2-2 Description du dispositif de recherche

2-2-1 Les rencontres cliniques : aspects généraux

Dans un bref rappel du fondement de cette recherche, nous avions expliqué précédemment qu’au cours de notre D.E.A, nous avions étudié la transplantation hépatique dans son ensemble, adulte et enfant. Le constat fut fort de repérer les difficultés amenées par cette démarche, pour établir une relation avec les parents d’enfants transplantés. Ceci nous a fortement interpellés en tant que cliniciens. Ce contexte de confusion par ces nouvelles techniques chirurgicales (bipartition et donneur vivant) impliquait des changements dans les pratiques pédiatriques.

Ces progrès techniques faisaient espérer un taux de survie plus important et rendait les parents plus exigeants quant aux possibilités de « non mort » de leur enfant. Il a fallu se positionner en dehors de tout débat théorico éthique pour obtenir la confiance des parents d’enfants transplantés afin de « mettre en travail » le psychique et l'intersubjectif.

Dans ce contexte d’hospitalisation, il nous est apparu, lors du suivi, que les rencontres cliniques, «au pied du lit du malade », constituaient un dispositif adapté à la démarche de recherche pour analyser au plus près le vécu familial dans le cadre de la transplantation d’un enfant. Au cours de ces rencontres cliniques s’établissait une relation transféro/ contre transférentielle favorisant l’émergence de la conflictualité dans le processus de «transmission générationnelle par un don psychique ».

Nous utilisons le vocable rencontre et non entretien par la nature même de la définition des termes. Une rencontre, selon le dictionnaire Robert, fait appel à une «  circonstance fortuite par laquelle on se trouve dans telle ou telle situation » mais aussi « le fait, pour deux personnes, de se trouver en contact, d’abord par hasard, puis par extension, de manière concertée ou prévue ». L’entretien quant à lui fait intervenir une action où sont échangées des paroles entre une ou plusieurs personnes.

Cette rencontre est fortuite et surdéterminée par la situation de transplantation. La personne n’a pas effectué de demande préalable. Cette première rencontre peut augurer des suivantes dans une demande implicite ou explicite à la fin de ce temps de parole. Elle n’est pas déterminée par un cadre fixe puisque « fortuite », à la différence de l’entretien qui nécessite un cadre particulier et défini.

Nous serons dans la même lignée théorique, développée par J-L Pedinielli lorsqu’il définit l’entretien clinique, en nous replaçant dans un champ clinique particulier, le domaine médical, donc, lors d’une rencontre clinique.

D’un point de vue théorique, le recueil du matériel, durant les rencontres, s’effectuera selon les mêmes modalités que celles définies par J-L Pedinielli, à savoir :

«  L’entretien clinique est le meilleur moyen dont nous disposons pour recueillir des informations, sur la souffrance ou les difficultés du sujet […] sur les faits auxquels il a été réellement ou imaginairement confronté mais aussi sur sa position à l’égard de ces faits ainsi que sur ce qu’il attend du psychologue et sur la place à laquelle il le met. Il apporte aussi des informations sur l'économie psychique, sur l’organisation de ses mécanismes de défenses que l’on voit à l’œuvre dans le mot à mot de son discours (exemple les dénégations) ou dans les scènes qu’il rapporte (exemple d’identifications) ou encore dans la manière dont il s’adresse au psychologue (les projections). » 1 0

A paraître un peu longue dans ma citation de J-L Pedinielli, je ne peux résister au plaisir de faire partager la suite de son explication résumant le sens de ma propre pensée sur le positionnement du psychologue face à la situation avec le patient.

«  Le travail de celui-ci [le psychologue] consiste non seulement à savoir recevoir et écouter le discours qui lui est tenu par le sujet, mais aussi à le susciter et à permettre son développement. Si l’asymétrie entre les interlocuteurs tient à la fonction du clinicien (position qui dépend de son statut, de sa formation et de sa mission institutionnelle), l’efficacité d’un entretien dépend du type de rencontre entre le psychologue et le sujet » 1 1

La rencontre clinique est avant tout, une écoute de la conflictualité d’une situation traumatique en lien avec une désorganisation organique entraînant la mort, à cours ou moyen terme, si aucune intervention chirurgicale n'est tentée. Le point de départ de ce traumatisme favorise l’expression de l’intrapsychique et de la relation intersubjective qui s’y associent.

Un espace de médiation du psychique s’organise par la création de ce lieu d’échanges de la conflictualité où s’affrontent des processus conscients. Ce mode de pensée est structuré sur un discours corporisé, poussé par une pulsion épistémophilique, décrite par Freud, et à laquelle nous nous permettons de lui emprunter son terme dans un contexte théorique tout autre. Cette pulsion est une montée interne, en lien avec des processus conscients et inconscients, d’un besoin de « Savoir » 1 2 sur l’origine de la maladie. Ceci permet d’atteindre alors la pensée psychique, enjeu, dans les processus de «  la transmission par un don psychique  » .

Lors de ces rencontres cliniques, nous avons proposé un temps d’écoute de la conflictualité liée à la situation traumatique de transplantation. Ce travail d’élaboration du «  processus de psychisation   » se coordonne autour d’une structuration spécifique sur la question de «la transmission par un don psychique » en fonction du type de don organique pratiqué sur l’enfant.

Le sujet reconstruit librement une représentation des événements, des conflits qui l’animent. Les rencontres cliniques sont un espace d’écoute et d’élaboration dans lesquelles est évoqué le sens donné au vécu de transplantation.

Cet accompagnement des parents dans l’écoute de leur conflictualité intrapsychique doit permettre à leur enfant transplanté une (ré)inscription dans une place symbolique au sein de la famille.

Ces rencontres cliniques sont un mode d’exploration du cheminement mental, par l’ouverture de cet espace de rencontre, lieu et temps de mise en travail du psychique, rendant possible une distanciation du corporel et de l’urgence médicale à transplanter.

Les rencontres cliniques proposées se distinguent de l’entretien ou des psychothérapies individuelles et groupales. Elles correspondent à une demande particulière dans un domaine spécifique de la psychologie en milieu médical ce qui nous amène à définir le cadre éthique de notre intervention. C’est auprès de la clinique des transplantés que j’ai expérimenté la notion d’un cadre éthique particulier ; lorsque le cadre physique ne peut être posé, il nous faut mettre un cadre symbolique de rencontre qui pose les limites de l’espace ainsi déterminé. C’est la demande elle-même. Nous sommes là pour accompagner une souffrance particulière : le traumatisme psychique occasionné par la transplantation. De ce fait, le cadre est posé, champ de notre intervention. Il devient alors un lieu déterminé, le service hospitalier dans le sens général et non une entité bureautique, lieu clos et dont l’action est seulement psychique. Il se déplace de lieu en lieu, mais notre fonction reste établie et nos limites imposées.

Par conséquent, nous n'utiliserons jamais le terme de psychothérapie, qui nécessite un cadre duel ou groupal dans un espace signifié et significatif, mais de rencontres 1 3 cliniques à visée thérapeutique.

La transplantation nécessite une haute technicité médicale, chirurgicale et représente la frontière entre psychique et organique. Trans - « au-delà de », le trans, au-delà de planter. Ce qui intéresse le psychologue, c’est justement cet au-delà de la transplantation d’un organe, le côté psychique. Cet organe, transplanté – planté, d’un individu décédé ou non, sur un autre individu pathogène, soulève de nombreuses interrogations d’un point de vue psychique.

Ces rencontres, semi-directives et à visée thérapeutique, favorisent une potentielle ouverture, un espace transitionnel pour réinstaurer une parole non centrée sur du corporel, un investissement familial de réappropriation commune de leur histoire autour d’un objet concret. Tout ceci offre une restauration de la parole de l’enfant et de sa famille au sein d’un réseau institutionnel multiple au niveau des lieux (pédiatrie, réanimation, transplantation, radiographie, hépatologie….) et au niveau des équipes (médecins, infirmières, aides soignantes, personnels de salle en pédiatrie, transplantation, réanimation…).

Nous concluons cette apologie de la rencontre clinique par les paroles de Denis Vasse :

«  De la rencontre dans la parole peut naître une seconde de clairvoyance, une lueur de compréhension de ce qui nous étreint, une trace de pulsions bien enfouies, de sentiments négatifs qu’on préférerait plus nobles, leur laissant entrevoir avec une certitude brutale une vérité que l’on aurait aimé continuer à essayer d’ignorer.  »

Notes
1.

0 Pedinielli J-L. (1994), "Introduction à la psychologie clinique", p 41.

1.

1 Ibis, p 39.

1.

2 Dans le sens de maîtriser la situation par une connaissance des faits.

1.

3La psychologie médicale permet deux types d’approches : la première, « au pied du lit du malade » dans un accompagnement des patients au regard d’une souffrance particulière pour laquelle il faudrait trouver une formulation stylisée. La seconde : une psychothérapie qui se justifie dans un cadre et un contexte particuliers. Mais, pour cette pathologie organique spécifique, je pense, d’un point de vue clinique, qu’il ne faut pas mélanger les lieux entre médical et psychologique lors d’une psychothérapie.

Pour un patient et sa famille désirant effectuer un travail plus profond dont la cause est en lien avec un événement traumatique, il est préférable de réorienter, en cabinet privé ou à l’extérieur de l’hôpital, pour qu’une amorce de réappropriation puisse s’effectuer en dehors de la mère institution. Cette dernière, en gérant le corps et le psychique, peut devenir dévoratrice, envahissante et empêcher le sujet et sa famille de redevenir individualisé restant dans une relation de lien pathogène symbiotique et fusionnel avec emprise sur le corporel et le psychique.C’est le lieu, l’espace psychique qui peut donner des repères lorsque le cadre fait défaut.