5-L'acte de transplanter : du mythe à la réalité

Nous avons tenté de dresser l'histoire objective et rétrospective qui mena l'homme à imaginer la probable transplantation humaine comme mode de résolution d'un «  désordre  » psychique par les mythes, «  d’un désordre  » organique par la chirurgie. Ce travail préalable nous a permis de développer notre recherche sur les fondements psychologiques à l'œuvre lors d'une trans-

mission psychique d'un don d'organe dans le cadre d'une transplantation hépatique pédiatrique.

Avant de poser notre théorie, nous voudrions nous arrêter quelques instants sur cette pensée de l'homme entre mythe et réalité. Ce va et vient continuel, entre subjectif et objectif de l'acte de transplanter, a mis en relation indirecte, le psychisme par la fonction mythopoïétique, et l'organique par la fonction chirurgicale de transplantation. Ce postulat permet de poser qu' au-delà du côté du trans une mission commune lie ces deux champs d'investigation.

Le mythe , comme nous l'avons défini, provient de «   mythos  » , soit initialement synonyme de «  logos  » , la parole et de «   l'epos  » le sens du discours. Mais, si nous attribuons de nos jours une telle définition, nous donnons au mythe une linéarité de la chaîne signifiante du langage en scotomisant un polysémantisme irrationnel et surdéterminé qui le rapproche du rêve.

C'est ainsi que, dans un premier mouvement de recherche, nous avions intitulé et analysé «  l'acte de transplanter : du rêve à la réalité  ». L'emploi du vocable « rêve » était sans référence psychanalytique à la cure elle-même. Mais l'approche et l'interprétation théorique que Freud donnait du rêve nous interpellaient : dans le sens générique d'un masque, d'une réalité psychique d'expression d'un désir non réalisé jusqu'alors.

Nous avons modifié notre appellation par la mise en débat que souleva l'utilisation de ce terme auprès de nos collègues fortement influencés par la cure analytique. Après avoir recherché en quoi le terme « rêve » n'était pas approprié dans l'élaboration théorique du processus, nous sommes parvenus à la conclusion suivante :

Le rêve a une fonction de retransformation à un niveau individuel et purement interne. Il s'exprime sous une forme masquée de séquences verbales linéaires des processus secondaires de la pensée en représentations syncrétiques surdéterminées de processus primaires tels que condensation, déplacement, figurabilité, définis par S. Freud. Quant au mythe, il fonctionne comme l'émergence d'une pensée commune collective d'une société particulière. D'un point de vue symbolique, la mission du rêve est un masque défensif d'une vie interne, pour un sujet déterminé. Le rêve peut être transcrit en langage verbal, ceci afin de permettre d'en retrouver le contenu latent derrière le contenu manifeste. Inversement, le mythe est récit, transmission d'une génération à l'autre, véhiculé de père en fils. Selon C. Levi Strauss, pour le groupe familial, les mythes structurent les modalités de la communication. Le mythe, de par sa définition intrinsèque, représente réellement ce parcours historico-culturel qui mena à la transplantation.

A.J. Ferreira a proposé le terme de «  mythe familial  » en jouant sur l'ambiguïté lexicale en américain, du mot « myth » qui signifie le récit mythologique ou l'illusion collective. Cette double composante contenue dans tout mythe familial fait appel à une forme de croyance donnant une cohésion interne au groupe en lui offrant une organisation, et peut être porteuse d'illusions collectives inadaptées ou réelles.

Le mythe est ouvert, transmis à l'autre, partagé, voulant révéler des problématiques communes telles que, culpabilité, dette, mort/vie, ceci afin de favoriser un effet organisateur de la pensée à transmettre. A l'opposé, le rêve reste le seul registre d'une non communicabilité du récit du rêve car en lien étroit avec l'intersubjectivité des sujets.

De cette association de termes, nous arrivons à considérer que le mythe fut fondateur du questionnement humain le menant à la Transplantation Hépatique. Cette représentation mythique favorisera l'émergence d'une réalité de transplantation.

Au-delà du mythe familial, nous trouvons un mythe institutionnel et social, organisateur, véhiculant des systèmes de croyances collectivement partagés.

Nous venons d'aborder la transmission d'un don d'organe, d'un point de vue purement physiologique, c'est-à-dire organique, dans les mécanismes qui préfigurent les transplantations, pour parvenir à la transplantation humaine.

Le mythe a été, comme nous l'avons développé dans le chapitre, l'emblème fantasmatique d'une réalité qui vit le jour des milliers d'années plus tard.

De même, dans le chapitre qui suivra, nous élaborerons notre théorie sur « la transmission par un don psychique » en partant à nouveau d'un mythe, celui qui s'y rattache le plus étant le mythe de Prométhée, pour parvenir à la mise en sens des processus psychiques et intersubjectifs engagés pour une transplantation de foie, en nous centrant plus précisément sur « la transmission par un don psychique ».

Valabrega, dans son ouvrage « du mythe au fantasme   », voit dans le mythe un organisateur du fantasme, sans pour autant en être une transposition. Le mythe permet une analyse comme imaginaire médical support du fantasme de culpabilité.

G. Raimbault dans «  clinique du réel  » exprime que :

" Plus la science étend sa maîtrise sur le corps biologique. Plus le sujet est dépossédé de ce corps par l'anonymat que lui impose cette science qui le comptabilise " 5 4

Le mythe sert à dire quelque chose sur la réalité mais il n'est pas la réalité. Il tente d'expliquer le comment des choses : telle que l'origine des hommes, la mort. Le mythe n'est pas à comprendre mais à décoder.

Notes
5.

4 Raimbault G. (1982), "Clinique du réel", p24.