1-2 Hypothèse de travail

A partir de rencontres semi-directives, thérapeutiques et d’observations cliniques en milieu médical, auprès d’enfants transplantés hépatiques et de leur famille, plus spécifiquement des parents, le suivi en pré-péri et post transplantation, nous a conduit à nous interroger sur les conséquences psychiques et intersubjectives d’une transplantation hépatique d’un enfant au sein de la cellule familiale, en prenant en considération l’origine du don intra ou extrafamilial.

Ces questionnements, concernant l'organisation des processus psychiques et intersubjectifs, durant les temps de transplantation en pré-péri et post, nous ont guidés à formuler notre hypothèse fondatrice et les sous-hypothèses correspondantes qui prennent appui pour se développer sur cette idée centrale, fil d’Ariane, tout au long de cette étude.

L’hypothèse centrale de cette recherche est la suivante :

Dans le cadre d’une transplantation hépatique pédiatrique, l’acte chirurgical de donner et de recevoir un organe, réactiverait la problématique générationnelle par la mise en travail spécifique « d' une transmission par un don psychique   » pour les parents et l’enfant transplantés.

«  La transmission par un don psychique  » serait le processus organisateur d’un travail intrapsychique et intersubjectif, au sein de l’entité familiale (parentale et enfant transplantés), mettant en œuvre, « un processus de psychisation   » , une (ré)élaboration du transmis générationnel qui s’opérerait par un don psychique différemment en fonction, du type de don d’organe reçu (extra ou intrafamilial), du degré de symbolisation possible, et de la place en tant que parent ou enfant transplanté .

Cette hypothèse centrale traite de la question de «la transmission par un don psychique  » et s’articule autour de concepts fondamentaux qui seront développés à partir de quatre sous-hypothèses faisant référence, chacune, à un champ spécifique du questionnement, tout en restant liées les unes aux autres.

La transplantation hépatique, par don extra ou intrafamilial, serait un moment privilégié pour réinterroger l’intrapsychique et l’intersubjectif des liens familiaux sous la forme de «la transmission par un don psychique ». Les quatre sous-hypothèses réalisent une lecture des points théoriques prégnants, liés à cette problématique, en tenant compte de manière spécifique de la place du sujet, enfant transplanté ou parent (donneur ou non), impliqué dans un lien familial.

C’est ainsi que la première sous-hypothèse interroge «le processus de psychisation  » autour de deux pôles parents et enfants transplantés. Les deuxième et troisième sous - hypothèses s’attachent à étudier le processus du point de vue des parents, l’une, lorsque le don est extrafamilial, et l’autre, lorsque le don est intrafamilial. La dernière sous-hypothèse s’oriente autour des enfants en se centrant sur un langage extra verbal : l’objet, comme mode de symbolisation de «la transmission par un don psychique ».

1 ère - sous-hypothèse : du côté de l’enfant et des parents

«   La transmission par un don psychique   » , lors d’une transplantation hépatique, induirait l’élaboration « d’ un processus de psychisation   » pour les parents et l’enfant afin de se risquer à autoriser, à tenter la transplantation en l’intégrant, comme nécessaire, en post-transplantation et demanderait spécifiquement aux parents «  la désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux  »

«  Ce processus de psychisation   » se structurerait autour de trois phases successives (phase de négation, phase de tentative d’identification d’un coupable, phase de conflictualité), s’amorçant ou s’élaborant à des stades variables selon le degré de symbolisation psychique et intersubjectif.

Pour les parents, l’élément différentiel durant la phase du « processus de psychisation   » serait :

la découverte brutale, par les parents, de la maladie mortelle de leur enfant qui entraînerait « une désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux ».

L’entité familiale, dans son ensemble, serait en recherche d’une trace organique facilitant, dans le corps de l’enfant, l’expression de cette létalité. Cette trace, amorcerait « le processus de psychisation », orientant certains parents et enfants (en âge d’exprimer un consentement), vers une décision de transplantation par don extrafamilial, et pour les autres, vers un don intrafamilial. Ceci rendrait possible, en post-transplantation, une reconnaissance de la nécessité de cet acte chirurgical par ce travail préliminaire de symbolisation et d’élaboration « du processus de psychisation » s’inscrivant dans une « transmission par un don psychique  ».

2 ème et 3 ème sous- hypothèses : du côté des parents

2ème sous- hypothèse : T.H par don extrafamilial

L’autorisation des parents à pratiquer une transplantation hépatique par don extrafamilial chez leur enfant, réactiverait ou révélerait, par la situation traumatique anxiogène, une faille, une rupture dans la transmission générationnelle, et nécessiterait une (ré)élaboration du processus de «transmission par un don psychique » soit sous la forme d’un enkystement soit sous celle d’un dépassement pour permettre aux parents de mettre en travail la culpabilité d’une défaillance dans la transmission et l’acquittement de la dette par ce don extrafamilial.

Cette situation particulière, de transplantation d’un enfant en état de mort potentielle, si un don extérieur à la famille ne venait pas réparer la faille interne au groupe, est l’enjeu d’une mise en scène du psychique individuel et groupal. Les sujets vont devoir réinterroger les valeurs acquises selon la loi familiale et l’ordre des générations.

Cette introspection obligatoire du soi à soi et du soi aux autres, impose au père et à la mère de se (re)situer en fonction de leur place de fils et fille, d’époux(se) et de parents ayant mis au monde un enfant « mortel ». La culpabilité émerge avec une violence de son propre transmis ou faille dans le transmis générationnel. Les parents vont se requestionner sur leur propre place d’enfant. Mais la réparation n’est pas en eux, puisque c’est un tiers, une altérité autre, qui vient combler, redonner la vie.

L’acquittement de la dette s’élabore autour de ce don, donneur anonyme dont la vie s’est brutalement interrompue. Deux possibilités s’offrent pour autoriser l’acte de prélèvement sur un donneur anonyme : soit la personne avait fait part à son entourage de sa position sur ce sujet, soit le prélèvement s’effectue par consentement supposé du donneur signifié par un parent. La dette dont les parents et l’enfant vont devoir s’acquitter se fera, soit par une intégration de « l’autre en soi  » comme constitutif indifférencié de son soi grâce à une faculté interne au dépassement de la situation anxiogène et traumatique touchant au soubassement générationnel, soit par une identification externe, personnification d’immortalité psychique du donneur, les parents s’enkystant dans une blessure générationnelle réactivée par la situation de T.H de l’enfant.

3 ème sous-hypothèse : T.H par don intrafamilial

Le recours à une transplantation hépatique par don intrafamilial serait, pour les parents, une tentative de réparation dans «une métaphore prométhéenne» du transmis défaillant en (ré)élaborant «une transmission par un don psychique » autour de réminiscences d’une culpabilité générationnelle qui s’acquitterait par le paiement symbolique d’une dette au moyen d’un don sacrificiel autopunitif.

Les parents, dans la mise au monde de leur enfant, sont mis en défaut de parentalité. L’enfant à sa naissance est porteur d’une maladie mortelle. La pathologie centrée en un lieu déterminé du corps, le foie, et la possibilité technique de réparation par un des parents, ne sont que la métaphore symbolique du mythe de Prométhée avec ce désir de réparation constante de ce foie qui se régénère. Les parents ou le parent, se proposant comme donneur potentiel, et l’accompagnant non donneur pour leur enfant, ne donnent pas seulement un morceau de foie, mais au-delà, que transmettent-ils de fantasmes, d’attentes, de projections infantiles et parentales d’eux-mêmes, et d’inscription dans leur histoire individuelle, familiale et de couple ?

Nous formons l’hypothèse que ce geste s’accompagne d’un mouvement psychique de «transmission par un don » qui se structure autour de réminiscences, de (ré)élaborations de l’histoire individuelle et collective. Ce désir de réparation trouverait son origine dans une culpabilité latente et pouvant émerger lors d’un événement traumatique. La transplantation de l’enfant peut être un de ces facteurs, incidents de vie déstructurant, désorganisateurs réveillant une culpabilité qui s’origine autour d’un processus narcissique ou œdipien. Les parents en conflictualité ne parviennent à sortir de la situation traumatique que par une action réparatrice et autopunitive faisant intrusion dans leur corps par une cicatrice laissant trace dans l’avenir pour l’acquittement de cette dette.

4 ème sous-hypothèse : du côté de l’enfant transplanté

A l’intérieur du cadre hospitalier, les objets «trouvés-créés », par l’enfant transplanté tels que les objets transitionnels, de médiation et de relation, fonctionneraient comme un processus psychique spécifique à la transplantation lui permettant de mettre en travail, dans ce lieu, les modalités de «transmission par un don psychique ».

L’accession à la parole est difficile pour l’enfant transplanté, car exprimer l’interne reste une source anxiogène. L'analyse des rencontres avec les enfants transplantés fait ressortir la fonction prépondérante de l’objet mis en scène devenant objet à transmettre ou objet protecteur face aux agressions extérieures.

La mise en travail des rencontres et des temps d’observation avec les enfants transplantés, dans leur mode relationnel au sein de l’hôpital (parents - milieu médical), mettent en évidence des objets de médiation (dessins, jeux, objets personnifiés…), des objets de relation (peluches, tissus…), et des objets transitionnels (peluches, tissus…), dépositaires des affects anxiogènes, en devenant des objets à penser la transplantation.

Ces objets sont des organisateurs psychiques autour de la construction du sujet et dans l'expression de la conflictualité par les enjeux d'une «  transmission par un don psychique ».

MOTS CLEFS : Transmission par un don psychique – transplantation – processus de psychisation – situation traumatique – métaphore prométhéenne – désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux - réparation – culpabilité – don – dette – donneur réel – donneur par délégation.