1.3. La métacognition.

Apparu à la fin des années soixante, le concept de « métacognition » a progressivement envahi les recherches tant en psychologie cognitive qu’en éducation. Si le terme est récent, la préoccupation de cette réflexion sur la pensée relève, quant à elle, d’une longue tradition philosophique, que l’on peut faire débuter à la célèbre devise retenue par SOCRATE «Connais-toi toi-même», relayée ensuite par la psychologie. Au fur et à mesure que l’engouement pour ce concept se répandait, il a été utilisé dans des contextes de plus en plus différents. Le résultat en est bien sûr que les définitions varient d’un auteur à l’autre et que les réalités sous-jacentes peuvent être de nature fort différente.

A titre d’exemple, nous citerons une définition donnée par FLAVELL 60 , un des pionniers en la matière : ‘«’ ‘ La métacognition fait référence à la connaissance qu’on a de nos propres processus cognitifs, de leurs produits ou de ce qui leur est relié (...). La métacognition se rapporte, entre autres choses, au contrôle actif, à la régulation et à l’orchestration de ces processus en fonction des objets cognitifs et des données sur lesquelles elles portent, habituellement pour servir un objectif ou un but concret. ’ ‘»’ Dès les premiers travaux, deux phénomènes de nature différente sont englobés, ce qui rendra la plupart des définitions qui suivront composites. Par exemple, GOMBERT 61 décrit très explicitement la métacognition comme un domaine à deux composantes : les connaissances introspectives conscientes qu’un individu particulier a de ses propres états et processus cognitifs et les capacités de cet individu à délibérément contrôler et planifier ses propres processus cognitifs en vue de la réalisation d’un but ou d’un objectif déterminé.

Bernadette NOËL 62 distingue dans la métacognition trois aspects ou trois étapes :

Le processus mental proprement dit qui comprend la conscience qu’a le sujet des activités cognitives qu’il effectue ou leur produit. Cette étape est nommée processus métacognitif. Le jugement exprimé ou non par le sujet sur son activité cognitive ou le produit mental de cette activité. Nous parlerons ici de jugement métacognitif (ou encore de produit de la métacognition). La décision que peut prendre le sujet de modifier ou non ses activités cognitives ou leurs produits ou tout autre aspect de la situation en fonction du résultat de son jugement métacognitif. On peut parler ici de décision métacognitive. Pour l’auteur, la métacognition peut se limiter à la première étape et n’aboutir à aucun jugement si le sujet n’essaie pas d’évaluer ses activités cognitives ou leur produit. Elle peut aussi se limiter à la deuxième étape si le sujet se contente d’un jugement et ne prend aucune décision à partir de ce jugement. Enfin la métacognition peut comprendre les trois étapes : le processus, le jugement et la décision. Nous dirons alors qu’il s’agit d’une métacognition régulatrice. La métacognition n’est pas « un tout ou rien », elle est fonction du niveau d’approfondissement recherché. Plus l’apprenant est actif, plus il apprend, plus il traite d’informations à un niveau approfondi, plus il intègre les apprentissages et plus il peut les mettre en pratique, les utiliser, les investir, car ils sont devenus partie intégrante de son système de représentation du monde.

Mohamed HRIMECH 63 a élaboré un cadre conceptuel de la métacognition. Le point de départ du processus est l’expérience de l’individu. Celle-ci, reliée aux connaissances doit venir à la conscience pour susciter une réflexion qui portera sur les processus mis en œuvre lors des acquisitions. Cette réflexion fera l’objet d’un jugement de l’efficacité, comparée à d’autres démarches. Enfin, la communication permet la confrontation, élément nécessaire pour l’intégration. En supposant qu’une compétence ait réellement été acquise dans tel contexte, l’apprenant gagnerait à être conscient de ce qu’il sait faire pour redéployer sa compétence ailleurs. Il s’agit d’un acte de pensée complexe car dépendant à la fois des connaissances d’un domaine de savoir, d’un contexte d’utilisation et des opérations mentales à mettre en œuvre pour matérialiser l’ensemble.

Il y a bien les deux niveaux de conscience dont parle VYGOTSKY 64 : on est conscient de la compétence qu’on met en œuvre au moment où on le fait, mais on est également conscient du fait qu’on en est conscient, condition nécessaire pour un transfert réfléchi et volontaire. Cela veut dire qu’on a un savoir sur son savoir : un méta-savoir. Il est évident qu’un processus si complexe ne peut arriver automatiquement, il faut un médiateur pour le favoriser. C’est ici qu’une pratique métacognitive prend sa place. La métacognition a pour but d’élargir le champ de conscience de l’apprenant et donc sa capacité à réutiliser ce qu’il sait dans des contextes différents.

Pour Michel DEVELAY, le didacticien, privilégiant des situations métacognitives, permet aux élèves de comprendre comment ils ont procédé, et comment l’apprentissage ainsi développé se rapproche d’autres apprentissages, qui ont conduit à manipuler les mêmes opérations mentales que l’on parvient alors à nommer 65 . ‘«’ ‘ Aider un élève conduit alors d’abord à se rendre, et à le rendre attentif à ses modes de fonctionnement affectifs et cognitifs lors des apprentissages. La mise à distance, pour celui qui apprend, de ses processus d’apprentissage est déterminante. Apprendre conduit ainsi à faire, et simultanément à se regarder faire. Un élève ne sait pas seulement faire une addition quand il sait additionner, mais quand il est capable d’expliquer comment il additionne. Un élève a acquis une notion ou un savoir-faire lorsqu’il est capable de les utiliser dans un autre contexte. On dira encore lorsqu’il est capable de les transférer. ’ ‘»’Pour lui, la métacognition permet la mise à distance de son activité pour mieux s’apprécier, pour parvenir à faire et à analyser ce que l’on a fait, pour développer à travers cette décentration de l’action, un décentrement de soi conduisant à une meilleure connaissance de soi pour, en dernier ressort, avoir conscience de sa conscience.

Jacques LAUTREY met en regard une corrélation forte, indépendante des catégories sociales, entre le développement de l’intelligence et la structuration du milieu familial 66 . Les familles à structuration souple développent des attitudes intellectuelles qui correspondent à ce qui se joue dans toutes activités scolaires : on anticipe (on envisage les possibles selon que l’on agit, que l’on décide de faire ceci ou cela), on planifie (on décide dans le temps de la manière dont on mettra en place l’action décidée), on régule (si une perturbation à l’égard de la décision advient, on modifie cette prévision, on l’adapte). La démarche de ces enfants, aux performances les plus élevées, est en tout point semblable aux différentes composantes de la tâche de conduite de notre modèle élaboré par l’INRETS.

Comme parent ou accompagnateur, il nous est possible de faciliter des moments métacognitifs, en aidant nos enfants à expliciter comment ils s’y sont pris pour faire ce qu’ils ont fait.

Notes
60.

FLAVELL (J-H), Métacognitive aspects of problem solving, in L.B. RESNICK ed, The nature of intelligence, Hillsdale, New Jersey, Lawrence Erlbaum Associates, 1976, p. 232.

61.

GOMBERT (J-E.), Le développement métalinguistique Paris, P.U.F, 1990, p. 27.

62.

NOËL (B.), La métacognition, De Boeck Université, 1994.

63.

HRIMECH (M.) est professeur à l’Université de Montréal, Faculté des sciences de l’éducation, Département de psychopédagogie et d’andragogie.

64.

VYGOTSKY (L-S.), Pensée et langage, traduction française par F. Sève, 1985, Paris,Editions sociales, 1934.

65.

DEVELAY (M.), Parents, comment aider votre enfant, ESF Editeur, Collection « Pratiques & enjeux pédagogiques », 1998, p. 71.

66.

LAUTREY (J.), Classe sociale, milieu familial, intelligence, P.U.F., 1984.