1.1. Motivations, avantages, inconvénients.

Enjeux de la Conduite Accompagnée.

Sous cette rubrique, nous trouvons ce que représente la conduite d’une voiture pour un jeune de seize ans. Viennent ensuite les avantages, parmi lesquels l’expérience, les situations vécues. Apparaissent enfin les motivations des parents qui cherchent à se rassurer et les jeunes qui apprécient la confiance de l’adulte.

La conduite et ses représentations.

‘«’ ‘  Pour nous, la voiture c’est un outil pour se déplacer. ’ ‘»’

‘«’ ‘ Pour moi, une voiture, c’est un moyen de locomotion, c’est un outil de travail... ’ ‘»’

‘«’ ‘ Pour moi, la voiture est un moyen de transport... utilitaire... dans le contexte routier ’ ‘»’

Dans leur discours, les accompagnateurs présentent la voiture réduite à une fonction utilitaire, à un objet utile. Ils réfutent tout ce qui serait de l’ordre des émotions, du plaisir. Une exception :  ‘«’ ‘ Ce sont des trajets utilitaires, mais j’y prends plaisir quand même. ’ ‘»’Le plaisir est présent, mais l’aspect utilitaire le précède tout de même.

‘«’ ‘ La conduite c’est un plaisir... c’est une forme de liberté, ça donne l’impression d’être libre, quoi ! ’ ‘»’

‘«’ ‘ On a envie de partir tout seul... dans sa voiture... tout seul sur la route... j’aime bien conduire parce que je suis seule dans ma voiture. ’ ‘»’

‘«’ ‘ La voiture, je m’en sers par plaisir... la liberté, être autonome. ’ ‘»’

‘«’ ‘ Vers la fin, j’ai trouvé le temps un peu long, toujours sortir avec les parents ! ’ ‘»’

Pour un jeune de seize ans, la conduite d’une voiture représente le passage à l’état adulte, le plaisir, l’autonomie, la liberté. Il peut se rendre où il veut et aspire à partir seul. Pour lui, conduire c’est se dégager des contraintes, de la tutelle des adultes. En circulant, même accompagné, il ressent ces impressions.

Nous retrouvons chez ces jeunes ce que représente la voiture dans l’imaginaire de leurs aînés de dix-huit ans qui ont eux-mêmes hérité d’une représentation collective, sociale. Pour l’ensemble de ces adolescents, la conduite, le permis de conduire, restent le moment le plus fort de la vie. Plus important que les diplômes, que le bac, plus important que la première expérience sexuelle (dixit...), la première approche de la route se doit d’être canalisée, accompagnée.

Avantages : l’expérience.

‘«’ ‘ L’avantage, c’est qu’on a vu plus de situations, en plus, on a peut-être évité des accidents ou des accrochages. La conduite c’est une expérience, donc... ’ ‘»’

‘«’ ‘ On acquiert une expérience. Quand on part après dix heures ou quinze heures de conduite, on ne sait pas conduire... on n’arrive pas à juger. ’ ‘»’

‘«’ ‘  L’avantage de cette façon d’apprendre, c’est l’expérience : les jeunes ont déjà vécu tout un tas de situations et ils ont pris l’habitude de réagir comme on leur a dit de faire. ’ ‘»’

Jeunes et accompagnateurs considèrent que l’expérience, le nombre de situations vécues constituent un atout majeur pour une conduite en sécurité. Ils estiment qu’au terme d’une formation traditionnelle, « on ne sait pas conduire ».

Les jeunes apprécient en ce sens la présence de l’accompagnateur. ‘«’ ‘ On profite aussi des conseils des anciens qui conduisent depuis longtemps, ils apportent aussi quelque chose  ’ ‘»’ ; ‘«’ ‘ On peut dire que l’accompagnateur lui passe son expérience, déjà... ce n’est pas une mince affaire ’ ‘»’. Ils sont conscients que conduire, c’est « juger », et que l’adulte aide, par ses conseils, à la construction du jugement chez le futur conducteur : ‘«’ ‘ on n’est pas toute seule, par rapport à une situation nouvelle, les parents sont là, derrière, pour aider, justement à anticiper. ’ ‘»’

Ils abordent des situations concrètes ‘: ’ ‘«’ ‘ Ils nous freinent, je pense que c’est bien... après je pense qu’on va moins vite ’ ‘»’.‘«’ ‘ Surtout par exemple quand on sort d’un stop, il y a moins d’hésitation ’ ‘»’. ‘«’ ‘ Ceux qui ont appris à dix-huit ans n’ont pas la notion du risque... même au niveau de l’attention, ils sont trop distraits, pas assez centrés sur leur conduite ’ ‘»’ ‘.’

Parents rassurés, jeunes en confiance.

‘«’ ‘ Ça me mettra en confiance de voir comment il conduit quand je suis avec lui, quand mon mari est avec lui. Après, on appréhendera moins de le lâcher, à 18 ans, tout seul en voiture ; ça a un côté sécurisant ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Je sais à peu près comment elle va réagir, je me ferai peut-être moins de souci. Ce n’est pas dit, mais j’aurai moins de souci ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Pour nous, c’est rassurant, on peut leur faire confiance, on les a vus faire pendant deux ans, on se dit qu’ils peuvent mieux s’en sortir ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Maintenant, en l’ayant vu conduire, je suis plus confiant, plus serein quand il roule seul ’ ‘»’ ‘.’

Etre parent d’un adolescent qui va accéder à l’autonomie et s’engager seul, sur la route au volant d’une voiture, entraîne une certaine préoccupation. Celle-ci est exprimée de façon plus ou moins intense, mais tous les accompagnateurs craignent que leur enfant prenne des risques et « ait un accident ». Les mots utilisés ne concernent pas le jeune, mais bien eux-mêmes : ‘«’ ‘ Ça me sécurise, j’aurai confiance, c’est rassurant, je serai plus serein...’ ‘»’ Il est légitime qu’un parent ait le souci de la sécurité de son enfant, mais les situations concrètes ne sont pas abordées, rien ne permet de dire que le fait d’avoir accompagné le jeune soit le gage d’une plus grande sécurité. Le résultat de l’accompagnement apparaît comme quelque chose de magique, un élément qui viendrait préserver le jeune. ‘«’ ‘ Je sais à peu près comment elle va réagir, je me ferai peut-être moins de souci. Ce n’est pas dit, mais j’aurai moins de souci.’ ‘»’Derrière  ces mots, nous comprenons : ‘«’ ‘ je ne suis pas sûre que, seule au volant, elle va réagir comme je l’ai vue faire pendant deux ans, mais on peut dire que j’aurai tout fait, en tout cas, le maximum que je pouvais faire pour qu’elle conduise en sécurité ’ ‘»’.

‘«’ ‘ Oui, un adulte qui nous prête la voiture, c’est... ça fait peur au début ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Avec les parents, en plus, on a confiance, on se permet plus de choses qu’avec un moniteur... ’ ‘»’

‘«’ ‘ Mon grand-père, il est relativement jeune, il a soixante-trois ans, j’ai l’impression qu’il a plus confiance. Moi aussi je lui fais plus confiance à lui : si lui il me dit de ralentir, je le fais car il doit y avoir un danger ’ ‘»’.

Confiance, ( latin confidencia, de fides, foi ) : assurance qu’inspire la personne ou la chose à qui l’on se fie. Ferme croyance en la probité de quelqu’un. Se sentir en confiance, sans crainte. Probité : droiture de cœur qui porte à l’observation stricte des devoirs de la justice et de la morale. Les adolescents sont touchés par le fait qu’un adulte leur prête la voiture et apprécient la confiance qu’on leur accorde. Cette confiance, ils en sont demandeurs, pour se sentir à l’aise et apprendre à circuler dans de bonnes conditions. En retour, ils accordent la leur, ce qui n’est pas une mince affaire. Nous pouvons affirmer que c’est un des rares domaines, peut-être le seul, où cela se produit. Partout on parle de conflit de générations, de manque de communication. Les adultes affirment que les jeunes ne sont plus comme avant et ces derniers ne se reconnaissent pas dans la société que nous leur offrons. Ce conflit n’est pas récent : ‘«’ ‘ Cette jeunesse est pourrie, les jeunes sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois ; ceux d’aujourd’hui ne sont pas capables se maintenir notre culture (...)’ ‘»’ . Ces propos sont ceux d’un prêtre enseignant mésopotamien vers 3000 avant Jésus-Christ ! Si la conduite accompagnée permet une amorce de rapprochement et une confiance réciproque, nous sommes en présence d’un phénomène dont les effets dépasseront largement le cadre de la conduite automobile.

‘«’ ‘ Maintenant, quand je sors, mes parents me sentent plus en sécurité, car ils m’ont vue conduire pendant deux ans ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Mon père trouvait que c’était mieux de faire des kilomètres avec eux, pour voir un peu comme on conduit, ça le rassure un peu ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Ça a surtout créé une confiance, c’est-à-dire qu’après, je prenais la voiture à dix-huit ans, je sortais au bal le samedi soir, ma mère elle dormait... et le paternel aussi ’ ‘»’ ‘.’

Les parents sont préoccupés par la sécurité de leur enfant. Les jeunes sont à l’écoute de ce souci et sont conscients de la complexité d’une relation parent / enfant. Ils s’engagent dans cette conduite accompagnée en sachant qu’elle aura pour effet de rassurer les adultes. Dans ces conditions, nous pouvons nous poser la question suivante : qui accompagne l’autre ? Est-ce l’adulte qui veut faire vivre à son enfant un maximum de situations de conduite, lui faire acquérir de l’expérience dans un cadre relativement protégé ? Ou est-ce le jeune qui circule pendant deux ans pour rassurer le parent, lui prouver qu’il peut conduire en sécurité, lui donner confiance ? La réponse n’est pas simple car il y a un peu de tout cela dans l’accompagnement. Le partage de confiance et d’écoute nous indique que nous sommes en pleine réciprocité éducative 99 . Le jeune apprend en circulant, il apprend à connaître l’adulte qui lui accorde sa confiance et l’accompagnateur « apprend d’apprendre » , sur l’adolescent et sur lui-même.

Globalement, l’ensemble des accompagnateurs recherche dans ce cursus d’apprentissage la possibilité de faire confiance à l’enfant. Finalement, ils nous disaient au départ :  l’A.A.C., ce n’est pas seulement parce que ça revient moins cher, c’est autre chose que des motivations matérielles. Il s’agit, on peut dire, de considérations humanistes qui se jouent. Nous retrouvons les déclarations du départ : ‘«’ ‘ J’ai choisi la conduite accompagnée, j’ai procédé de la sorte car je me rends compte qu’il faut aller au-delà de la manipulation du véhicule, il y a tellement d’accidents avec les jeunes, j’ai voulu faire partager mon expérience ’ ‘»’ .

On leur apprend la sécurité.

‘«’ ‘ Le point sur lequel je devais intervenir souvent, c’est le manque de prévision. C’est tout à fait clair, c’est l’anticipation des choses. C’est la première chose que je lui ai apprise, regarder loin devant, et les rétroviseurs, tout le temps ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Il y a des choses qui ne peuvent s’apprendre que par l’expérience, par exemple, je ne sais pas... l’anticipation, dans certaines circonstances ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Leur grand défaut, en sortant de l’auto école, c’est vrai, ils n’anticipent pas assez. Ils arrivent trop vite... Là, c’est notre rôle de les sensibiliser à ça ’ ‘»’ ‘.’

Les accompagnateurs pensent que leur rôle consiste à enseigner au jeune la sécurité, le moniteur parle plus de la manipulation du véhicule. Cela se traduit notamment par une situation concrète, l’arrivée sur un obstacle. Ils trouvent que les adolescents « n’anticipent pas assez », et vont trop vite, freinent beaucoup trop tard, au dernier moment. Nous discernons ici plusieurs éléments. Pour un conducteur expérimenté, il est très difficile de changer de place, de se retrouver à droite. Nous voyons les choses différemment et trouvons généralement que la voiture roule bien assez vite. Cela vient du fait que nous ne percevons pas les mêmes indices que celui qui conduit, que nous n’aurions pas pris les mêmes décisions, que nous n’avons pas le même style de conduite. Si, de plus, celui qui est au volant est son enfant, le « passager » est doublement impressionné : par l’allure de la voiture, il a l’impression qu’elle ne pourra pas s’arrêter, mais aussi par la façon de faire du jeune. L’accompagnateur se dit que si le jeune agit ainsi en sa présence, il aura le même comportement lorsqu’il circulera seul au volant. De ce fait, l’adulte fait « anticiper » l’adolescent, c’est-à-dire regarder plus loin, prévoir, et ralentir plus tôt. Cela contribue aussi à rassurer le parent, pendant la phase accompagnement et lorsque le jeune conduit seul. Dans certains cas, l’apprenti conducteur va peut-être trop vite, n’anticipe pas assez, mais il est difficile de faire la part des choses et de tenir compte des différences de perception selon qu’on est au volant ou non. Les jeunes adhèrent à cette idée et affirment avoir fait des progrès : ‘«’ ‘ C’est vrai qu’au début mon père freinait avant que je freine, maintenant j’ai une bonne anticipation, ça ne marche pas mal ! ’ ‘»’ ‘, ’ ‘«’ ‘ J’ai fait de nets progrès sur l’anticipation, dans certaines situations... on voit plus grand, on va chercher d’autres informations ’ ‘»’.

De façon plus large, les parents apprennent au jeune la sécurité et donnent de l’assurance, de la responsabilité :

‘«’ ‘Je trouve qu’avec les parents, on leur apprend plus la sécurité ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Ça sert à lui donner de l’assurance...pour qu’elle puisse affronter la route avec le maximum de chance... et le maximum de responsabilité ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ J’ai l’impression qu’ils se responsabilisent par rapport aux parents ’ ‘»’ ‘.’

Les adultes préfèrent sentir le jeune moins hésitant au volant, plus sûr de lui, car ils craignent qu’il soit désarmé, débordé, incapable de faire face à une situation difficile. L’accompagnement conduit le jeune, selon eux, à adopter un comportement responsable. Nous avons ici les premiers éléments de la notion de citoyenneté : être attentif à soi, attentif aux autres, et nous commençons à entendre parler de prise de risque raisonnable.

Les inconvénients.

  • « Un inconvénient à cet apprentissage, peut-être qu’on peut se sentir plus sûr que les autres... c’est quand même bien ».
  • « Le gros inconvénient de la conduite accompagnée, c’est que ça donne confiance en soi : donc ça donne de la vitesse, automatiquement ».
  • « On a l’impression qu’on a toujours conduit, on est trop confiant, on se permet par exemple d’aller un peu plus vite que la personne qui n’est pas sûre d’elle ».
  • « On se sent tellement sûr de soi, qu’on va beaucoup trop vite. C’est peut-être l’inconvénient du système, on est trop sûr ».
  • « Ça doit pas être fait pour tout le monde, il y a certainement des gens, ça leur convient bien, ils s’entendent peut-être. Et d’autres, bon, c’est pas la peine ».

Les jeunes voient à la conduite accompagnée un inconvénient : ayant pris de l’assurance, de la confiance en soi, ils sont conscients qu’ils roulent vite, plus vite que leurs camarades qui apprennent à conduire à dix-huit ans. Dans leur esprit, le lien entre la vitesse et les accidents semble clair. Etre sûr de soi constitue pour eux un élément négatif. Nous ne retrouvons pas cet argument dans les entretiens avec les accompagnateurs. Pourquoi ? Peut-être leur semble-t-il normal, naturel, de conduire vite lorsqu’on est sûr de soi, à l’aise au volant. De toute évidence, eux ne font pas le lien entre vitesse et insécurité.

Nous pouvons développer ici l’opinion des personnes qui prennent position contre la conduite accompagnée. Les oppositions sont de deux natures. La première réside dans une méconnaissance totale de la particularité du processus d’apprentissage A.A.C. Nous avons transcrit une seule interview d’un conducteur hostile à la conduite accompagnée, mais il n’est pas rare de rencontrer ce genre d’argumentation. L’ensemble de ces interlocuteurs s’est fait une opinion basée sur le fait que la conduite accompagnée consiste à remplacer le système auto-école et que les parents jouent le rôle d’un moniteur. Les à priori se comprennent aisément. Comment circuler avec un jeune qui n’a suivi aucune formation pratique et n’a aucune connaissance des règles élémentaires du Code de la route ? Généralement une explication assez brève et synthétique du dispositif suffit à les convaincre et parfois à les rallier à ce cursus. Néanmoins quelques exceptions persistent dans leur position. La seconde opposition est d’une autre nature. Il s’agit de personnes qui se sont renseignées et qui connaissent parfaitement le dispositif. Les principaux arguments sont différents des précédents, ils consistent notamment à se déclarer incapables d’accompagner. Il s’agit en général de conducteurs peu sûrs d’eux, qui ne veulent pas transmettre leur fébrilité au volant, ou alors d’automobilistes qui se déclarent « bons », mais qui ne veulent pas prendre en charge l’éducation routière de leurs enfants, qui ne se sentent pas investis de cette mission. Ils préfèrent confier cette tâche à des professionnels.

Parcourir ensemble au minimum trois-mille kilomètres afin que le jeune accumule de l’expérience nécessite une relation saine. Nous l’avons constaté dans la majorité des cas. Parfois, c’est l’occasion de resserrer les liens, de renouer le dialogue et d’apaiser les tensions qui ont pu naître ailleurs. Il ne faut cependant pas affirmer que la conduite accompagnée peut remédier à tout. Le témoignage du jeune qui a quitté ce cursus de formation est édifiant. Les protagonistes conscients des difficultés qui vont se présenter à eux ne s’engagent pas dans le système. Ceux qui n’ont pas été assez clairvoyants sont contraints de l’abandonner.

Notes
99.

LABELLE (J-M.), La réciprocité éducative, P.U.F, 1996.