2. Les acteurs et la notion de citoyenneté.

Pour nous, la notion s’apparente au comportement du conducteur au volant d’une automobile qui adopterait une conduite apaisée. Son attitude générale se caractérise par l’attention qu’il porte aux autres. Les éclairages théoriques et notamment le modèle retenu ont enrichi notre concept. Un recueil de données empiriques nous semble nécessaire pour véritablement rendre compte des réalités des différents acteurs.

Nous allons pour cela analyser ce que certains acteurs de la sécurité routière entendent par conduite citoyenne. Nous avons interviewé deux responsables nationaux d’associations de victimes de la route. Nous nous sommes rendu personnellement à Paris, au domicile de Madame Christiane CELLIER et au bureau de Madame Geneviève JURGENSEN. Ces deux personnes, après avoir perdu un proche dans un accident de la route ont créé chacune une association en vue de réduire le nombre de victimes d’accident. Leur témoignage est particulièrement édifiant et nous éclaire sur la notion de « conducteur citoyen ». Trois enseignants de la conduite automobile et de la sécurité routière, deux candidats venant d’obtenir le permis de conduire et leur enseignant, un Délégué au Permis de Conduire et à la Sécurité Routière, un responsable du Ministère des Transports nous donneront un autre éclairage sur ce terme. Nous avons sélectionné, en vue de leur analyse : un article intéressant d’un directeur de recherches de l’INRETS, un débat télévisé entre une Responsable d’association de victimes de la route et un pilote automobile, deux émissions de télévision au sujet de la violence au volant et une émission de radio commentant les débats d’un tribunal qui traite un accident de la route aux conséquences particulièrement graves. Parmi les nombreuses retransmissions radio ou télévisées sur le thème de l’insécurité routière nous avons choisi celles-ci car elles dessinent bien les contours de la notion de conduite citoyenne d’une part et elles nous permettent d’autre part de recueillir les opinions et réactions de personnes connues, telles un pilote automobile, des journalistes, des cinéastes, des victimes d’accidents…

Nos interlocuteurs se sont exprimé longuement sur le sujet, la notion de citoyenneté recouvre effectivement de nombreux aspects. Nous avons parfois débordé, notamment en développant les opinions sur la conduite accompagnée, mais l’imbrication des sujets nous a conduit à mener de front les deux thèmes.

Notre analyse thématique des données empiriques recueillies (ces dernières figurent en annexe 3, page 47) nous rend attentif aux thèmes suivants  : le respect des règles, la tolérance, l’éducation, la formation et les propositions.

Le paradoxe français.

‘«’ ‘ Nous n’avons pas le droit où que ce soit de rouler plus de cent trente, or sur ma propre voiture qui est une voiture familiale très quelconque, j’ai vu en venant que le compteur indiquait deux cent quarante ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Il faudra pour cela que l’Etat pèse de tout son poids, au risque d’être impopulaire et de se heurter au lobby des constructeurs automobiles ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ Nous attendons de cette mesure qu’elle change l’atmosphère générale sur tout le territoire français et européen. ’ ‘»’ ‘.’

‘«’ ‘ On vend des équipements dont ils n’ont pas le droit de se servir, donc on les vole, tout simplement. ’ ‘»’

‘«’ ‘ Est-ce que vraiment la très grande vitesse est dangereuse ? ’ ‘»’

‘«’ ‘ A l’heure actuelle, on nous demande des prodiges. On doit rouler à cent trente, moi j’ai une voiture, à mon compteur j’ai deux cent cinquante kilomètres à l’heure ’ ‘»’ .

Tous nos interlocuteurs sont frappés par ce paradoxe routier qui consiste à fabriquer et à mettre en vente, c’est-à-dire à la disposition de l’ensemble des conducteurs des véhicules capables de rouler à de très grandes vitesses, on parle de deux cent cinquante kilomètres à l’heure. Sur l’ensemble du réseau routier, la vitesse est limitée au maximum à cent trente kilomètres à l’heure. Pourquoi ? Les fins sont commerciales, démagogiques et les politiques n’ont pas le courage de s’opposer à ces lobbies. L’automobiliste qui acquiert un tel véhicule sait très bien qu’il sera tenté un jour ou l’autre de rouler vite. Jean-Pierre BELTOISE, lui, pense qu’il ne faut pas limiter la vitesse des véhicules par construction, qu’il faut former les conducteurs et leur laisser le libre arbitre. Son discours est orienté par son passé de pilote automobile et son activité actuelle qui est de diriger un centre de formation pour conducteurs expérimentés. La confrontation de son point de vue à celui de Geneviève JURGENSEN est particulièrement édifiante. D’un côté un discours élitiste, techniciste, de l’autre une approche humaniste prenant en compte l’aspect collectif et social de la circulation automobile. Personne ne peut affirmer que trente millions de personnes peuvent être au sommet de leur forme. Un jour, ils seront fatigués, distraits, ils auront eu un conflit avec d’autres... Les arguments émotionnels, affectifs ont tous été entendus. Aucun argument rationnel ne peut dire : on ne peut nulle part conduire à plus de cent trente kilomètres à l’heure, mais il est normal que toutes les voitures aillent à deux cents, voire deux cent cinquante kilomètres à l’heure si ce n’est plus. De nombreux conducteurs tentent de s’exonérer de leur responsabilité en renvoyant pouvoirs publics et constructeurs automobiles à leur paradoxe. Globalement, leur discours consiste à dire : d’une part, vous construisez des véhicules puissants et très rapides et d’autre part, vous limitez la vitesse sur l’ensemble du réseau routier. La responsabilité vous incombe, mettez-vous d’accord.

Certains disent : il faut prendre le problème à la base et brider les voitures, ainsi il ne sera plus possible de dépasser les vitesses. Comme l’affirme Geneviève JURGENSEN, si l’on fait tout pour que la voiture ne puise jamais être utilisée aux dépends des conséquences de son utilisation, la limitation par construction aurait effectivement comme conséquence de changer l’atmosphère générale sur nos routes. En effet, si l’usager sait qu’il ne peut physiquement, concrètement rouler vite, petit-à-petit il se fera à cette idée et intégrera définitivement que les grandes vitesses n’ont plus cours. Il pourra alors adopter une conduite apaisée et considérer le système routier comme un espace social.