2.2. L’expérience permet d’anticiper le péril.

Pour Bernard RIME 80 , l’expérience permet d’anticiper le péril. Il évoque l’émotion ressentie lors d’un événement. La mémoire émotionnelle transporte des informations importantes, parfois même vitales, à propos de situations qui nous ont pris au dépourvu. Désormais, les signaux émotionnels que comporte cette mémoire seront activés dès que s’ébauche une situation analogue. Ils nous permettront d’anticiper le péril éventuel. C’est le fruit de l’expérience. ‘«’ ‘ Pathein mathein ’ ‘»’ ‘, disait un dicton grec : ’ ‘«’ ‘ Eprouver de l’émotion, c’est apprendre ’ ‘»’ .

Le partage social des émotions contribue à la mémorisation de l’émotion. Tout d’abord, par son caractère répétitif, il assure la consolidation de la mémoire de l’événement émotionnel, garantissant ainsi une mémoire vive des événements qui nous ont pris au dépourvu. Plus un événement a été partagé, mieux on s’en rappellera. Cela permet notamment de prévenir certains pièges de nos systèmes de défense. Spontanément, nous agirions souvent de manière à « oublier » un événement désagréable. Ainsi, celui qui vient de perdre un être cher réagit d’abord par la négation du décès. Le partage social répétitif de la perte aidera à restaurer le réalisme. Le partage social contribue aussi à la construction de la mémoire. Notre récit traduira un point de vue partial sur un épisode par ailleurs complexe et ambigu. De cette manière, nous produisons une version des faits qui soit le plus acceptable possible à nos propres yeux. Avec la complicité de nos partenaires, nous y injectons à notre gré les significations qui leur manquaient. C’est cette version en partie réécrite qui sera mémorisée en définitive.

L’apport du partage social de l’émotion à la mémoire est loin de se limiter au niveau individuel. Par le processus du partage social secondaire et tertiaire, la communauté qui entoure l’individu apprend ce qui lui est arrivé. Les membres du groupe sauront comment il a réagi et quelles ont été les conséquences de son action. On peut montrer que pour un épisode individuel d’intensité émotionnelle moyenne, le jeu de la propagation du partage social est tel qu’en quelques heures, cinquante à soixante personnes se seront retransmis le récit de cet épisode. Pour un épisode de haute intensité, la vitesse et l’étendue de propagation dépassent l’imagination. Par ce processus, c’est la communauté tout entière qui apprend ce qui peut arriver à un de ses membres, et qui enrichit ainsi son savoir adaptatif.

Notes
80.

RIME Bernard est Professeur de psychologie à l’université de Louvain, en Belgique. Il a publié avec Klaus SCHERER, Les émotions, Delachaux et Niestlé, 1989 ; « Emotion et Cognition », in Jacques-Philippe LEYENS et Jean-Léon BEAUVOIS (dir.), L’Ere de la cognition, Presses universitaires de Grenoble, 1997.