1.3. L’accompagnement.

Les conditions de circulation.

‘«’ ‘ L’avantage, c’est qu’on roule le jour, la nuit, sous la pluie, par brouillard... à l’auto école on ne peut pas faire tout ça.  ’ ‘»’

‘«’ ‘ Elle nous a vus rouler de nuit, elle nous a vus rouler sur la neige, sous la pluie, après je lui dis : je prends la voiture, pas de problème, quoi, j’avais les clefs tout de suite. ’ ‘»’ ‘’

‘«’ ‘ Le premier a dû faire quatre mille cinq cents kilomètres, par tous les temps... ’ ‘»’

La circulation dans des conditions atmosphériques difficiles a, aux yeux des acteurs, une importance considérable, car ils la jugent dangereuse. Le fait d’avoir été confronté à ces situations leur semble primordial et tous se disent plus confiants pour l’avenir. C’est le reproche généralement exprimé par les conducteurs à la formation en auto école : on ne vit pas ces conditions et on se trouve en difficulté, ensuite, seul sur la route.  

La relation jeune / accompagnateur.

‘«’ ‘ Cette période a permis de beaucoup discuter ’ ‘»’.

‘«’ ‘ On a d’excellentes relations avec mes deux filles... mais malgré tout, ça a peut-être renforcé ’ ‘»’.

‘«’ ‘ On discute de tout et n’importe quoi, ça n’a pas eu d’incidence ’ ‘»’ ‘.’

Lorsque le dialogue est ouvert entre parents et enfants, la conduite accompagnée n’a pas d’incidence sur la relation. Elle peut néanmoins renforcer les choses ; ce peut être un moment, un endroit privilégié pour discuter et renouer des liens qui s’étaient distendus :‘«’ ‘ Il n’y a pas eu de moments de friction, parce qu’il était convenu qu’il ne fallait pas qu’il y en ait... dès le départ ’ ‘»’.

Au fil du temps, on peut aussi constater une évolution : ‘«’ ‘ Au début on ne parlait que de conduite, mais après, au cours des voyages, on a eu l’occasion de parler de tout, ça a certainement renforcé des choses, des sujets qu’on n’aurait certainement pas abordés sans ça ’ ‘»’. Derrière ces propos, nous décelons deux idées : au fil des kilomètres, de l’acquisition d’expérience, de la confiance, le jeune peut soutenir une conversation et parler de chose et d’autre sans incidence sur sa conduite ; en outre, la relation jeune / adulte évolue, et, se sentant écouté, à l’aise, l’adolescent aborde des sujets qui d’habitude ne sont pas au centre des discussions.

– ‘«’ ‘ Ce que j’ai remarqué, moi, c’est que je pensais que ce serait un gamin qui roulerait très vite en voiture, en fait, c’est faux ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Je ne le connaissais pas sous l’angle conducteur, mais je me suis rendu compte qu’il est très raisonnable, comme dans la vie ’ ‘»’.

Circuler pendant deux ans avec son enfant permet à l’accompagnateur de découvrir certains traits du caractère de l’adolescent, de le voir sous un jour différent et peut-être avoir avec lui une relation différente.

– ‘«’ ‘ Je vois, avec mon père, ça allait tout seul... avec elle, il faut accélérer... parfois je me fais crier dessus ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Mon paternel, c’est un angoissé, il est comme moi, il intervenait souvent...c’est stressant, c’est affolant, même ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Mon père avait plus confiance en moi, ma mère, elle, est un petit peu stressée ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Mes parents, je crois qu’ils ont peur, ils me stressent complètement et je ne fais que des bêtises au volant ’ ‘»’.

Les jeunes ont besoin de calme, d’être à l’aise au volant. Si l’adulte intervient trop souvent, ils le sentent stressé et sont déroutés. Ils traduisent cela par un manque de confiance. Le premier rôle de l’accompagnateur est bien de mettre l’adolescent en confiance : tous les parents peuvent-ils le faire ?

– ‘«’ ‘ Je préférais conduire avec mon père, il me donnait plus d’initiative ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Je préfère avec ma mère, car elle me retient moins... moi j’aime conduire comme les jeunes ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ J’aime bien prendre l’initiative, quoi, aborder le sujet. Au début, j’étais souvent frustré pour ça ’ ‘»’ .

– ‘«’ ‘ Je sais, je ne laissais peut-être pas assez d’autonomie, mais vous savez, c’est drôlement impressionnant ’ ‘»’.

L’adolescent préfère circuler avec un parent ou l’autre. Le critère le plus important, pour lui est l’initiative, l’autonomie. S’il se sent trop bridé, trop surveillé, trop guidé, il pense que l’adulte ne lui fait pas confiance. Les accompagnateurs affirment faire des efforts pour éviter d’intervenir trop souvent, mais avouent que c’est très impressionnant, surtout au début. Il est apparemment difficile de trouver un compromis : laisser l’initiative au jeune, mais assurer néanmoins la sécurité. Un dialogue permanent et une écoute attentive du jeune devraient aider à vivre cette période.

Un moment privilégié.

Geneviève JURGENSEN parle de la façon dont s’est déroulée la conduite accompagnée, très inégale suivant l’état dans lequel elle se trouvait, elle. ‘«’ ‘ Autant, quand je me suis laissée forcer le volant, je suis là  grrr... ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Si on s’est mises d’accord toutes les deux et qu’on se dit ’ ‘«’ ‘ ça va être chic, elle n’a que seize ans, je suis fière, elle est au volant ’ ‘»’ ‘, à ce moment-là je peux être parfaite. C’est bien, elle est en confiance, moi je sais qu’on ne risque pas grand chose, à la vitesse où elle va. ’ ‘»’ Elle trouve, que si on le fait bien, c’est un moment de réconciliation. C’est un moment privilégié pour rétablir un dialogue rompu. Par exemple, le fils qui rencontre de vrais problèmes scolaires a pu être mis en valeur car il conduit très bien, c’est quelque chose d’un peu réconciliateur, un peu guérisseur dans une famille, en tous cas, c’est bon pour tout le monde.

Jalousie : lors des parcours en famille, la fille conduit à côté de son père. ‘«’ ‘ Je les voyais trôner devant, bavarder et tout, et moi j’étais reléguée derrière avec le petit et je me disais que ce n’est pas ma place, ma place elle est devant. Et donc il y avait un côté peut-être même de jalousie un peu, de rivalité ’ ‘»’. La maman percevait cette situation comme si la fille prenait sa place auprès de son mari. Sa place d’adulte, d’une part devant, mais aussi sa place d’épouse.

Recul sur la pédagogie : ‘«’ ‘ Au fond ça m’a vite énervée de voir que Mademoiselle se met au volant et ensuite attend que je fasse tout le boulot barbant qui est de dire ’ ‘«’ ‘ il y a une bifurcation à tel endroit ’ ‘»’ ‘, pour aller à la campagne quand on ne sait pas exactement le chemin... C’est un peu facile ! C’est très agréable de conduire, le seul aspect un peu fastidieux c’est de préparer son trajet justement ’ ‘»’ ..

Effectivement, dans ce cas l’accompagnateur prend en charge une partie de la conduite, il ne participe pas ou peu à la responsabilisation du jeune. Pour une plus grande efficacité pédagogique il eut été préférable de lui dire : « Tu veux conduire, alors prépare ton parcours ». Des moments de découragement : « C’était des moments d’énervement, je lui disais « mais, enfin arrête-toi, tu as bien vu ! ». Il y a un moment, on ne comprend pas ce qui se passe. On s’énerve soi-même ». S’apercevant qu’un jeune conducteur possède un temps de réaction relativement long et ne prend pas toujours la décision la plus appropriée, l’accompagnatrice a tendance à se désoler.

Néanmoins, elle se rend compte, en voyant conduire sa fille, que ça demande beaucoup de maturité, de se dire, tiens j’ai loupé l’embranchement, il faut que je cherche tranquillement un endroit où je vais pouvoir reculer et tourner, où c’est autorisé, où c’est faisable. Globalement, l’accompagnement demande des efforts constants, une prise en compte du jeune, de ses possibilités et une maîtrise des moments de découragement qui peuvent survenir. Le ressenti de cette période privilégiée reste positif car les satisfactions sont grandes au cours de ce moment unique, singulier d’accompagnement.

Le respect des règles de circulation.

– ‘«’ ‘ C’est vrai qu’on a tendance à ne pas respecter les règles de conduite, la signalisation, les choses comme ça  ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ On a fait la descente en Espagne, on a transgressé la limitation de vitesse sur autoroute... je voulais m’assurer aussi qu’il était capable de conduire dans un flot de voitures à vitesse...  ’ ‘»’

– ‘«’ ‘ C’est vrai qu’on conduit à notre façon... mais enfin, ce n’est pas toujours possible, parfois les autres nous poussent... On ne peut pas respecter les limitations, il faut rouler dans le flot ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Au sujet de l’allure, je ne lui ai jamais rien dit, sauf quand il dépassait les bornes, je le laissais rouler dans le flot de véhicules ’ ‘»’.

Les accompagnateurs, conducteurs expérimentés, ont tendance à prendre des libertés par rapport aux règles, au Code de la route, et plus particulièrement aux limitations de vitesse. Divers motifs sont invoqués : la vitesse, ce n’est pas dangereux, il faut rouler dans le flot... Au fil des années, les conducteurs se sont forgés leur propre code de sécurité. En assurant le rôle d’éducateur, ils font adopter au jeune un comportement qu’ils jugent adapté à la situation, au détriment des règles. Ce comportement adapté souffre cependant de la subjectivité des parents. A quel moment le jeune prend-il des risques ? Quand dépasse-t-il les bornes ?

– ‘«’ ‘ Mon père est un excellent conducteur, sans vanter ses mérites, il conduit très bien, il voulait faire des rallyes... Il n’a pas peur de la vitesse, avec lui je pouvais dépasser un peu... Je roulais à cent, cent dix  ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Pour la vitesse, j’estime qu’une grande ligne droite, il n’y a aucun risque, je peux forcer un peu... ’ ‘»’

– ‘«’ ‘ Ma mère est très respectueuse du Code de la route, mon père, lui, en ce qui concerne la vitesse, non. Au contraire, même souvent au début quand j’étais en conduite accompagnée, moi je respectais totalement les vitesses, il me disait : là tu peux aller un peu plus vite, il n’y a pas beaucoup de monde, la route est bonne, il n’y a pas de danger’ ‘»’.

Les jeunes reprennent le discours des parents sur le respect des règles, des limitations de vitesse. Ils disent ne pas les respecter pendant la phase conduite accompagnée, ni lorsqu’ils conduisent seuls, après avoir obtenu le permis de conduire. Dans leur esprit, ces entorses aux règlements ne nuisent pas à la sécurité. Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent, après avoir circulé pendant deux ans en transgressant les règles de circulation, avec la caution, l’assentiment d’un adulte ? Ce dernier autorise, confirme le jeune dans l’idée que c’est possible. Cette position est non-structurante pour l’adolescent et s’installe en lui un rapport à la règle qui le desservira plus tard. Aujourd’hui, il roule vite... et demain ?

Nous avons ici les premiers éléments de la notion de citoyenneté : être attentif à soi, attentif aux autres, et nous commençons à entendre parler de prise de risque raisonnable.

L’accompagnateur : un modèle pour le jeune.

– ‘«’ ‘ Il se passe une chose : c’est qu’on se remet en cause au moment de cette conduite accompagnée, on se corrige de ses défauts, pour qu’elle ne prenne pas les mêmes... et pour ne pas avoir la réflexion... quand même on est là en guise de modèle ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Quand elle est là, je fais très attention à ma conduite, c’est normal pour... c’est vrai, les enfants, ils imitent beaucoup ! ’ ‘»’

– ‘«’ ‘ Quand je conduis avec elle, c’est vrai que je lève plus le pied, je m’aperçois que je fais plus attention aux panneaux, quand je conduis et qu’elle est à côté, j’ai l’impression qu’elle me surveille ’ ‘»’ ‘.’

Les accompagnateurs conçoivent leur rôle comme un éducateur, un « prof ». L’image qu’ils ont de ces fonctions est celle qu’ils ont gardée de leur scolarité : l’enseignant est un modèle, un exemple, il doit être irréprochable. Ils ne veulent pas que leur enfant ait une mauvaise image d’eux en tant que conducteur. Les conducteurs expérimentés ont l’habitude de rouler seuls. La présence de l’autre a pour effet de censurer des actions quelque peu « hors règles ». Ils redoutent que l’adolescent reproduise, lorsqu’il conduira seul, le « mauvais » comportement qu’il observe chez l’adulte pendant la phase accompagnement. Ils s’efforcent donc de montrer « le bon exemple ». Notons une dissonance chez l’adulte : il conduit à sa façon, avec son propre code de sécurité, et ne pense pas prendre de risques. Mais il craint que le jeune reproduise cette façon de faire, car il a, pour lui, le souci de l’accident. En outre, les adolescents ont circulé toute leur enfance avec les parents et ont bien noté leurs pratiques ; changer ces pratiques lors de l’accompagnement... c’est certainement nécessaire, mais est-ce crédible ?

– ‘«’ ‘ Mes parents, oui, ils font attention quand ils conduisent, parce qu’au début ils me faisaient des remarques, moi je leur disais : mais vous, vous le faites bien... c’est vrai, ils font attention... le feu orange, les virages coupés, les clignotants... ’ ‘»’

– ‘«’ ‘ Ma mère, je la disputais déjà avant, elle conduit très mal : c’est brutal, elle est en sur-régime, sous-régime... une femme au volant ! ’ ‘»’

Les jeunes sont conscients que les parents font des efforts pour bien conduire, que la conduite accompagnée est l’occasion pour eux de se remettre en cause. Si cela est nécessaire, ils osent dénoncer leurs mauvaises habitudes.

– ‘«’ ‘ Quand mon père conduisait, je lui disais toujours ce qui n’allait pas, car il conduit à sa façon, ça n’a rien à voir avec l’auto école ! Alors, quand il me fait des remarques, ça fait bizarre ’ ‘»’.

– ‘«’ ‘ Parfois, lui il me faisait des corrections et moi je lui disais : non, à l’auto école on ne m’a appris comme ça ! Par exemple le pied sur l’embrayage, les mains sur le volant... ’ ‘»’

Nous retrouvons ici des éléments de la réciprocité éducative. L’accompagnateur change, se change en « formant » l’adolescent. Dans sa démarche, il apprend aussi, la situation permet aux deux personnes d’apprendre.

– ‘«’ ‘ Il y a d’une part celui qui forme... ça le remet dans le bain, parce que ma mère, elle avait vingt ans de conduite... ça l’a remise dans le bain pour les panneaux... ’ ‘»’

– ‘«’ ‘ Parfois, ils ne savaient pas les panneaux, c’est moi qui leur disais ’ ‘»’.

L’adulte bénéficie de ce que le jeune a appris à l’auto école : formation par ricochet ou réciprocité, l’adolescent est fier d’apporter des informations à ses parents. Ces derniers le reconnaissent : «J’ai appris certaines choses avec le moniteur, j’en ai appris d’autres avec les enfants  » .