Conclusion.

Pour l’ensemble des jeunes, nous avons constaté une très grande lucidité dans les commentaires. Presque dans la totalité des cas, les remarques correspondaient tout-à-fait à la situation vécue. Notre présence dans les véhicules aux côtés de tous nous a permis de vérifier ce point et de constater qu’il n’y avait pas de commentaire décalé, plaqué sur une action de conduite, ou complètement déphasé.

Les jeunes conducteurs qui ont suivi une formation traditionnelle pensent que bien conduire, c’est bien manipuler son véhicule, le positionner correctement sur la chaussée et respecter scrupuleusement les règles édictées par le Code de la route. Leurs commentaires étaient souvent mal exprimés, nous avons constaté à cette occasion qu’ils ne maîtrisent pas un minimum de vocabulaire de sécurité routière. Néanmoins, ils expriment à leur façon la réalité de la situation. Leur perception est guidée par cette idée qu’ils se font de la conduite, ils pensent se déplacer ainsi en sécurité. Nous avons relevé des insuffisances dans la prise d’informations, une mauvaise sélection des indices utiles à la tâche de conduite, cette mauvaise discrimination étant source de perte de temps, la décision intervenant tardivement. Dans le cas d’Émilie et de Christian, la recherche d’indices était insuffisante, la sélection mal opérée, les indices les plus pertinents ont été occultés. Cette démarche les a conduits à la situation d’accident qui n’a pu être évitée que par une intervention sur les double commandes. Leur prise en compte des autres usagers se limite au constat d’un comportement observable. Leur prise d’indices ne comporte pas plusieurs scénarios possibles, on observe le processus : information/réponse. Cette démarche ne laisse aucune place à l’erreur.

L’approche d’Arnaud en est l’archétype : lui pense bien conduire, bien respecter les règles, il ne supporte pas l’erreur des autres. Nous sommes là aux antipodes de la conduite citoyenne.

L’analyse des commentaires de la conduite de jeunes ayant suivi le cursus d’Apprentissage Anticipé de la Conduite nous renseigne sur bien d’autres points. Leur façon de s’exprimer n’y est pas étrangère. Nous pouvons affirmer qu’ils se sont approprié un langage, un vocabulaire dans le domaine de la circulation et la sécurité routière qui appartient en général aux professionnels de l’automobile ou de l’enseignement de la conduite. Pour eux le respect des règles est nécessaire mais pas suffisant, ils anticipent en élaborant une « veille permanente de sécurité ». Ils prennent en compte l’aspect social de la route en adaptant leurs réactions aux différents profils de conducteurs rencontrés. Ils tirent partie de leur expérience en comparant les situations à celles précédemment vécues. Ils prélèvent des indices pertinents autres que réglementaires, pouvant constituer un danger. Ils anticipent en prévoyant et en anticipant les risques. Ils sont conscients de la faiblesse des moyens de communication entre automobilistes et s’assurent en conséquence d’être compris. Nous avons été agréablement surpris par la clairvoyance dont ils ont fait preuve, par rapport à l’identification des indices pertinents, du risque en général.

L’analyse de ces commentaires, la comparaison des « A.A.C. » et « traditionnels » montrent que les jeunes qui ont suivi le cursus Conduite Accompagnée mettent en place des opérations mentales différentes basées sur une prise d’indices différente, diversifiée, qui fait ressortir une plus grande attention à soi et aux autres.

L’observation critique leur permet de tirer des leçons du comportement des autres. Ils sont capables d’identifier rapidement la singularité d’une situation de conduite et « d’inventer » la réponse adaptée.

Ils vont au bout de l’opération mentale, en la verbalisant. Ils cristallisent leur attention sur l’analyse de la situation en termes de risques encourus et prennent mieux en compte les autres et leurs intentions. Leur attention va au-delà de la réglementation, elle porte sur les évolutions possibles d’une situation. Pour ce faire, ils mettent en place une stratégie de prise d’informations, de prise d’indices plus performante que ceux qui ont suivi une formation traditionnelle. Les jeunes qui ont suivi le cursus Apprentissage Anticipé de la Conduite ont, en général, une meilleure technique du regard. Ils sont de ce fait mieux armés pour circuler. Ils ne se dispersent pas dans la recherche des indices et dirigent leur attention vers un certain nombre de points particuliers, notamment les autres usagers et leur comportement, ils prévoient l’évolution permanente des situations de conduite.

Ils laissent un peu de côté les informations concernant le véhicule, la mécanique ou bien la route. Dans une situation de conduite donnée, ils font preuve d’une très grande clairvoyance sur ce qui est en train de se passer, ils peuvent ainsi adapter leur comportement à ce qui se joue réellement à ce moment-là. Une recherche d’indices plus élaborée, une analyse plus fouillée et plus complète, plus judicieuse, bref, une anticipation plus grande rend leur prise d’initiative beaucoup plus rapide, dans des situations équivalentes, que celle des jeunes en formation traditionnelle, et toujours appropriée à la singularité de la situation.

Pour les jeunes A.A.C. ayant eu un accompagnement plutôt du type ‘«’ ‘ prise de conscience ’ ‘»’, l’analyse des données verbales, confrontées aux données comportementales à bord du véhicule fait apparaître effectivement un degré supérieur d’analyse et de compréhension du phénomène routier. Même dans des situations de conduite simple, ils font preuve de plus d’anticipation : leur prise d’indices est dirigée vers la zone de risque potentiel. Leur veille permanente leur permet de ne pas se faire surprendre. Cette conduite tient compte en permanence des aléas possibles et encourage à garder constamment des marges de temps et d’espace. Cette anticipation continue, intégrée, est réaliste et sécurisante.

Ils respectent la réglementation, les autres et adoptent un comportement qui va au-delà : ils participent activement à la circulation. Ils ont l’intelligence des singularités. Leur expérience de circulation pendant deux ans avec un accompagnateur et leurs connaissances de la sécurité routière les amènent à établir un lien permanent entre la situation de conduite vécue et le risque potentiel qu’elle comporte. Les incivilités, le sentiment d’insécurité semblent faire place, selon nous, à un sentiment d’appartenance au système routier. Dans certaines situations, les jeunes ont vraiment fait preuve d’une conduite apaisée, entraînant la satisfaction de tous. Les autres usagers le manifestent par un sourire ou un geste et le jeune éprouve une certaine fierté à se comporter ainsi.