D. La prise de conscience de la notion de risque.

Nous avons dans un premier temps testé la démarche sur un groupe A.A.C. et un groupe FT. Le travail en sous-groupes a été difficile, à la restitution, peu de facteurs apparaissaient et les rapporteurs ne parvenaient pas à imaginer un scénario. En fait, ils n’avaient pas compris la genèse d’un accident. Les jeunes A.A.C. s’en sortaient mieux, verbalisaient d’une façon plus appropriée, mais n’arrivaient pas à imbriquer les facteurs, à les articuler pour parvenir à la situation d’accident. Nous avons décidé en préalable à l’utilisation du cas d’accident, de procéder à un apport d’informations sur la démarche REAGIR, sur les termes cause, facteur, et sur la nécessité de remonter dans le temps pour bien comprendre comment on arrive à la situation d’accident. Après avoir apporté cette modification dans notre démarche, les groupes ont beaucoup mieux fonctionné.

Soixante jeunes ont participé à ces travaux : trente ayant suivi une formation traditionnelle, trente A.A.C., dont dix jeunes A.A.C. ayant eu un accompagnement du type plutôt « prise de conscience ». Nous avons pu contacter ces derniers, qui avaient pris part à nos phases de conduite commentée. Dans chaque filière de formation, nous avons constitué des groupes de trois ou quatre jeunes.

Pour exploiter les productions des différents groupes, les analyser, les commenter, nous avons rassemblé toutes les feuilles des tableaux en papier remplies au moment de la restitution, enregistré tout les scénarii et les propositions et retranscrit le tout littéralement.

Pour procéder à l’analyse de l’ensemble des travaux, nous avons porté un regard sur les questions que nous nous posions : les jeunes comprennent-ils ce qui se passe réellement dans cette situation, sont-ils capables d’identifier les différents facteurs, c’est-à-dire nous expliquer en quoi tel élément a joué, a participé à la genèse de l’accident ? Peuvent-ils construire le scénario, comment voient-ils l’imbrication des facteurs dans la survenue de l’accident ? Car, finalement, c’est à ce moment là qu’ils nous diront : dans ce cas, à ce moment précis, moi, j’aurais plutôt fait comme ça. Enfin, nous détaillerons finement leurs propositions qui devraient nous confirmer ou pas qu’ils portent un regard distancié sur la circulation et la sécurité routières.

Caractéristiques des travaux F.T. (annexe 8 page 137).

Nous notons des imprécisions, voire une incompréhension de certains termes. Par exemple le facteur jeune conducteur est retenu pour expliquer un accident, alors que le terme inexpérimenté serait plus approprié. Globalement, une plus grande quantité de facteurs est retenue dans les domaines de l’environnement et du véhicule. Cela rejoint certainement l’idée que les jeunes qui ont suivi une formation traditionnelle se font de la conduite : on est au volant d’un véhicule qui évolue dans un environnement. Le risque vient essentiellement de ces deux éléments. Le virage, le revêtement, la signalisation, les pneus, la suspension sont des éléments qui peuvent intervenir dans un accident.

Lorsqu’un facteur concernant l’usager est cité, il s’agit d’une infraction par rapport à une réglementation : ils considèrent que le respect de la réglementation constitue un gage de sécurité, mais aucun élément sur les autres, sur l’anticipation, les différents scénarii possibles.

Les propositions portent essentiellement sur l’aménagement de l’environnement et sur le véhicule. Les actions sur les usagers consistent en des obligations (mettre la ceinture, prendre plus d’heures de conduite…) ou des interdictions (rouler moins vite, interdire les véhicules puissants…).

Caractéristiques des travaux A.A.C. (annexe 9, page 145).

L’ensemble des facteurs est bien relevé, dans les trois domaines. La notion même de facteur est bien expliquée avec ses possibles conséquences, par exemple le conducteur est sans emploi : il a certainement des soucis et n’est pas particulièrement attentif à la tâche de conduite. Les groupes ont relevé une plus grande quantité de facteurs dans le domaine de l’usager. Véhicule et environnement ne sont pas oubliés, mais nous constatons que pour les jeunes A.A.C. c’est bien un conducteur dans un état bien particulier qui se déplace dans un environnement donné à bord d’un véhicule. Ils s’attachent à décrire de façon précise le conducteur et les passagers pour nous faire comprendre comment on peut arriver à une situation d’accident. La réglementation est citée, mais les indices relevés vont bien au-delà (fatigue, soucis, inexpérience, antécédents…).

Les scénarii proposés intègrent bien l’ensemble des facteurs relevés et nous comprenons aisément la genèse de l’accident. Tous les éléments sont bien imbriqués les uns aux autres et sont révélateurs d’une bonne analyse de la particularité de ce cas d’accident.

Les propositions concernent les trois domaines : véhicule, environnement, conducteur. Nous constatons néanmoins dans ce dernier secteur, des initiatives telles que des actions de sensibilisation, de formation, de participation aux enquêtes REAGIR, d’utilisation de conduite commentée… Les participants considèrent qu’il est important de faire prendre conscience du risque à l’usager pour lui permettre de circuler en sécurité en identifiant rapidement ces situations de risque potentiel.

Caractéristiques des travaux de jeunes A.A.C. ayant eu un accompagnement plutôt du type « prise de conscience » (annexe 10, page 154).

Lors de l’analyse des facteurs d’accident, ces conducteurs font référence à leurs connaissances dans le domaine de la sécurité et de la circulation routières. Ils font le lien entre leur expérience, leurs connaissances et la situation rencontrée. Cette démarche leur permet d’identifier très rapidement le risque, et lorsque l’accident s’est produit, les facteurs déterminants. Leur attitude se caractérise par un éveil important envers les autres. Les scénarii qu’ils nous proposent font apparaître un enchaînement de facteurs qui nous montrent que l’on se dirige inexorablement vers une situation d’accident. Les propositions comportent de nombreux éléments dans le domaine des conducteurs : éducation, formation, sensibilisation…Ils revendiquent leur participation à diverses commissions de sécurité routière et aux enquêtes sur les accidents. Ils désirent prendre une part active à la construction d’un système de circulation plus sûr. Nous reconnaissons là le conducteur citoyen actif et son besoin d’être impliqué.

Nous pouvons présenter un exemple de restitution d’un groupe.

« Dimanche après-midi 24 février vers 16 h 40, quatre jeunes rentrent d’une fête de SALON et se rendent chez l’oncle du conducteur Monsieur L., à CORNILLON. Il fait beau, le trafic est faible, la route est sèche, néanmoins le revêtement est médiocre. Monsieur L. a dix-neuf ans, son permis de conduire depuis un an, il est donc inexpérimenté. Le véhicule, appartenant à son père, une renault 5 Alpine Turbo, puissante, est chargé, quatre personnes à bord, il n’a pas l’habitude de conduire un véhicule chargé. Ils circulent dans une zone difficile : 4,5 Km de tracé sinueux. On peut penser que, vu la difficulté, le conducteur est assez attentif et qu’il adapte son allure à l’environnement.

Sorti de cette zone difficile se présente 1,8 Km de tracé facile avec une grande ligne droite. Que s’est-il passé ? Jeune, ambiance festive, trois amis dans la voiture, un véhicule puissant, on peut penser que le conducteur s’est libéré dans cette zone et a accéléré franchement. A combien ? ‘«’ ‘ Allez, montre-nous à combien elle va la voiture de ton père ! ’ ‘»’ Une vitesse très élevée, l’attention qui se relâche dans un parcours facile, l’ambiance joviale, le plaisir de conduire, de rouler vite...

En arrivant sur le double virage, le conducteur a-t-il vu le panneau qui annonçait le danger ? On peut penser que non. Quoiqu’il en soit, il arrive beaucoup trop vite dans ce virage (vitesse supérieure à 110 km/heure).

Il arrive à négocier le premier virage à gauche en freinant et en ralentissant son allure. Il est surpris par le second virage à droite. Il freine encore, car ça va encore trop vite, tourne le volant à droite pour prendre le virage à droite. Il sent à ce moment-là la voiture qui part de l’arrière vers la gauche. Il freine alors encore plus fort et donne en grand coup de volant à gauche.

Il se produit dans ce véhicule un transfert des masses important. Le freinage violent renvoie tout le poids, véhicule/passagers, vers l’avant, le coup de volant à gauche non maîtrisé car donné comme un réflexe a pour effet de bousculer les occupants non ceinturés, de les projeter contre la paroi droite du véhicule. A ce moment-là, tout le poids véhicule/passagers est transféré sur la roue avant droite. Quelle était la pression de cette roue ? On ne sait pas puisqu’elle est crevée. Soit

elle a éclaté à ce moment-là, soit toute la pression est partie car il s’agit d’un pneu sans chambre.

Déséquilibrée la voiture part en tête-à-queue et va heurter le muret à gauche (le pneu avant droit a peut-être éclaté en touchant le muret). La voiture est projetée dans l’autre sens, traverse la route, et va s’immobiliser dans un champ.

Les quatre occupants sont tous dans un état grave. »

Ce scénario est particulièrement bien élaboré, les facteurs s’enchaînent et les jeunes voient bien comment on en arrive à l’accident.