2. Les fondamentaux en terme de posture.

Pour parvenir à des comportements citoyens sur les routes, nous recommandons que les programmes d’éducation, de formation, de sensibilisation, de communication aient bien pour visée l’état d’esprit des usagers. Nous allons exposer ce que devaient être les « fondamentaux » de toute action de formation ou d’éducation à la sécurité routière. Les grands principes que nous avons évoqués ne restent pas au seul niveau théorique. Un début de mise en œuvre apparaît ici ou là.

Nous pouvons citer comme exemple cette école située en BELGIQUE, Province du Luxembourg : la « Gentleman Driver School ». Nous nous sommes rendu sur place et avons rencontré Monsieur Gaëtan DETROZ, ingénieur commercial qui nous a présenté les installations et le mode de fonctionnement. Les cours s’adressent à des conducteurs d’entreprises en vue de leur perfectionnement, d’autres sont spécialement étudiés pour des usagers ayant commis un excès de vitesse qui se voient proposer par le Parquet de Marche-en-Famenne une formation en alternative aux sanctions.

Nous allons dans ce chapitre donner alternativement des recommandations sur ce que devrait être une formation incluant les « fondamentaux » et faire référence aux pratiques observées.

L’essence, l’esprit de la « Gentleman Driver School »

L’histoire nous apprend qu’en 1895 au départ du raid Paris-Bordeaux-Paris qui va « mettre au monde » l’automobile, il y avait déjà un équipage composé de Gentlemen Drivers : sportifs sans doute pour se lancer dans cette aventure de 1200 kilomètres à parcourir en moins de cent heures, férus de mécanique certainement puisque toutes les réparations éventuelles devaient être réalisées par les occupants de la voiture, amateurs enfin puisqu’à l’inverse des autres participants (Peugeot, Levassor, Michelin, Bollée, etc...) ils ne venaient pas défendre les couleurs de leur atelier ou de leur marque.

Cette première ébauche complète et nuance les images que tout conducteur associe presque naturellement à l’expression «  Gentleman Driver  » . Elle évoque les gants de cuir, la casquette et le foulard, les cabriolets et le « vert anglais ». Oui, ce terme nous renvoie à l’Angleterre. Pourtant, ce n’est pas de ce côté de la Manche qu’est née l’automobile, et moins encore le sport automobile. A défaut, l’Angleterre peut toutefois se prévaloir d’être le berceau notamment du football et du rugby : un sport viril, brutal, et qui pourtant véhicule des valeurs hautement morales et philosophiques! Les Anglais ne se sont pas contentés d’inventer les sports qui aujourd’hui crèvent l’écran : ils ont surtout inventé le fair-play qui doit aller avec. Le fair-play c’est la pratique d’un sport, n’importe lequel, dans le respect des règles du jeu, de l’esprit du jeu, et de l’autre.

Conduire est une activité qui réclame habileté et attention, deux notions qui participent à la définition du sport. Etre fair-play au volant est donc une attitude dont l’École défend la cohérence parce qu’elle obéit à un ensemble complexe de règles, la conduite est aussi un art. Si nous ne sommes pas, pour la plupart, des conducteurs professionnels, il est d’autant plus important d’insister sur le plaisir que procure la belle ouvrage et la perspective de progresser vers une véritable expertise. Dans le cas contraire, la conduite sera considérée comme une activité laborieuse et exécutée machinalement, avec les conséquences les plus négatives en termes de sécurité et d’économie.

Regarder, c’est « porter la vue sur quelque chose ».

Il s’agit donc d’une action, souvent consciente mais aussi parfois réflexe : notre regard est attiré par la lumière. Il peut aussi être attiré par le mouvement : un piéton qui bouge dans notre vision périphérique, une voiture qui apparaît dans le rétro. Dans certains cas, il vaut mieux que le regard ne se laisse pas attirer, parce que notre attention sera détournée de ce qui est alors plus important.

C’est dans ce cadre qu’on peut parler de « maîtrise du regard » : orienter son regard dans une direction qui est la plus indiquée alors même que l’on est tenté de l’orienter vers d’autres objectifs.

Également important à prendre en considération : le contact visuel entre usagers. Il n’y a pas de meilleur moyen de mesurer les intentions des autres. En premier lieu, le contact visuel vous assure que vous avez été perçu. Ensuite, il vous indique assez bien quelle sera l’attitude de ce conducteur, motard, cycliste ou piéton. Lorsque ce n’est pas un regard direct, ce contact peut s’établir via le rétroviseur, spécialement avec les camions que vous voulez dépasser.

En principe, il y a corrélation entre la direction fixée par le regard et les mouvements que nous faisons avec le volant pour amener la voiture dans cette direction. Mais cette règle comporte d’importantes exceptions :

- Il est important de balayer du regard de manière assez large, sans se contenter de ce qui se passe droit devant ; cela n’implique pas pour autant que la voiture oscille d’un côté à l’autre de la route !

- En cas de sous-virage, le volant ne doit pas suivre les yeux : ce sont les yeux qui doivent fixer un autre objectif.

Observer, c’est ‘«’ ‘ regarder avec attention les êtres, choses, événements et phénomènes pour les étudier, les surveiller et en tirer des conclusions ’ ‘»’.

Il n’y a pas de doute : au volant, une vision efficace ne suffit pas, elle doit servir un sens de l’observation développé et constamment en alerte.

Mais, cette définition met en évidence deux autres éléments très importants :

- Il faut surveiller : quoi et pourquoi ? L’expérience sera un guide précieux, mais en rapport avec ce que nous dirons sur l’adhérence et la vitesse, il faut surveiller tout ce qui pourrait nous obliger à freiner ou tourner.

- Il faut tirer des conclusions : ce n’est plus le rôle d’un organe de perception comme l’œil, mais bien celui d’un outil d’analyse qui va faire appel à de multiples paramètres. L’expérience encore, mais aussi la « vision », le « regard » que l’on porte sur les choses et la vie en général seront déterminants dans les décisions du cerveau. Le problème sur la route est que bien souvent, on ne voit pas aussi loin que ce que l’on pourrait souhaiter. Il y a des obstacles qui réduisent notre champ de vision : sur les côtés (haies, maisons, arbres, voitures parquées, buttes, etc...) ou devant nous (reliefs, autre usager, etc...). C’est dans ces zones d’ombre que se cachent les pièges de la route. C’est pourquoi nous proposons d’aller plus loin encore que la simple observation : faire preuve d’anticipation.

Anticiper.

«  Action de prévoir, d’imaginer des situations ou des événements futurs  » .

Paul FRÈRE, pilote automobile : ‘«’ ‘ Aussi importante que soit l’anticipation sur un circuit, elle l’est plus encore ’ ‘«’ ‘ elle est même vitale ’ ‘»’ ‘ sur route ouverte. C’est ici qu’intervient ’ ‘«’ ‘ l’intelligence de la route ’ ‘»’ ‘ ou ’ ‘«’ ‘ road sense ’ ‘»’ ‘. Nous pouvons décrire cela comme étant la faculté du conducteur d’avoir l’attention immédiatement attirée par toute ce qui peut mener à un changement de situation et réclamer une réaction appropriée de manière à gagner du temps, ou pour augmenter sa sécurité et celle des autres. Un conducteur expérimenté n’est contraint qu’exceptionnellement à prendre de mesures d’urgences : pour lui, l’urgence ne se manifeste quasiment jamais ’ ‘»’ .

Anticiper, c’est donc faire l’effort d’imaginer plusieurs scenarii possibles, sans se contenter de ce que l’on voit. Il s’agit ensuite d’observer tous les signes qui vont indiquer lequel est finalement en train de se produire, et enfin d’agir en conséquences. En faisant cet exercice on peut vraiment dire que la (mauvaise) surprise deviendra un cas exceptionnel. Il s’agit d’un comportement que l’on décrit en anglais comme «  what if...  » , et qui vaut également la peine d’être défendu dans la vie courante. Nous avons reproduit cette démarche sous forme de tableau (annexe 15, page 171). Le conducteur conscient des conditions de genèse d’un accident a  « le sens de la route », se pose sans cesse la question de ce qu’il va découvrir, reste en éveil et anticipe pour ne jamais être surpris.

«  L’art suprême est celui du hasard  »

Miguel DE UNAMONO

L’accident, étymologiquement, vient de accidere. Au premier sens, accidere signifie « tomber vers ou sur » ; par exemple : tomber du ciel sur... l’idée de quelque chose qui arrive par hasard, de façon imprévue et dont on ne peut se protéger ; nous avons appris que « nos pères les Gaulois » ne craignaient qu’une chose : que le ciel leur tombe sur la tête. Au second sens, accidere signifie arriver, mais aussi bien dans un sens favorable que dans un sens défavorable. L’accident est donc un événement fortuit (fors = le hasard), imprévisible : avoir gagné au loto est un accident au même titre que s’être fait écraser. Ainsi qu’il y a, dans la vie, de bonnes et de mauvaises réussites, alors que « il a réussi dans son entreprise » désigne toujours une sortie, une issue favorable, l’accident a pris, petit à petit, une connotation négative, le sens d’un événement fâcheux, malheureux. Le petit Larousse, avant 1960, écrivait : « accident : événement fortuit, ordinairement fâcheux ». Il écrit en 1983 : événement malheureux ou dommageable ; le caractère fortuit a disparu tant a été grande la pression sur le public : il n’y aurait pas d’événement fortuit car un accident a toujours une cause. Pierre GOGUELIN, Professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers, explique la survenue des accidents du travail et situe la notion de hasard 109 . Il développe la thèse de la multiplicité des causes, qui signifie que chaque accident est lié à la production simultanée ou successive, à la conjonction, d’événements indépendants, dont aucun d’entre eux, se produisant isolément, ne pouvait créer cet accident. Il la critique ensuite en montrant les limites de l’arbre des causes d’un accident. Pour lui, pour être sûr d’éliminer tout accident, il faudrait éliminer toutes les causes et être certain que l’analyse par l’arbre des causes est exhaustive et rigoureusement exacte, tâche impossible, ce qui signifie que la technique de l’arbre des causes peut diminuer le nombre des accidents mais non supprimer tous les accidents.

Dans la genèse de l’accident, le hasard, sous forme de rencontre fortuite de deux facteurs susceptibles d’intervenir conjointement est fréquemment repérable. L’idée est ainsi traduite par P. GOGUELIN : ‘«’ ‘ Nous pouvons dire que les accidents, s’ils ne sont pas dus au hasard parce qu’ils ont des causes, sont liés au hasard par la conjonction de ces causes à un instant précis ’ ‘»’ .Cette évocation du hasard qui suggère bien vite l’idée de fatalité, à une époque où l’on s’attache au contraire à dégager des mécanismes de l’accident, parfois complexes, mais toujours précis, a de quoi choquer. Il ne faut pas y voir là de provocation mais la reconnaissance d’une réalité. Mais l’erreur, peut-être induite par le glissement vers la fatalité, serait de croire que l’accident amené en partie par le hasard, serait alors non ou difficilement évitable.

En principe, si l’on connaît l’état d’un système physique à l’instant t et les lois qui le régissent, on peut déterminer l’état de ce système à tout instant ultérieur. Or, dans presque tous les systèmes complexes comme celui-ci, une variation infime d’une seule des conditions initiales (du fait d’une détermination imprécise) peut engendrer des états du système qui deviendront vite totalement différents : c’est le phénomène, dit de dépendance sensitive des conditions initiales 110 (l’auteur cite D. RUELLE et la notion de « prédictibilité » des accidents : possibilité de prédire l’évolution d’un système quelconque à partir de la connaissance de l’état de celui-ci à un moment donné), qui empêche de prévoir l’état des systèmes au-delà d’une « certaine durée » dite « horizon prédictif ».

Lorsqu’on examine les variations initiales, retrouvées grâce l’effort d’analyse récursive, on constate qu’il s’agit souvent d’écarts relativement banals et peu annonciateurs de « l’ événement-accident » qui se prépare. Autrement dit, dans le début de sa genèse, l’accident est difficilement prévisible.

Cependant, une faible incertitude sur les données initiales conduit rapidement à une incertitude très importante sur les résultats. L’évolution des faits conduisant de celles-ci à ceux-là peut, autrement dit, être considérée, dans cette perspective, comme relevant d’un processus aléatoire.

Trois points de vue sur l’intervention du hasard dans la genèse des accidents ont été présentés : le hasard comme entité évoquée lorsque notre entendement est dépassé 111 , le hasard exprimant l’incertitude sur la convergence de processus indépendants et le hasard lié au phénomène de dépendance sensitive des conditions initiales, c’est-à-dire à l’incertitude des conséquences de modifications des données initiales d’un système complexe. Ces différents points de vue ne correspondent ni à des définitions du hasard qui s’opposeraient, ni même à l’appréhension de phénomènes distincts. Il s’agit d’aspects d’une même réalité : notre difficulté à prédire l’évolution de tout système un peu complexe. La production d’un accident s’inscrit généralement dans un tel contexte.

Pour Pierre GOGUELIN, le recours à des méthodes d’étude (ou à des modèles) qui respectent et intègrent les aspects aléatoires des événements accidentels constitue un progrès dans la meilleure connaissance de la genèse des accidents en vue de la prévention.

Pour Patrice SALINI, de l’Observatoire Economique des Transports (O.E.S.T.), peut-être est-ce d’une certaine manière une évidence (celle des aléas des dangers) dont il faudrait sensibiliser les futurs conducteurs et conducteurs confirmées. Il reste à remplacer le fatalisme et la prudence par une capacité effective (humaine et technique) à réduire les conséquences des aléas ou a les mieux prévenir. ‘«’ ‘ Ce devrait être en toute logique un nouveau défi pour la sécurité routière. Un champ réel de recherche et de pédagogie’ ‘ 112 ’ ‘ ’ ‘»’ .

Pied-frein.

La technique du pied-frein vient coiffer cette progression : transfert du pied devant la pédale du frein mais sans appuyer : en cas de nécessité, le freinage effectif débutera au moins une seconde plus tôt, et l’effet de surprise sera moins grand. C’est un exercice difficile, exigeant, qui sera appliqué des milliers de fois sans se justifier pleinement, mais qui sauvera peut-être un jour la vie à un piéton ou évitera au conducteur de percuter un arbre tombé dans un virage.

Afin d’essayer de cerner au plus près l’esprit du « Gentleman Driver », l’école développe des thèmes comme les règles de politesse, le respect de l’esprit, le respect des autres.

Dire «  Merci  » .

On peut bien sûr considérer que la stricte application du Code de la Route par un usager ne mérite aucun remerciement particulier, mais il y a des circonstances où il serait si facile de ne pas le respecter que la maîtrise des autres se doit d’être saluée. C’est le cas par exemple dans les passages étroits qui ne permettent pas le croisement de deux voitures. Bien des conducteurs appliquent la technique du ‘«’ ‘ premier sur place ’ ‘»’, même lorsqu’un panneau ou la disposition des lieux indiquent clairement l’ordre des priorités. Les conducteurs qui respectent ces règles, même lorsque l’envie est grande de les enfreindre, méritent assurément un petit signe de la main en guise de remerciement.

Ici aussi, le contact visuel entre usagers est important : autant lorsqu’on remercie que lorsqu’on offre. Quant il fait noir, un bref appel de phares fera l’affaire.

Car il est important de remercier : cela encourage l’auteur d’un « beau geste » à rééditer l’expérience. Dans le cas contraire, quelques expériences malheureuses auront vite entamé ses bonnes dispositions et il rejoindra les rangs de ceux qui appliquent au volant la règle du plus fort ou du premier servi.

Respect de l’esprit.

Prendre le volant, c’est jouir d’un accès à la mobilité que la plupart d’entre nous considèrent désormais comme un droit. On peut d’ailleurs dire que, historiquement, rien ou presque n’a été fait pour démentir cette revendication : l’automobile est devenue un produit de grande consommation et la liberté qu’elle procure est l’une des plus symboliques qui soient : un véritable bastion !

Ce droit, si on veut le considérer comme tel, est néanmoins assorti de toute une série d’obligations que l’on oublie ou que l’on néglige trop souvent : ce sont les règles dont nous venons de parler. Or, le Code de la Route pose toujours les problèmes en termes d’obligations, non de droits : par exemple dans un carrefour il précise qui doit céder le passage, non qui peut le prendre.

Le pas n’est pas grand qui sépare le « droit » de l’abus de droit : de nombreux conducteurs ne se soucient de rien si d’aventure ils ont « la priorité ».

Enfin, le droit à la mobilité a un pendant : le droit à la sécurité. Ce dernier devrait primer sur tous les autres, surtout pour les usagers faibles, et en particulier pour les plus jeunes. La voie publique n’est qu’une partie de l’espace public, qui appartient à tous les citoyens. Considérer la route comme un territoire « naturellement » réservé aux automobiles est une véritable imposture. Les

conducteurs devraient se considérer comme tolérés, sans plus.

Respect des autres.

La conduite d’une automobile est une activité individuelle, c’est évident. Si on y réfléchit bien, cela n’est pourtant pas aussi évident que cela. Les « autres » sont directement concernés par la manière dont nous conduisons, qu’ils se trouvent ou non dans notre véhicule, qu’ils se trouvent ou non sur la voie publique. Il est même possible d’aller plus loin encore en affirmant que le conducteur expert se fixera comme objectif de prendre soin non seulement des personnes dont il a la responsabilité directe, mais encore de prévenir et d’assister les conducteurs moins avertis qui pourraient commettre des erreurs sur son chemin. En ce sens, on peut pratiquement parler d’esprit d’équipe et la comparaison que nous pouvons faire avec le rugby est pleinement justifiée.

Autres conducteurs.

L’anticipation est un travail difficile : il faut élaborer des scénarii et observer tous les indices qui peuvent informer le conducteur sur celui qui va finalement se dérouler. Ce travail serait grandement facilité si tous les conducteurs utilisaient les moyens techniques à leur disposition pour manifester leurs intentions avant d’agir. Le plus évident est le clignotant et pourtant, il s’agit d’un organe en voie de disparition. Son non-usage est non seulement dangereux, il est également frustrant pour les autres.

Clignoter-ralentir-tourner : une séquence dont l’ordre est bien souvent retourné par les conducteurs. Or, le non-usage du clignoteur est pour nous dangereux, égoïste, mais aussi le signe d’un manque de concentration et d’anticipation de la part du conducteur observé. Il agit tard, sans préparation : lorsqu’il tourne, s’il n’a pas mis son clignotant, pourquoi aurait-il pris le temps de vérifier que personne ne vient en face ou qu’il ne coupe pas la route d’un cycliste ou d’un piéton ?

L’utilisation inappropriée des feux de route, des feux de position ou des antibrouillards est un autre exemple de non-respect des autres conducteurs : il est dangereux, frustrant, et entretient la confusion quant à l’application du Code de la Route.

Autres usagers.

Parmi les autres usagers, il y a surtout les usagers faibles, c’est-à-dire ne bénéficiant pas de protection particulière ou d’une protection sensiblement moins efficace que celle dont jouit l’occupant d’une voiture.

Force nous est de constater qu’une vieille loi bien connu n’a pas encore complètement disparu... de la circulation : la raison du plus fort est toujours la meilleure !

Quel que soit votre mode de locomotion, il faut garder à l’esprit que cette règle reste d’application indépendamment de tous les codes en vigueur : il ne sert à rien d’être « en droit » et pourtant accidenté, blessé ou tué. Dans la plupart des cas on peut compter sur un réflexe de conservation : peu de conducteurs sont prêts à se jeter sous les roues d’un camion qui leur force le passage. Mais nous devrions avoir ce réflexe également pour les autres : les inconscients, les distraits, les incompétents, les imprudents, ceux qui ont un problème technique, etc...

Le pire scénario qu’un conducteur puisse rencontrer est celui de l’accident : qu’il soit en tort ou en droit ne change pas grand-chose à l’affaire, et il doit mettre tout en œuvre pour éviter qu’il se produise.

Autres passagers.

Les passagers que nous emmenons dans notre voiture devraient être traités avec tous les égards. Ils nous font confiance, spontanément ou forcés par les circonstances. Cette confiance doit être méritée par une attitude plus prudente encore. Le conducteur d’une voiture chargée de passagers doit être conscient que deux choses fondamentales ont changé : le poids de la voiture, donc ses capacités d’accélération, de freinage et de virage (qui sont sensiblement moins bonnes qu’à vide), l’ambiance dans l’habitacle : la distraction, l’inattention, la manipulation intempestive des commandes et surtout l’émulation sont possibles.

Il n’est pas acceptable non plus que les passagers ne soient pas tous attachés convenablement. En tant que passager il n’y a pas de honte à le demander, en tant que conducteur il n’y a pas de gêne à l’exiger. En France, on estime que chaque année quarante personnes meurent dans des accidents de voiture, écrasés par des passagers assis à l’arrière sans être attachés...

Les autres sont aussi autant d’occasion de nous tester et de nous comporter en Gentleman Driver : tolérer la faute des autres, s’excuser de celle(s) que nous commettons, céder le passage aux piétons, remercier le conducteur prévenant... Tous ces petits événements ne se produiraient pas si nous étions seuls sur la route. Or, nous conduisons aussi pour être vus (et si possible appréciés) par les autres.

Le fair-play et l’anticipation sont deux notions qui sont très régulièrement au centre d’anecdotes puisées dans l’histoire de l’automobile, et qui sont proposées aux stagiaires. Elles permettent d’aborder ces sujets sensibles de manière ludique, et d’insister sur le fait que même les conducteurs les plus habiles du monde ont des déficiences qui peuvent s’avérer catastrophiques.

Lors des sessions théoriques, les animateurs essaient de faire participer au maximum les stagiaires de manière à ce que leur expérience personnelle soit prise en compte et enrichisse le cours. Chaque fois que c’est possible, l’exposé est remplacé par une véritable discussion de groupe dont chaque membre contribue à la progression des autres.

Les exercices pratiques constituent le prolongement naturel de la théorie. Ils ne visent en aucune manière à promouvoir les techniques dites d’urgence (freinage et contre-braquage notamment), mais au contraire à insister sur la nécessité de pratiquer intensivement et quotidiennement les techniques d’anticipation qui permettent d’éviter l’apparition des situations critiques.

L’habileté n’est pas la priorité car tous les conducteurs qui participent ont démontré qu’ils avaient le niveau requis pour déplacer un véhicule. En revanche, l’attention qu’ils consacrent à la route est bien souvent insuffisante, comme en atteste le fait que de nombreux conducteurs considèrent leur arrivée dans l’école comme le résultat d’une distraction (évidemment passagère). Le plus haut degré de l’attention, c’est l’anticipation, ou l’art de faire en permanence différents scénarii et de prendre les mesures nécessaires pour que même le plus défavorable ne mène pas l’accident. Or si on est distrait, il est évidemment impossible de parler d’anticipation.

Lors des études de cas d’accident, le jeunes ont élaboré des scénarii d’accident en cernant très justement le risque. Françoise CHATENET recommande d’inclure dans les modules de formation la capacité d’identification des situations à risque afin d’y faire face. Il est certainement intéressant d’aborder ce thème et d’effectuer des exercices sur piste. Pour notre part, nous recommandons, au moyen de la conduite commentée, de rendre le jeune capable de reconnaître dans une situation le premier élément perturbateur, annonciateur d’un enchaînement d’événements incontrôlables. La détection de cet indice doit entraîner systématiquement une action corrective : ralentissement, écart de direction… En nous inspirant des travaux de Michel ROCHE 113  , nous avons élaboré un schéma pour expliquer aux apprenants la survenue d’un accident (annexe 14, page 170). Dès que le conducteur prend conscience que l’écart entre l’exigence de la tâche et ses capacités diminue, il doit immédiatement réagir, c’est la survenue du premier indice. C’est ainsi que nous définissons l’anticipation.

Notes
109.

GOGUELIN (P.), Hasard et accident, Préventique n°38, 1991, p.14.

110.

RUELLE (D.), Déterminisme et prédictibilité, In L’ordre du chaos, Bibliothèque « Pour la science », Librairie Belin, 1987, pp.136-145.

111.

CUNY (X.), GOGUELIN (P.), La prise de risque dans le travail, actes des journées d’études et de réflexion, chaires de Psychologie du Travail et d’Hygiène et Sécurité du Travail,CNAM, Juin 1988, éditions Octares / entreprises, 1988.

112.

SALINI (P.), Réflexions sur l’évolution de la mobilité et de la sécurité : réduire la fatalité, Actes du colloque sur l’Education et la formation, « un autre regard » sur la sécurité routière, Publication Ecole Nationale des Conseillers d’Education Routière (ENCER), 1989, p. 220.

113.

ROCHE (M.), Généralités sur la prévention des accidents, La Prévention Routière, 1995, p. 57.