3-2 Contexte organisationnel institutionnel

Pratiquer une transplantation hépatique requiert de multiples spécialités et déploie un personnel conséquent. De ce fait, une transplantation pédiatrique mobilise de nombreux intervenants demandant un travail en partenariat. Ces sous-groupes : les équipes médicales (réanimation – pédiatriques – chirurgicales) et le sous-groupe constitué par les parents, forment un ensemble, de par leurs intérêts et leurs spécificités respectives. Un même but les anime, celui de sauver un enfant d'une mort certaine.

Ces groupes doivent trouver, au-delà de leur structuration groupale intersubjective, une structuration d'ensemble :

« un esprit de groupe » du groupe, doit être demandé impliquant nécessairement dépendance-interdépendance, collaboration afin de trouver un espace fictif de rencontre. Poids d'autant plus lourd que les relations entre ces instances sont un lien créé sous forme d'alliances, de pactes et de contrats inconscients (R. Kaës,1975). La force de ce lien, de ce pacte peut en contrepartie devenir aliénant. Ils ne sont pas signés mais, déterminés par l'intérêt intrapsychique - intersubjectif.

«  Les produits du refoulement et les contenus du refoulé sont constitués par les alliances, pactes et contrats inconscients, par lesquels les sujets se lient les uns aux autres et à l'ensemble groupal, pour des motifs et des intérêts surdéterminés. » 3 0.

Anzieu rattache sa conception théorique, à celle développée dans l'ouvrage « l’écorce et le noyau  » par Abraham et Torok en 1978. L'écorce ou peau, monde extérieur délimitant le Moi-peau, possède huit critères selon la définition établie par Didier Anzieu. Nous prendrons appui sur le descriptif d’Anzieu pour en faire une relecture dans le cadre spécifique des transplantations hépatiques pédiatriques.

Nous ne citerons que les fonctions prédominantes de ce Moi-peau applicable au travail psychique entre parents/ équipes médicales/ enfants. Le Moi-peau possède les fonctions : de maintenance du psychisme parental par un objet-support, le corps médical ; de contenance de la structure névrotique familiale et psychique des parents pour assumer ce geste morcelant dans le corps organique et psychique ; de pare-excitation contre l'angoisse de perte d'objet ; d'individuation du soi pour le protéger des menaces de «  l'inquiétante étrangeté  » de l'acte de transplantation menaçant les limites du soi identitaire parental ; d'intersensorialité pour prévenir de l'angoisse de morcellement et de démantèlement décrit par Meltzer. Le noyau central, père-mère-enfant, monde intérieur, le Moi-pensant, est en relation avec le monde intermédiaire, l'institution.

Les organisateurs psychiques de ce groupe artificiel se structurent autour d'une diffusion d'une illusion groupale (Anzieu 1975) nécessaire à l'émergence d'une forme d'espoir et de combat pour la vie de cet enfant. Ce groupe possède donc une organisation interne et externe faisant office de point de cohésion.

Nous pouvons ainsi repérer la structure spécifique, lors d’une transplantation hépatique pédiatrique, où sont alloués aux différents sujets des statuts, des rôles selon leurs qualifications, leurs origines sociales et familiales distinctes. Ces liens établis sont à la jonction d’une coopération (individuelle, groupale, professionnelle, personnelle) et d’une hiérarchisation par exemple, les parents face aux médecins…mais aussi interpersonnels, dans le sens professionnel, entraînant de fait des divisions horizontales, division de travail et verticales, tâche d'exécution et d'accompagnement.

La complexité relative d'une mise en place d'une décision de transplantation, d'un enfant en particulier, provient de la multiplicité des potentialités réelles et effectives de la demande de décision. Chacun se représentant ou présentant l'autre comme étant à l'origine de la décision. Chaque personne peut interférer de telle manière à influencer l'ensemble de l'organisation.

Exemple : des parents, par leurs comportements subjectifs, peuvent induire à l’équipe d’opter préférentiellement pour une décision de transplantation par bipartition (un foie pour deux receveurs) afin de protéger l'enfant d'un don intrafamilial ou extrafamilial unitaire envers un seul receveur où les parents se projetteraient dans un lien symbolique au receveur qui serait morcelant dans le transfert à l'enfant.

Autre exemple : un chirurgien peut, par son diagnostic de fiabilité, annoncer la nécessité d'une transplantation en super - urgence.

Mais dans tous les cas, cela fait appel à une organisation institutionnelle spécifique (pour chaque C.H.U.) et générale (nationale) ; ceci donnant l'accession à un cadre formel organisateur. Ces aspects informels et non institués doivent être pris en compte relevant d'affects interpersonnels identificatoires.

C’est ainsi que les transplantations hépatiques pédiatriques soulèvent à un niveau individuel et groupal une mobilisation d’affects violents tout comme l’acte réel peut l’être. Cette mise en scène directe du sens de la vie, de ses limites du dépassement de ses limites, par la transplantation, est un débat quotidien récurrent.

Notes
3.

0Kaës R. (1993), "Le groupe et le sujet du groupe" p 265.