1. L’état de la question.

Depuis 1990, plusieurs études ont cherché à mesurer l’efficacité de l’A.A.C. sur le taux d’accidents des jeunes conducteurs 41 . L’enquête de juin 1990, B. BELLOC et M. Ivaldi du GREMAQ, Groupe de Recherche en Economie Mathématique et Quantitative, Université des sciences sociales de Toulouse, Faculté des sciences économiques, 1992. (évaluation de l’apprentissage anticipé de la conduite automobile) s’intéressait à des jeunes conducteurs ayant opté pour l’A.A.C. entre 1984 et 1987 et ayant obtenu le permis de conduire à partir de 1987 dans deux départements : les Yvelines et l’Essonne. Un questionnaire a été adressé par voie postale à 2800 jeunes. 1759 réponses ont été retournées (soit 62 % de retour) dont 1508 étaient exploitables systématiquement. L’objectif de cette démarche était de répondre aux interrogations suivantes : l’A.A.C. est-il un mécanisme de sélection ou un mécanisme de formation : la sinistralité des jeunes est-elle due aux effets de l’A.A.C., ou aux caractéristiques des jeunes qui leur ont fait choisir l’A.A.C ? Les auteurs attribuent au public concerné un effet revenu et un effet éducatif : l’A.A.C. ne pouvait concerner qu’une frange relativement aisée de la population adulte pouvant financer un apprentissage de la conduite deux ans avant l’âge normal, et les catégories « les plus élevées socialement » des parents sont supposés avoir une propension plus forte à éduquer leurs enfants.

La sinistralité post-permis d’un jeune A.A.C. était comparable à la sinistralité d’un conducteur de plus de 30 ans : le taux moyen d’implication dans les accidents matériels et corporels des jeunes ayant suivi l’A.A.C. est estimé à 14 % alors qu’il était de 21 % pour la classe des 18-25 ans selon le Centre de Documentation et d’Information de l’Assurance. Cette diminution de 33 % du taux d’implication est cependant entourée d’une extrême précaution par les auteurs qui affirmaient et prévenaient les pouvoirs publics que ‘«’ ‘ la banalisation de l’A.A.C. risque de lui faire perdre son efficacité. ’ ‘»’

L’évaluation d’une expérience concernant quelques individus ne présente pas les mêmes caractéristiques que l’évaluation d’un système général concernant l’ensemble d’un pays. La généralisation des résultats à l’ensemble des départements serait hâtive, les auteurs de l’étude eux-mêmes ont reconnu le caractère limité spacialement des conclusions. Cette généralisation aux jeunes A.A.C. d’aujourd’hui qui sont nettement plus nombreux et sans doute beaucoup moins typiques qu’il y a dix ans est impossible.

Il convient de n’attacher à cette étude qu’une valeur de résultat d’expérience permettant de supposer que l’A.A.C. a une efficacité probable, efficacité à vérifier ensuite par une étude d’évaluation du système généralisé. Cette étude confirmait en quelque sorte le bien-fondé de l’extension de l’A.A.C. aux quatre-vingt-dix autres départements français, étant entendu qu’elle n’affirmait pas définitivement l’efficacité de l’A.A.C. mesuré en terme de diminution de probabilité d’accident.

L’étude « Sylab » a consisté à comparer deux populations de jeunes âgés de 20 à 22 ans en septembre 1993 et ayant obtenu le permis de conduire en 1990. Un questionnaire a été proposé par téléphone à 1028 individus ayant opté pour une formation traditionnelle et à 1035 ayant opté pour une formation AAC. Les résultats sont en contradiction avec l’étude de 1990 et apportent des informations complémentaires : 64% des AAC sont de sexe masculin, 81% ont un niveau d’études supérieures, 48% vivent dans une agglomération de moins de 20 000 habitants, et le kilométrage annuel moyen parcouru par un AAC est supérieur d’environ 15 % au kilométrage annuel parcouru par un jeune issu de la formation traditionnelle. Les taux d’accident des AAC et des non AAC sont voisins au cours des 3 ans suivant l’obtention du permis de conduire, mais légèrement inférieurs (7 à 8%) les deux premières années post permis pour les AAC.

Jean-Pascal ASSAILLY, psychologue, chercheur à l’INRETS (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité) a proposé suite à cette étude des pistes de recherche, en particulier un approfondissement des investigations en matière de comportement vis-à-vis de la vitesse : les jeunes AAC ont-ils par exemple plus confiance en eux, ou conduisent-ils des véhicules plus puissants autorisant des vitesses plus élevées ? ‘«’ ‘ Se pose en particulier le problème de l’accompagnateur ou du tuteur qui peut être un assez mauvais modèle pour les enfants en apprentissage, alors que l’on sait que les adolescents ont plutôt tendance à imiter le comportement de leurs parents au volant. ’ ‘»’

Les Assurances Générales de France ont ensuite réalisé leur propre étude (1994) auprès de 1645 jeunes personnes ayant suivi l’A.A.C. et concluent que ‘«’ ‘ l’apprentissage anticipé de la conduite ne constitue pas, sur le portefeuille A.G.F., un critère significatif d’amélioration du risque ’ ‘»’. Pour vérifier ces conclusions, l’Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière a lancé une enquête destinée à connaître la répartition des jeunes conducteurs responsables d’infractions aux règles de la vitesse selon la distinction AAC/non AAC (1994). Les résultats n’ont montré aucune différence globale significative de comportement vis-à-vis de la vitesse entre les conducteurs AAC et les autres. Si l’on s’intéresse à des résultats plus fins concernant l’âge et l’expérience, l’on constate que les jeunes de 18 ans et/ou ayant moins d’un an de permis et ayant suivi une filière d’apprentissage classique sont très légèrement sur-représentés chez les infractionnistes vitesse.

Enfin, un travail réalisé par l’Observatoire en collaboration avec la Fédération Française des Sociétés d’Assurance (1995) s’est attachée à mesurer les différences de sinistralité entre les AAC et les non AAC en 1992 et 1993 pour des jeunes conducteurs ayant souscrit leur propre contrat d’assurance en responsabilité civile dans trois sociétés adhérentes à la FFSA. Les modèles statistiques utilisés pour l’analyse montrent que l’accidentalité dépend essentiellement de l’exposition à la circulation. Les étudiants ont moins d’accidents que les jeunes exerçant déjà une activité professionnelle (ou à la recherche d’un emploi). Le fait de conduire une voiture puissante est également un facteur augmentant la probabilité d’accident. Les jeunes conducteurs ayant moins d’une année de permis ont une probabilité d’accident plus forte que les autres et cette dernière baisse si le jeune possède un véhicule âgé de plus de dix ans. La formation initiale n’affecte pas la probabilité d’accident.

En conclusion, aucune étude n’est susceptible d’apporter des éléments généraux et irréfutables sur la diminution de l’accidentalité des jeunes conducteurs ayant suivi l’apprentissage anticipé de la conduite parce que les résultats ne montrent aucune diminution statistiquement significative et/ou que les conditions d’analyse ou d’expérimentation ne sont pas parfaites. L’examen des résultats laisse cependant supposer que les effets réels de l’A.A.C., s’ils existent, sont très inférieurs aux effets attendus ou aux effets rapportés par la presse (6 à 7 fois moins d’accident).

Ces résultats ne sont pas satisfaisants puisqu’ils restent très en deçà des résultats espérés et pourraient remettre en cause l’idée selon laquelle l’expérience diminue l’implication accidentelle des jeunes en confirmant certaines études américaines et canadiennes selon lesquelles le déterminisme de l’accident serait dû aux caractéristiques psychologiques de l’adolescence plus qu’au manque d’expérience durant les premières années de conduite. Ce constat doit entraîner des actions de plusieurs types afin de vérifier le bien-fondé d’une formule d’apprentissage dont les experts s’accordent toujours à dire qu’elle est novatrice et pleine de potentiel puisqu’elle permet à la fois l’acquisition de la maniabilité du véhicule, de l’expérience de conduite et des connaissances en Sécurité Routière par l’intermédiaire de rendez-vous pédagogiques.

Yves PAGE recommande une autre étude, à caractère qualitatif sur le fonctionnement de l’A.A.C. et son adéquation pratique avec les éléments théoriques qui ont suggéré son existence. En effet, les résultats quantitatifs manquent cruellement d’explications. Nous pensons qu’elles pourraient surgir d’un examen des pratiques de la conduite accompagnée : dans quelle mesure les rendez-vous pédagogiques suscitent-ils chez les jeunes l’éveil de l’intérêt à la Sécurité Routière ? Les jeunes parcourent-ils réellement les trois mille kilomètres requis avant le permis et dans quelles conditions ? Les relations parents-enfants à l’adolescence peuvent-elles générer des conflits qui polluent la phase conduite accompagnée ou est-ce réellement une phase de rapprochement familial ? L’AAC modifie-t-il les attitudes et les comportements face à la conduite ? Quels sont les gains apportés par une meilleure pratique et ne meilleure maniabilité en phase post-permis ? Les vingt heures de conduite obligatoires en auto école avant la phase de conduite accompagnée sont-elles suffisantes, etc...? On voit bien que la multitude des questions relatives au bon fonctionnement de l’A.A.C. ainsi que la vérification des modèles théoriques de diminution du risque par la formation, peuvent trouver des réponses explicatives de l’efficience de la mesure de Sécurité Routière et des compléments aux seules analyses statistiques.

Malgré ces résultats statistiques peu probants, les Pouvoirs Publics, par l’intermédiaire de la Direction de la Sécurité et de la Circulation Routière, affirment leur volonté de promouvoir et de développer l’Apprentissage Anticipé de la Conduite. Monsieur Patrick CHEVILLOT, Chef du Bureau de la Pédagogie de la Conduite Automobile, Sous-Direction de la Formation du Conducteur, avance plusieurs arguments pour justifier cette volonté. Malgré l’atonie de la demande sociale, qui au fond ne demande qu’une chose à la formation : apprendre à passer le permis de conduire. ‘«’ ‘ L’étude de Françoise CHATENET’ ‘ 42 ’ ‘ se veut une vérification du bien-fondé des prémices scientifiques. Est-ce que les concepts de formation en alternance, de progressivité d’accès à la difficulté restent opératoires ? La réponse est oui. ’ ‘»’ ‘’Les deux derniers Comités Interministériels de Sécurité Routière ont décidé de poursuivre le développement de cette filière de formation. En résumé, les compagnies d’assurance ne sont pas en mesure de nous communiquer l’implication des jeunes ayant suivi l’Apprentissage Anticipé de la Conduite dans les accidents. Les Pouvoirs Publics souhaitent, malgré cela, développer cette filière de formation, dans un souci de promouvoir une nouvelle façon d’apprendre à conduire qui s’annonce prometteuse au regard des concepts qui la sous tendent.

Notes
41.

PAGE (Y.), Les Cahiers de l’Observatoire Numéro 2, La Documentation Française, Octobre 1995, p. 15.

42.

CHATENET (F.), Evaluation qualitative d’un mode de formation : l’Apprentissage Anticipé de la Conduite (AAC), Synthèse et perspectives, INRETS - LPC, octobre 1999.