Conclusion.

Notre démarche de terrain avait pour objet de nous aider à connaître l’Apprentissage Anticipé de la Conduite en allant au-delà des attendus, des concepts théoriques qui avaient présidé à sa mise en place. Les entretiens avec des jeunes, des accompagnateurs et de professionnels de la conduite nous ont permis d’identifier les pratiques effectives, sur le terrain. L’analyse de contenu des interviews permet d’éclairer plusieurs « pistes ». Pour les jeunes qui s’engagent dans la conduite accompagnée, la voiture, la conduite constituent un plaisir, un moyen de liberté, un accès à l’autonomie. Les représentations sont, à seize ans, identiques à celles de leurs aînés de dix-huit ans. Maryse SIMONNET-PERVANCHON 101 analyse le processus de construction d’un imaginaire collectif. Pour 1200 jeunes Européens, la voiture « C’est le plaisir des sensations fortes  » ,   « C’est l’instrument même de la liberté  » , «  C’est l’accès à de nouveaux rivages d’aventure.  »   Penser qu’un adolescent voit dans la voiture seulement un moyen, un outil de déplacement et choisit de conduire accompagné pour l’aspect utilitaire, c’était ne pas prendre en compte l’ancrage de l’idée du jeune.

Les parents sont-ils les meilleurs accompagnateurs ? Après que l’enfant ait obtenu le permis de conduire et circule seul, ils se disent rassurés, confiants et sereins. La conduite accompagnée contribue à donner aux parents la conscience que le jeune se déplace en sécurité. Le souci permanent qu’il puisse « avoir un accident » est moins vif ou un peu plus enfoui. Les adolescents prennent en compte cette préoccupation des adultes. En ce sens, la relation est particulièrement riche et serait d’une autre nature avec un accompagnateur étranger à la famille.

Nous constatons néanmoins une confusion entre statut et rôle. Les parents se sentent à l’aise dans leur statut : tous pensent être responsables de l’éducation de leur enfant. Leur première préoccupation est la valeur d’exemple et s’efforcent, en présence du jeune, de respecter les règles de circulation, le Code de la route. Mais, comme les conducteurs, au fil des ans, se sont forgé leur propre code de sécurité, ils interprètent les règles et ne les respectent que s’ils sont convaincus de leur impact. L’image qu’ils ont de la conduite s’est construite avec leur expérience. La transmission de cette image souffre de sa subjectivité.

Une conséquence se fait sentir pendant la conduite accompagnée et dès qu’ils roulent seuls : les jeunes ne respectent pas les limitations de vitesse. Eux-mêmes en sont conscients et affirment être un peu trop sûrs d’eux et circuler bien assez vite, en prenant parfois des risques. Ils voient en ce phénomène le principal inconvénient de l’A.A.C. Les adultes se questionnent sur le rôle qu’ils doivent jouer comme accompagnateurs et avouent improviser, car ils ne savent pas trop comment s’y prendre. Ils sont conscients que, pour conduire, le jeune a besoin de calme, d’être à l’aise au volant. Le premier rôle de l’accompagnateur est de mettre l’adolescent en confiance. Un dialogue permanent et une écoute du jeune sont indispensables pour vivre cette période. Concrètement, le point le plus délicat est l’autonomie du futur conducteur. Les parents sont conscients que le jeune doit être capable, le plus tôt possible, de circuler sans aucune indication de leur part. Mais, ils avouent que c’est très impressionnant, surtout au début et ont tendance, parfois, à intervenir trop tôt, en gênant l’adolescent.

La relation jeune / adulte évolue au fur et à mesure des kilomètres. Les parents découvrent leur enfant à cette occasion. La conduite accompagnée permet un rapprochement. Ce phénomène peut avoir des effets qui dépasseront largement le cadre de la conduite automobile. Des répercussions se feront dans la vie de tous les jours et l’impact sur la vie future du jeune nous paraît considérable. Au cours de la phase accompagnement, l’adulte apprend des choses. Il apprend du jeune, « par ricochet », par exemple un point du Code de la route, vu à l’auto école ou une manière de procéder dans certaines circonstances. L’adolescent lui dévoile sa personnalité, son mode de pensée, son caractère, son comportement dans cette situation particulière que constitue la conduite automobile. L’adulte se découvre lui-même, en se remettant en cause pour l’occasion. Nous sommes en présence d’un cadre privilégié pour la réciprocité éducative.

Les réunions périodiques sont surtout utiles aux parents qui voient là l’occasion d’exprimer leur vécu et d’obtenir des indications sur la façon de procéder. Les jeunes s’expriment peu et se sentent exclus. Le moniteur est vu comme un médiateur, quelqu’un qui vient mettre un terme à un litige.

Jeunes et adultes souhaitent une formation pour les accompagnateurs. Cette demande est formulée en termes de mise au point sur le Code de la route et quelques leçons de conduite pour harmoniser les pratiques au volant. La position des enseignants de la conduite n’est pas très éloignée. Un parent parle de sensibilisation à la sécurité routière et d’une formation « pédagogique ». La suite de cette recherche nous fournira certainement quelques éléments à ce sujet.

Jeunes et parents reconnaissent qu’après une certaine période, après avoir circulé un peu accompagnés, les premiers « anticipent plus ». Pour eux, anticiper, c’est : ‘«’ ‘ Regarder loin, arriver moins vite, freiner plus tôt, voir plus grand, chercher d’autres informations, adopter un comportement responsable ’ ‘»’ . Pour les jeunes et les accompagnateurs interviewés le bilan de l’A.A.C. est positif. Ils pensent avoir trouvé dans ce cursus d’apprentissage ce qu’ils recherchaient : la possibilité d’une confiance mutuelle lorsque le jeune part seul au volant, titulaire de son permis de conduire. Les parents, ayant pris une part active dans l’éducation à la sécurité routière de leur enfant sont plus sereins car ils savent comment conduit le jeune, comment il anticipe sur les situations, en se rendant plus attentif à lui-même et aux autres.

Ce ne sont que des premiers éléments, exprimés en termes très généraux, qui parlent de prévision, une sorte d’appel en creux de la conduite citoyenne, de l’attention aux autres. La suite de notre recherche prendra appui sur ces premières informations.

Notes
101.

SIMONNET-PERVANCHON (M.), op. cit., p. 12.