3. La conduite commentée.

Dans sa recherche : Evaluation qualitative d’un mode de formation : l’Apprentissage Anticipé de la Conduite (octobre 1999), Françoise CHATENET recommande d’effectuer des comparaisons entre conducteurs débutants « AAC » et formation traditionnelle. ‘«’ ‘ Ces comparaisons peuvent être abordées par des observations de comportements en situations réelles sur des fonctions particulières (anticipation, prise d’information, prise de décision). ’ ‘»’

L’observation de phases de conduite nous permettra de vérifier si, au niveau du comportement, concrètement, les jeunes qui ont suivi la conduite accompagnée, anticipent sur les situations, sont attentifs aux autres, adaptent leur allure en fonction de l’environnement. La prise de décision, dans une situation de conduite, a, à notre sens, un caractère bien particulier, et c’est dans ce dernier que réside la grande difficulté à prendre en compte le caractère social des déplacements automobiles 96 . Le conducteur, isolé dans son véhicule, mettrait en œuvre des actions qui relèvent parfois de l’impulsivité, qui seraient de l’ordre des pulsions. On voit bien la difficulté, pour le conducteur, de concilier ces deux niveaux : d’un côté pulsion, plaisir personnel, de l’autre le caractère collectif du système routier, l’attention aux autres, qui relèvent eux, de la raison. Nous allons analyser, à travers différents moments, à travers différentes étapes particulières, l’anticipation, le risque, s’il y a anticipation précise, ce qu’il en est de l’attention aux autres. Nous ne vérifierons que cela, nous ne nous attacherons pas à tous les aspects de la tâche de conduite, nous nous centrerons sur ce qui est en lien avec notre problématique. Nous observerons un panel de jeunes ayant suivi le cursus Apprentissage Anticipé de la Conduite et un autre ayant suivi une formation traditionnelle. Par comparaison, nous essaierons de voir s’il y a des choses qui sont différentes en termes d’anticipation, de prise d’information, et de décision, bref, de conduite « sécurité » chez des personnes qui ont fait la conduite accompagnée et chez les autres. Nous nous attacherons ensuite à observer la conduite et comparer les opérations mentales de jeunes A.A.C. ayant eu un accompagnement d’un type particulier.

Nous choisissons la formule de l’observation de soi : le conducteur dirige le véhicule et utilise la technique de conduite commentée. Il nous renseigne sur les différentes composantes de la tâche de conduite et sur le processus d’élaboration de la décision. Nous serons présent dans le véhicule, et nous examinerons les renseignements fournis par le commentaire en fonction de l’observation extérieure. Il ne s’agit pas, selon nous, d’une formulation rétrospective mais bien d’un regard porté sur un comportement primaire, de la cueillette concomitante dont parle Mohamed HRIMECH. Les commentaires devraient nous éclairer sur l’attention aux autres.

Nous avons recruté dans les établissements d’enseignement de la conduite automobile trente jeunes A.A.C. et trente ayant suivi une formation traditionnelle. Nous n’avons procédé à aucune sélection parmi les auto-écoles ni parmi les élèves. Tous avaient obtenu le permis de conduire depuis très peu de temps ou avaient participé au second rendez-vous pédagogique et étaient en attente de passage de l’examen pratique. Nous voulions constituer un groupe de dix jeunes A.A.C. ayant eu un accompagnement particulier, du type plutôt ‘«’ ‘ prise de conscience ’ ‘»’ ‘,’ sensé, pour nous, rendre l’apprenti plus autonome, plus attentif. Lorsque nous expliquions aux enseignants de la conduite le profil des personnes recherchées, ceux-ci répondaient négativement, ne voyaient dans leur clientèle aucune pratique de ce genre. Nous avons contacté une centaine d’établissements, le recrutement s’est étalé sur plusieurs mois et le panel retenu est issu de huit auto-écoles différentes.

Tous les participants ont adhéré rapidement à l’exercice qui leur était proposé. Nous avons été agréablement surpris par la bonne volonté qu’ils ont manifestée. Certains étaient fiers de devenir acteurs de notre recherche. Nous avons décidé d’utiliser un véhicule muni de double commandes et de procéder personnellement à ces phases de conduite.

Pendant une demi-heure, le jeune conduit et explique ce qu’il est en train de faire, la raison pour laquelle il le fait. Au départ, nous donnons quelques instructions : circulez comme vous avez l’habitude de faire, ne changez rien, ce n’est pas un examen, commentez essentiellement les éléments que vous jugez important pour votre conduite.

Pour que notre démarche soit le plus valide possible, nous avons veillé à ce que chaque participant rencontre des situations comportant un même niveau de difficulté. Pour cela, nous avons opéré dans des villes comparables, sensiblement aux mêmes heures de la journée, privilégiant une circulation fluide à des conditions trop difficiles, voire des bouchons. Les différences de difficultés seront exploitées par les commentaires effectués à ce moment-là, ou neutralisées si nous jugeons que le cas ne présente aucun intérêt ou s’avère inexploitable quant au processus de prise de décision.

La circulation s’effectue sans aucune indication de direction, l’essentiel étant que chacun vive au minimum les situations suivantes, prévues dans la procédure d’évaluation de l’épreuve du permis B 97 .

Le départ c’est mettre en mouvement son véhicule, qu’il soit déjà ou non dans la circulation,

L’arrêt c’est immobiliser ou mettre fin au mouvement de son véhicule, en cours de circulation ou pour la quitter,

La manœuvre : reculer, faire demi-tour ou se ranger en créneau, épi ou bataille,

La ligne droite : suivre la trace de la chaussée, en marche normale (le fait de changer de file ou de direction est traité dans « changement de direction »),

L’intersection : traverser un carrefour à deux ou plusieurs chaussées à niveau, ou s’engager dans un sens giratoire,

Le changement de direction : tourner à droite ou à gauche, réaliser une présélection, entrer ou sortir d’une autoroute, d’une voie express (le fait de se placer pour éviter un obstacle fixe ou mobile est traité dans « dépassement »),

Le virage : adapter une trajectoire au tracé de la route,

Le dépassement : prévoir, devancer, laisser derrière soi un usager ou un obstacle situé sur la même voie (le fait d’être dépassé est traité dans cette situation),

Le croisement : rencontrer un usager circulant en sens inverse, sur la même chaussée.

Nous choisissons de ne pas guider le conducteur au fur et à mesure, mais au contraire de donner des grandes indications quant aux directions à prendre. Les situations aléatoires, vécues au fur et à mesure des parcours, constitueront le principal intérêt de notre démarche. Si de trop grandes différences venaient à apparaître quant aux difficultés rencontrées, nous reprendrons un guidage momentané pour que chaque participant vive les mêmes situations, la même durée de conduite, et sensiblement le même niveau de difficulté.

Nous avons enregistré les commentaires sur magnétophone et retranscrit le tout littéralement. Nous avons néanmoins supprimé les mots parasites et reconstruit certaines phrases qui dans leur état d’origine s’opposaient à notre compréhension. Cette façon de faire produit des répétitions et parfois des phrases cliché, mais l’objet de notre recherche et la similitude des situations vécues ne peuvent nous en dispenser. Nous avons ensuite procédé à une analyse de contenu thématique. Les thèmes retenus constitueront les indicateurs d’une conduite caractérisée par l’attention aux autres. Lors de l’analyse des commentaires, nous serons particulièrement attentifs aux points suivants : bien manipuler son véhicule, la position sur la chaussée, l’importance du Code de la Route et la prise en compte des autres. Dans ce dernier thème, les commentaires des jeunes A.A.C. devraient, selon nous, être beaucoup développés que ceux des formations traditionnelles, avec notamment des indications sur la communication, l’anticipation et la prise d’indices informels pertinents pour la tâche de conduite.

Notes
96.

PERVANCHON-SIMONNET (M.), L’automobile véhicule de socialité, Le lien social dans tous ses états, Editions L’Harmattan, 1990, p.124-131.

97.

SECURITE ROUTIERE, Procédure d’évaluation de l’épreuve du permis B, La documentation Française, p. 8, 1993.