Conclusion.

Notre société est basée sur le système de la réparation. Dans de nombreux domaines, nous ne nous donnons pas les moyens de la prévention. L’événement le plus représentatif est le naufrage du paquebot « ERIKA ». A défaut de se doter d’un système de transports maritimes fiable, une catastrophe sans précédent s’est produite. Nous assistons actuellement à une bataille de communiqués, de revendications centrées sur la volonté de chacun, de chaque victime, d’être indemnisé au plus juste au regard des dégâts qu’il a subis. Communes, entreprises, particuliers, tentent d’obtenir des indemnisations. Le profane a l’impression que c’est celui qui s’exprimera le plus haut et le plus fort qui obtiendra réparation, les autres attendront... peut-être en vain.

Un carambolage sur autoroute, douze morts, une centaine de blessés, on cherche un responsable, de préférence en éludant la responsabilité individuelle du conducteur : ‘«’ ‘ Certains avocats se demandent pourquoi la Société autoroutière n’a pas été mise en cause. ’ ‘»’ Une centaine de conducteurs impliquée ne pense pas que son comportement puisse être à l’origine de cette catastrophe. Il serait bien sûr plus « confortable », plus « socialement acceptable », de penser que la Société autoroutière est seule et entièrement responsable du fait de ne pas avoir interrompu le trafic.

De cette organisation découlent des comportements exceptionnellement individualistes. Les assurances fleurissent et les courtiers ne manquent pas d’imagination. Chacun veut se couvrir pour tout : assurance vol, incendie, accident, perte d’exploitation pour les entreprises, panne (l’usager qui crève une roue voit son véhicule pris en charge par l’assurance au pied de son immeuble). En cas de perte de la carte bancaire, pour éviter que notre responsabilité soit engagée, il faut immédiatement faire opposition. Si on a souscrit un contrat Assur-carte, on est dégagé de tous soucis. Même si des opérations ont été réalisées, cette garantie nous couvre à hauteur de vingt mille francs.

En Grande-Bretagne, les « pubs » négocient des couvertures particulières : si la température descend en-dessous de dix-neuf degrés au cours des trois mois d’été, les usagers consomment moins ; l’assurance pallie dans ce cas à la perte de chiffre d'affaires, ceci quel que soit le temps. Le dédommagement est lié à la seule température.

Aux Etats-Unis, les stations de ski se prémunissent contre le manque de neige, voire la compacité de celle-ci. Effectivement, s’il tombe une belle neige, compacte, les skieurs seront au rendez-vous. Si elle est de moins bonne qualité, lourde, mouillée, la fréquentation sera moindre. La preuve est faite qu’on peut se couvrir contre tous les risques.

Cette individualisation à outrance conduit à une déresponsabilisation de l’individu dans chacun de ses actes. Un homme se blesse, interviennent les « urgentistes », un incendie se déclare, on appelle les pompiers. Un larcin se produit, les forces de l’ordre sont mobilisées. Les notions d’altruisme, d’entraide tendent à disparaître au profit de la spécialisation de chacun des secteurs d’intervention.

Tout-à-coup, on demande au conducteur d’être citoyen, responsable, c’est-à-dire conscient des conséquences de ses actes. «  On ne peut pas être citoyen seul...  » Pour tendre vers un système de circulation sûr, le comportement de l’automobiliste doit s’inscrire dans une approche plurielle où sont développés la réglementation, le contrôle, l’aspect technique des véhicules et l’éducation.

Pour bon nombre d’auteurs, comme pour l’ensemble de nos interlocuteurs, la citoyenneté c’est le souci permanent des autres, des interdits et des possibles, c’est, au-delà de la connaissance et du respect des règles de fonctionnement, faciliter l’action de l’autre, l’action en retour constituant la base d’un changement de l’ensemble des comportements. Sur la route, cette démarche permettra d’atteindre la conduite apaisée qui sous-tend un système de circulation « civilisé ».