2.3. Empathie et renforcement du lien social.

Le partage social de l’émotion contribue aussi au renforcement des liens sociaux. Une dynamique particulière se développe en effet entre l’émetteur et la cible. L’une des réactions typiques de la cible est son grand intérêt pour le récit de l’émotion. Nous sommes tous spectaculairement attirés par ce genre de récit. Une autre réaction de la cible est son empathie. Plus le récit est émouvant, plus la cible tend à manifester soutien et chaleur. Une troisième réaction est l’attirance. Plus son intérêt et son soutien ont été sollicités par le récit de l’émetteur, plus la cible va « l’aimer ». Et la réciproque est vraie. Plus l’émetteur reçoit de l’intérêt et du soutien, plus il « aime » la cible. Par le partage social de l’émotion, le lien affectif entre ces deux personnes se trouvera considérablement renforcé. Et comme le partage social a souvent lieu entre proches de pratique régulière, on peut y voir un outil courant de la régénération du lien. Il y a une autre fonction, plus subtile, à laquelle le partage social semble contribuer de manière importante. Mais il reste encore beaucoup à faire pour la documenter comme il convient. Un épisode émotionnel n’a pas seulement l’impact affectif qu’on lui connaît couramment. Il a également un impact sur nos systèmes cognitifs. En nous prenant au dépourvu, l’événement émotionnel ouvre une brèche dans les systèmes symboliques, disons les lunettes, avec lesquels nous abordons le monde au quotidien. En temps ordinaire, elles nous font voir le monde sous un angle rassurant. Ce monde nous semble intelligible et sensé. Nous perdons de vue que nous vivons dans un univers que nous ne contrôlons pas et que nous ne sommes qu’une poussière sur une planète située on ne sait pas très bien où, quelque part entre la Voie Lactée et l’éternité. Ces lunettes, notre univers symbolique, sont le produit permanent du consensus social. ‘«’ ‘ L’émotion est précisément le bémol de cette harmonie’ ‘ 81 ’ ‘ ’ ‘»’. Elle affecte l’individu précisément parce qu’à ce moment, apparaît une lacune dans ses systèmes de lecture et d’anticipation de la réalité.

Elle révèle une faille. Il y a alors lieu de colmater la brèche d’urgence si l’on veut protéger le reste de l’édifice symbolique. Quelle action entreprendre ? Chercher le réconfort et le consensus social. C’est bien là ce qu’on trouve dans le partage social de l’émotion.

Le plus sûr, pour vérifier l’effet du partage social sur les émotions, est d’en provoquer artificiellement affirme Bernard RIME. Nous voyons bien ici l’intérêt des rendez-vous pédagogiques. Les échanges sur les situations vécues, les difficultés rencontrées, les émotions éprouvées, les incidents, les accidents sont autant de centres d’intérêt pour les participants. Le partage social a un effet sur d’autres aspects : la satisfaction générale, le sentiment d’avoir reçu de l’aide, de mieux comprendre l’épisode, etc... Les gens rapportent ce que nous pouvons appeler « un bénéfice subjectif » de tels échanges.

Il convient de mettre l’accent sur l’importance que revêt l’animation, la façon de mener les débats, et l’efficacité des techniques de « debriefing. » Le partage social déstabilise, les connaissances déconcertent, la reconstruction ne doit pas être laissée entre les mains « d’amateurs ».

Notes
81.

RIME (B.), Faut-il parler de ses émotions ?, Revue Sciences Humaines, n° 104, avril 2000, p. 20.