3. Hypothèses.

Pour trouver des éléments de réponse à notre hypothèse générale : l’Apprentissage Anticipé de la Conduite développe des compétences non seulement d’ordre technique, mais d’ordre éthique ; il s’agit d’une compétence citoyenne, attentive à autrui, nous pourrions utiliser un schéma traditionnel des rapports psychologiques et pédagogiques. On étudierait sur le plan théorique ce que l’accompagnement peut développer chez les jeunes ; c’est le psychologue qui est chargé de cette étude et dit au pédagogue comment il doit s’y prendre, en prenant cette théorie comme référence. Nous sommes en présence d’un modèle implicite d’un savoir abstrait, élaboré dans la sphère théorico-théorique. Ce référent épistémologique applicationniste conduit le praticien à utiliser des savoirs issus d’échafaudages théoriques préalables.

Nous préférons adopter la posture du pédagogue, c’est-à-dire que nous affirmons qu’on apprend par l’action, que le psychologue n’est plus celui qui légifère a priori sur des problèmes dont le pédagogue tirerait ensuite des applications, que c’est le pédagogue qui, au contraire parce qu’il investit, parce qu’il prospecte, cherche, tente, qu’il fait avancer la recherche psychologique et qu’il contribue à éclairer mieux la construction de modèles psychologiques théoriques. Cette rupture épistémologique inverse le rapport entre psychologie et pédagogie.

Nous avons formulé trois hypothèses de travail à travers, chaque fois, de deux champs d’analyse : le premier cognitif, le second socio-affectif.

Première hypothèse : la conduite accompagnée permet une éducation citoyenne parce qu’elle renvoie à une autre façon d’envisager le comportement au volant et débouche sur une analyse des situations de conduite en terme d’opérations cognitives particulières.

Si on analyse ce qu’est l’action de conduite, on découvre un mécanisme très complexe, exigeant bien des connaissances, capacités et compétences 44 . Nous allons aborder la psychologie du comportement des conducteurs, au-delà des seules situations d’accident. Conduire, c’est élaborer en permanence des opérations mentales. On peut schématiser ainsi la démarche continuellement mise en œuvre par le conducteur. Première phase : préparation de la décision, observation de la situation de conduite, analyse de la situation, prévisions des diverses évolutions possibles et évaluation de leur probabilité, détermination des risques. Deuxième phase : choix de la décision, qui repose sur les résultats de la première phase, les connaissances acquises, l’expérience de situations comparables, l’évaluation de ses propres capacités, de celles du véhicule, la réglementation applicable, les attitudes sociales. Troisième phase : la mise en œuvre de la décision, qui dépend de la qualité du choix de décision, l’état du véhicule, sa fiabilité, la maîtrise du véhicule.

Pour nous, les jeunes AAC. mettent en place une stratégie de prise d’informations, de prise d’indices plus performante que ceux qui ont suivi une formation traditionnelle.

Deuxième hypothèse : la confrontation sociale autour d’un thème de conduite et de sécurité routière renvoie à une dimension citoyenne parce qu’elle permet une prise de risque assumée.

Nous connaissons maintenant les mécanismes de l’accident. Il nous parait intéressant de vérifier si les jeunes, en conduite accompagnée, ou après obtention du permis de conduire circulent dans des conditions propices à l’accident, ou bien s’ils évitent les situations dangereuses. En un mot, la conduite accompagnée a-t-elle un effet sur la prise de risque ? Nous émettons l’hypothèse que la période d’accompagnement conduit le jeune à adopter un comportement de sécurité. L’accès à la conduite automobile représente pour un jeune l’accès à l’autonomie, le passage à l’état adulte. Il éprouve le besoin de s’affirmer, de chercher ses limites en prenant des risques. Après avoir parcouru un certain nombre de kilomètres accompagné d’un conducteur expérimenté, le jeune devrait avoir une autre représentation de la voiture et de la circulation. Pour lui, conduire ne doit être qu’un moyen de se déplacer.

Au cours des rendez-vous pédagogiques, les élèves s’approprient un message de sécurité et s’emparent d’une culture indispensable à tout conducteur. Les échanges permettent d’intégrer durablement les notions indispensables à une conduite apaisée. Le jeune ne prendra pas moins de risques, mais il assumera mieux ce risque, gérera mieux le plaisir en conduisant. La conduite accompagnée doit non pas diminuer la prise de risque, mais rendre la prise de risque plus réfléchie. Cette seconde approche sera socio-affective. Cette hypothèse est en relation avec la première, qui renvoie aux opérations mentales en jeu dans la conduite et qui n’est pas sans relation avec la dimension affectivo-motivationnelle. Nous voyons comment un même type de comportement peut être analysé par la psychologie cognitive et par la psychologie relationnelle. Il est nécessaire d’aller plus loin, de vérifier s’il y a des transformations qui s’opèrent, de quelles natures sont-elles, éventuellement. Les jeunes A.A.C sont-ils capables de mieux gérer le plaisir, par une meilleure prise de conscience de l’aspect collectif, précisément ? Notre hypothèse est forte, c’est en définitive la discussion, les rendez-vous pédagogiques, la confrontation sociale qui peuvent sensibiliser le jeune au risque routier. Nous vérifierons ce qu’il en est de l’attention aux autres, pas simplement au niveau du comportement, mais ce qui est au niveau de l’intention, ce qui est de l’ordre de la visée.

Nous pensons qu’au cours des rendez-vous pédagogiques, les jeunes s’approprient un message de sécurité routière et que cette confrontation permet d’adopter une attitude ouverte aux autres et au-delà même du conducteur citoyen nous y voyons des questions d’éducation, beaucoup plus larges que la conduite accompagnée. Cette hypothèse pose vraiment des questions de formation, notamment comment se responsabiliser dans une société.

Troisième hypothèse : la conduite accompagnée permet une éducation citoyenne si elle correspond plutôt à une démarche du type prise de conscience.

Découvrir ce que les conducteurs qui ont suivi l’Apprentissage Anticipé de la Conduite ont de plus que les autres, savoir s’ils adoptent une conduite citoyenne, s’ils ont une attention aux autres supérieure, ne deviendra passionnant qu’en cherchant l’origine de tout cela. Il est intéressant de savoir quel type d’accompagnement pratiquent les gens qui évoluent dans ce cursus de formation pour connaître l’origine de ce qui se passe. Quelle est la nature des accompagnements ?

Nous pouvons imaginer des parents très motivés par la mécanique, qui portent prioritairement leur attention sur ce point et pratiquent donc un accompagnement très technique. D’autres peuvent assurer un guidage permanent, sans laisser beaucoup d’initiative au jeune, qui se trouve alors bridé, dépendant de l’adulte. Certains doivent décomposer l’action de conduite dans ses différentes phases, mais en l’appliquant de façon très mécaniste. D’autres enfin peuvent pratiquer un compagnonnage du type « prise de conscience », en utilisant par exemple une démarche métacognitive. Les natures d’accompagnement sont très diverses : technique, forcé, conditionnement, néo-behaviorisme, prise de conscience... Quelles sont les plus efficaces, au regard de notre problématique, l’attention aux autres ? Beaucoup de choses se jouent : est-ce le mimétisme, l’identification, ou au contraire le rejet du modèle parental ? A travers cette hypothèse, nous allons procéder à une caractérisation, à une première modélisation de l’accompagnement. Elle précisera, en quelque sorte, quelles sont les caractéristiques des différents types d’accompagnement pratiqués par les gens impliqués dans le cursus A.A.C. Nous pourrons dire alors ce qu’est la conduite accompagnée, autrement que de manière formelle. Nous émettons l’hypothèse qu’en adoptant un accompagnement du type « prise de conscience », on peut parvenir à une approche citoyenne de la conduite automobile.

Notes
44.

ROCHE (M.), La conduite des automobiles, Collection que sais-je, P.U.F, 1980, p. 31.