CHAPITRE I
OBJET ET CADRE DE LA RECHERCHE

INTRODUCTION

L’objectif principal de cette étude réside dans une théorisation des processus de transmission psychique lors d’une transplantation hépatique pédiatrique auprès d'enfants transplantés et de leurs parents.

Par une analyse clinique dans un cadre méthodologique de recherche, auprès de l’enfant et des parents, parfois de la fratrie, nous avons repéré les processus de traitement de la conflictualité psychique et intersubjective induits par la situation traumatique létale des enfants en attente de transplantation et celle des enfants déjà transplantés.

Nous nous engageons sur le chemin de la théorisation de cette pratique, par un accompagnement clinique de l’enfant et de ses parents, lors du programme de transplantation hépatique, afin d'identifier et d'analyser les processus psychologiques impliqués au cours des trois temps d’hospitalisation : pré, péri et post-transplantation.

Nous stipulons le terme famille et non enfant, puisqu'une transplantation pédiatrique nécessite l’écoute parentale qui, par ses investissements, déterminera le devenir de l’enfant transplanté dans la construction de son identité et de ses identifications suffisamment élaborées, pour se construire comme sujet de sa propre parole. C’est en ce sens que la problématique de « la transmission par un don psychique   » , d’un point de vue parental, nous interroge tout particulièrement pour construire un modèle de lecture afin d'accéder aux processus psychiques de l’entité père-mère-enfant inscrite lors de la transplantation de l’enfant dans cette mouvance des repères familiaux.

L'analyse et la mise en travail du dispositif méthodologique s'appuient sur une étude approfondie du matériel clinique recueilli durant quatre années, sous l’axe de « la transmission par un don psychique  » . A travers une étude théorico clinique de plusieurs situations d’enfants transplantés et de leurs parents, nous explorerons ce concept théorique dans la chaîne diachronique intergénérationnelle et dans la chaîne synchronique groupale.

La méthodologie clinique utilisée a été construite pour répondre à la problématique spécifique.

Trois points sont à noter :

  1. les patients (parents/enfants) n’ont pas été à l’origine de la demande des rencontres. De plus, ma position dans le cadre d’une recherche m’a située en place de tiers par ma non - appartenance à l’institution. Je me suis donc présentée aux patients en tant que chercheur-clinicien venant à leur « rencontre ».
  1. la pathologie elle-même a eu une incidence majeure sur la méthodologie. La violence de l’acte chirurgical, faisant effraction, en lien étroit avec la problématique de l’Eros et du Thanatos, du droit à la vie et aux limites de celle-ci, condense en un temps et en un lieu une vague déferlante d’angoisses et de fantasmes d’engloutissement. L’enfant, en « attente de vie ou de mort », dans cet « entre-deux » rendu possible par la trans-plantation d’un organe sain, en remplacement de l’organe défaillant, interpelle d’autant plus qu’un enjeu « à la vie - à la mort » est soulevé par sa place même d’enfant et de son droit à la vie, projection identificatoire des parents et de l’avenir familial.
  1. le cadre et le lieu spécifiques d’intervention de la recherche ont eu une incidence. Ma présence est intervenue en plein débat éthique sur le droit à transplanter par don intrafamilial. Ce terrain de recherche, Hôpital E. Herriot à Lyon, a été au centre de la polémique puisque le premier lieu en Europe à tenter les transplantations hépatiques, par donneur vivant pédiatrique, en 1992, et par la suite pour les adultes, en mars 1996.

Ces paramètres, nous ne pouvions ni les nier, ni les occulter, ils faisaient partie intégrante des facteurs de la recherche en transplantation hépatique pédiatrique. C’est en ce sens que le modèle classique de l’entretien clinique n’a pu être mis en place, par la spécificité du cadre et du mode de relation établis entre le chercheur-clinicien, l’enfant, les parents, l'institution (équipes médicales et paramédicales) et les enjeux éthiques soulevés par la pratique de ces nouvelles techniques chirurgicales.

Nous avons nommé ce type d’approches cliniques, « rencontres cliniques » qui ont lieu « au pied du lit des patients  » , selon le dispositif suivant : une rencontre semi-directive qui structure et donne sens à la rencontre avec le ou les parents présents et/ou l’enfant et des rencontres à visée thérapeutique plus spécifiquement adressées aux parents du fait d’une forte demande.

La médiation est déjà dans la problématique même de la transplantation par l’objet organe-foie, objet trans-planté - déplacé/détruit - construit/échangé - partagé. Dans la relation avec l’enfant, l’utilisation de médiateurs, dessins, objets sont des outils d’analyse venus étayer notre argumentation. De plus, ces objets sont le moyen trouvé par l’enfant pour expérimenter la place que « l’autre » lui accorde et le sens « donné » par une mise en scène de l’organique afin d’exprimer du symbolique, entendu ou non, par les adultes (parents et équipes…).

L’urgence à transplanter, avec son lot de probabilités (présence/absence de don potentiel), de faisabilité (physique/psychique) et cet "agir" constant comme processus défensif contre l’angoisse du vide, a pour effet auprès des adultes (parents/équipes) un envahissement idéationnel sur la pathologie de l’enfant lui donnant un statut d’objet dans leurs discours.

Ces constats nous ont amené à observer les processus groupaux parents-enfants-équipes. Ils laissent apparaître l’émergence d’une création d’un objet commun de relation comme mode d’expression d’une conflictualité psychique et intersubjective. L’observation est aussi un des dispositifs qui nous a permis d’approcher au plus près cette fracture psychique individuelle et groupale où se (re)structure, se (ré)organise, se (re)joue, « la transmission par un don psychique » par cette mise en scène d’objets symboliques fonctionnant comme une métaphore du réel.

Ce matériel, recueilli et étudié, a orienté notre investigation théorique sur les processus de « transmission par un don psychique  ».

L’acte de transplanter un individu ne nécessiterait-il pas l’élaboration d’un « processus de psychisation   », pour les parents et l’enfant, pré-requis à l’intégration psychique de la nécessité de transplantation hépatique ?

De plus, cette défaillance organique de l’enfant n’induirait-elle pas une réactivation d’une défaillance latente dans la transmission générationnelle ?

  • Au niveau parental, culpabilité et dette, ne se manifesteraient-elles pas spécifiquement, selon la nature du don, par « une réparation prométhéenne » de cette défaillance à travers « la transmission par un don psychique » ?
    • Pour la transplantation hépatique par donneur anonyme, la réparation physique s’effectuerait par un don organique extra familial : cette réparation physique, non parentale, n’induirait-elle pas un processus de dette et de culpabilité sur le mode d’un don psychique défaillant qui réinterrogerait de manière spécifique la transmission générationnelle ?
    • Pour la transplantation hépatique, à partir de donneur vivant apparenté, la réparation physique se « régénèrerait » par le don organique intrafamilial porteur d’une réparation psychique d’une culpabilité inter ou transgénérationnelle dont l’acquittement de la dette ne s’élaborerait-elle pas autour de ce don parental psychique et physique autopunitif ?
  • Au niveau de l’enfant : l’enfant n’exprimerait-il pas, au cours des temps d’hospitalisation, par la ré-interrogation et la mise en scène d’objets autour de jeux, dessins, figurines, la transmission d’un don organique générateur d’angoisses, et au-delà, « la transmission par un don psychique » ?
  • L’enfant ne nous interpellerait-il pas, au moyen d’objets, expression de la conflictualité intrapsychique, se transformant pour certains en objets transitionnels, de médiation, de relation structurant le questionnement sur ses relations avec autrui et avec lui-même en lien avec cette transplantation ?

Afin de répondre à ces questionnements, nous avons élaboré la problématique qui sous-tend cette recherche permettant de poser notre hypothèse fondatrice qui se scinde en quatre sous - hypothèses. Elles nous ont amenés à construire une méthodologie spécifique induisant, de fait, des limites que nous avons dû poser.