports guidés terrestres. Il signifie que le système ne fonctionne pas comme il est prévu qu’il fasse en conditions normales.

36.

MINISTERE des L’EQUIPEMENT, du LOGEMENT, des TRANSPORTS et de la MER, Guide pour la Formation des Automobilistes, La Documentation Française, 1990.

37.

Les formateurs s’inspireront du programme national de formation à la conduite (PNF) pour compléter éventuellement ce contenu.

38.

« Avec une personne accompagnatrice » lorsque la formation est faite dans le cadre de L’A.A.C.