4. Les études de cas.

Françoise CHATENET 98 recommande l’introduction dans les schémas actuels de formation des nouveaux contenus pédagogiques comme l’identification des situations critiques, les problématiques spécifiques aux jeunes conducteurs dans la phase post-permis, la connaissance des facteurs du risque, des études de cas d’accidents. ‘«’ ‘ Cette démarche essentielle, qui repose sur les acteurs-relais du système formation-examen, se doit d’être appréhendée dans un temporel à long terme ; il s’agit en effet, non seulement d’élargir le domaine des connaissances liées à la sécurité routière mais aussi de modifier des attitudes et d’impulser un état d’esprit qui devra être renforcé et vivifié tout au long de la vie du conducteur. ’ ‘»’ ‘’ processus

Afin de valider nos hypothèses, de vérifier la portée du cursus de formation AAC, et notamment de la phase d’accompagnement, nous allons procéder auprès de jeunes ayant suivi ce type d’apprentissage de la conduite automobile et de la sécurité routière à l’exploitation d’un cas d’accident. La question centrale est la suivante : dans une situation de conduite concrète, quelle est la différence de comportement entre les AAC et les non-AAC. Nous avons posé la question de savoir si les AAC élaborent des opérations mentales différentes, notamment au niveau de la sélection des informations utiles à la tâche de conduite, si leur analyse est plus complète, plus fouillée et leurs décisions adaptées et rapides. Pour aller plus loin, nous allons vérifier pour la présente démarche s’il y a des différences entre les A.A.C. et les non-A.A.C. pour une même situation de circulation. Les premiers devraient être plus clairvoyants des véritables enjeux de la situation. Nous demanderons à l’ensemble des jeunes ce qui s’est réellement passé dans cette situation, comment le conducteur est « parvenu » à la situation d’accident, en fait quelles sont les causes de l’accident ; qu’auraient-ils fait, eux, dans cette situation ou pour éviter de se mettre dans cette situation. Les jeunes AAC, munis de beaucoup plus de connaissance dans le domaine de la circulation et de la sécurité routière, après une période d’acquisition d’expérience de conduite aux côtés d’un accompagnateur, devraient reconnaître rapidement une situation pouvant devenir dangereuse et adopter une démarche appropriée pour éviter l’accident. Sont-ils prêts à circuler en sécurité, avec une « prise de risques raisonnables » ?

Pour valider notre approche, nous allons composer un panel de trente jeunes ayant suivi la conduite accompagnée et trente ayant suivi une formation traditionnelle. Nous les recevrons dans le cadre d’établissements d’enseignement de la conduite. La sélection sera effectuée de façon aléatoire par les enseignants. Nous procéderons à l’évaluation de dix jeunes à chaque session. Pour que les jeunes ayant une formation traditionnelle ne se sentent pas « sous-formés », « ayant moins de connaissances » ou « moins compétents », face à leurs camarades AAC, il nous est apparu plus opportun d’organiser des sessions distinctes pour chaque mode de formation. Le travail en sous-groupes ne nous paraît pas être de nature à invalider ou à fausser l’évaluation de chaque participant. Un enseignant de la conduite automobile expérimenté dans l’animation des rendez-vous pédagogiques animera la séance. Nous resterons personnellement observateur, n’intervenant que si nous sommes éventuellement sollicité par un participant ou par l’animateur.

Au cours des rendez-vous pédagogiques, les enseignants de la conduite utilisent parfois des analyses de cas d’accident pour faire prendre conscience aux jeunes et aux accompagnateurs de la genèse d’un accident. En formation, les objectifs de ce type de démarche sont les suivants : comprendre ce qui amène à la situation d’accident, démontrer que l’accident dépend du système homme-environnement-véhicule (démontrer et confirmer que l’accident dépend du système), informer sur l’influence des lois physiques incontournables.

Nous n’avons personnellement pas rencontré d’enseignant pratiquant cette démarche. Les jeunes composant le panel de notre recherche nous ont affirmé ne pas avoir fait ce genre d’exercice, ni en formation initiale, ni au cours des rendez-vous pédagogiques.

Nous allons utiliser cette approche avec des objectifs un peu différents : bien que le fait de se pencher sur un cas concret soit formateur en soi, nous allons vérifier si les jeunes ont présent à l’esprit les notions élémentaires de sécurité routière, s’ils savent rapidement identifier les risques et s’ils savent mettre en place rapidement des stratégies appropriées pour éviter l’accident. Nous avons personnellement déployé cette approche pendant six ans, auprès de conducteurs expérimentés, dans le cadre de stages de sensibilisation aux causes et conséquences des accidents de la route destinés aux conducteurs désirant reconstituer leur capital-points dans le cadre du permis à points. Les participants prenaient en général conscience qu’un accident a des causes multiples et qu’une prise de recul sur sa propre conduite permet d’entrevoir la notion « d’évitabilité » (ce terme est repris dans toutes les actions de prévention et de formation à la sécurité routière)  Cette attitude est souvent appelée conduite préventive ou défensive.

Nous avons sélectionné comme support un cas d’accident qui porte le titre : « La voiture a chassé, je n’ai rien pu faire. » (annexe 7, page 131), car il comporte toutes les caractéristiques des accidents de jeunes. Néanmoins, nous avons volontairement choisi ce cas qui ne comporte pas le facteur alcool : une utilisation aux fins d’évaluation ne saurait provoquer une polémique. Nous pensons que les participants se sentiront plus concernés et s’impliqueront davantage s’ils se reconnaissent dans les acteurs. Il est tiré de la banque de données de l’INRETS. Ce laboratoire, basé à AIX-EN-PROVENCE, est chargé de l’étude des causes des accidents de la route. Lorsqu’un accident se produit, les chercheurs, d’origine pluridisciplinaire (techniciens de la route, psychologues, médecins, spécialistes des chocs, experts bio-mécaniques...), se rendent sur les lieux en même temps que les personnes chargées des secours. Ils procèdent à une enquête qui consiste à recueillir tous les éléments qui ont pu concourir à la situation d’accident. Tous ces « facteurs d’accident » sont répertoriés, classés en trois grandes familles : ceux qui se rapportent au véhicule, à l’environnement et ceux afférents au conducteur. De retour au laboratoire, il est procédé à une analyse fine et les chercheurs élaborent un scénario permettant de comprendre le déroulement de cet accident. Parfois, il est nécessaire de remonter assez loin dans l’histoire des personnes pour se rendre compte dans quel état d’esprit elles abordaient la conduite automobile ce jour-là.

L’analyse d’un accident pour être complète passe par un fractionnement de son déroulement en différentes situations. En balayant systématiquement trois thèmes (usager, infrastructure, véhicule), ce découpage permet de ne pas omettre de facteurs explicatifs de cet accident. Un dossier complet est rédigé et vient enrichir la banque de données. C’est donc dans celle-ci que nous avons sélectionné celui que nous allons utiliser.

Déroulement de l’action.

Nous avons procédé au recrutement au sein des établissements d’enseignement de la conduite, sur la base du volontariat, sans procéder à aucune sélection, d’aucune nature, ni parmi les auto-écoles, ni parmi les élèves. Les jeunes qui ont suivi une formation traditionnelle venaient juste d’être reçus à l’épreuve pratique du permis de conduire. Les « AAC » participaient à leur second rendez-vous pédagogique, c’est à dire vers la fin de leur cursus de formation, ou bien étaient eux aussi, détenteurs depuis peu du permis de conduire. A chaque session nous avons regroupé en salle dix jeunes ayant suivi le cursus AAC, ou dix jeunes ayant suivi une formation traditionnelle. Un bref tour de table permet à tous les participants de faire connaissance et d’être informés des objectifs de cette séance.

Un document descriptif est remis à chacun par le formateur. Une fiche « renseignements généraux » comporte une photo nous montrant le véhicule immobilisé après l’accident ainsi que quelques informations concernant le déroulement : quelques faits précis, quelques indices intéressants mais ne permettant pas à eux seuls la compréhension. Une fiche « véhicule » nous renseigne sur le type de voiture, ses caractéristiques et son état général mécanique constaté après l’accident. Une fiche « environnement » décrit les lieux où s’est produit le sinistre ainsi que les conditions météorologiques. Une fiche « homme » s’attache au conducteur et nous précise son âge, sa profession, sa situation familiale, son expérience... Le dernier document est un plan assez détaillé des lieux.

L’animateur donne les instructions suivantes :

Vous constituez deux sous-groupes de trois personnes et un groupe de quatre, par affinités, et vous allez procéder à une recherche, comme le font les IDSR (Inspecteurs Départementaux de Sécurité Routière) dans la démarche REAGIR (Réagir par des Enquêtes sur les Accidents Graves et les Initiatives pour y Remédier). Cette approche n’est pas complètement étrangère aux stagiaires, car ils l’ont abordée de façon théorique au cours de la formation initiale et au cours des rendez-vous pédagogiques. Pour cela, vous allez :

Le travail en sous-groupes durera une heure, un rapporteur de chaque groupe viendra ensuite exposer à l’ensemble du groupe sa « production ». Le moniteur va pour sa part se garder d’orienter leur travail. Il restera à proximité, à leur disposition pour d’éventuels conseils, supplément d’informations, afin qu’ils ne fassent pas fausse route, qu’ils ne soient pas hors sujet totalement, pour les aider à recentrer leur démarche tout en leur laissant une complète autonomie dans la collecte des indices, l’élaboration d’un scénario, et la recherche de solution.

Au cours de la restitution, l’animateur restera observateur et sera attentif aux réactions de chacun. A la fin des travaux, lorsque tous les groupes auront restitué leur démarche, en valorisant la production de chacun, il apportera éventuellement des informations s’il manque des éléments de compréhension ou si l’accent n’a pas été assez mis sur la sécurité.

La restitution devrait faire apparaître le travail des participants AAC beaucoup plus riche, plus approfondi que celui des jeunes en formation traditionnelle. Nos hypothèses préfigurent des jeunes «accompagnés » ayant bénéficié d’une démarche «prise de conscience » sensibilisés aux notions de sécurité, de risque, capables de comprendre rapidement la genèse d’un accident et de nous dire : ‘«’ ‘ dans telle situation, on aurait dû faire ça... dans telle autre, il aurait été préférable que le conducteur se comporte de telle et telle façon, ça aurait eu telle incidence... et l’accident aurait été évité ’ ‘»’.

Lors de l’analyse des productions, nous serons attentif à la pertinence des facteurs d’accident retenus, à la façon dont les jeunes expliquent en quoi un élément a pu jouer dans la production de l’accident. Nous nous attacherons à la manière dont ils vont construire le scénario, comment ils voient l’imbrication des facteurs dans la survenue de l’accident, car, finalement, c’est à ce moment là qu’ils nous diront : dans ce cas, à ce moment précis, moi, j’aurais plutôt fait comme ça. Enfin, nous détaillerons finement leurs propositions qui devraient nous confirmer ou pas qu’ils portent un regard distancié sur la circulation et la sécurité routières.

Notes
98.

CHATENET (F.), op. cit.