1-1-1 Présentation du Mythe

Prométhée, surnommé «  le prévoyant  » ou «  la pensée prévoyante  », fait aux hommes le don du feu, dérobé dans une tige creuse de narthex aux Dieux.

Les motivations de Prométhée étaient nobles, soustraire les hommes à leur condition de mortels. Lors d’une lecture du mythe Prométhéen 6 1 par Freud, il attribuera à la tige de narthex une valeur symbolique, celle d'un lien étroit à la sexualité, symbole du phallus, en référence à l’analyse des rêves.

Le feu représente l’énergie, l’intelligence, la verticalité qui distingue l’homme de l’animal. D. Anzieu dans « le Penser du Moi-peau au Moi –pensant » développait le concept que l’homme se distancie de l’animal ‘«’ ‘ par un triple élan phallique d’érection du corps vers la verticalité, de l’esprit vers l’intégration des processus psychiques par le Moi et de la pensée, vers des axes directeurs’ » 6 2

De ce mythe, du rapt du feu par Prométhée, naîtra des coutumes grecques à la symbolique énigmatique en lien avec une transmission de ce feu de la vie qui n’est que la métaphore des principes théoriques développés ces dernières années sur la transmission psychique inter/transgénérationnelle.

Une de ces coutumes, régies selon des règles strictes, consistait à maintenir le feu dans chaque foyer, rien d’impur ne devait être jeté. Le feu devait être entretenu jour et nuit. Il était renouvelé une fois l’an pour lui rendre sa pureté première. Par l’accomplissement de ce rite, se réalisait le principe de la création d’une nouvelle vie.

Dès le Vième siècle, les trois lampadédromies (panathènes, héphaisteia et Prométhéia) 6 3, courses du flambeau, se pratiquaient en l’honneur des trois divinités du feu ou des arts du feu. La « lampas » des Prométhiéa était la remémoration du rapt du feu par Prométhée dans une course rapide pour le livrer aux mortels. Une file de coureurs devait amener la flamme vive. La victoire était accordée à la tribu car :

‘« Chacun avait au mieux rempli son rôle, sa place dans la chaîne et la victoire revenait à tous, au premier aussi bien qu’au dernier dans la file triomphante ». 6 4

Cette coutume met en représentation la querelle entre Dieux et Hommes qui, à travers les temps, a toujours interpellé chacun sur le moyen d’acquérir l’immortalité. Mais est-elle seulement physique ? Nous percevons dans la citation la nécessité d’une unité entre les individus ; ce feu transmis fait lien psychique. Il trouve de nombreuses interprétations symboliques. Nous retiendrons aussi la notion de passion qui se consume, source de vie, moteur réflexif de l’être, et principe de vie.

Ce feu est transporté dans une tige creuse de narthex. Cette plante possède une moelle blanche qui prend feu comme une mèche. Image symbolique du canal central de la colonne vertébrale et du phallus où le feu de la passion se transmet afin de donner la vie 6 5. Ce feu symbolise, à un niveau psychique, la transmission de la vie, entre et à travers, les générations.

Don du feu, don d’organe, que de similitudes dans le geste de Prométhée. Symbole de vie, mais aussi de l'éternel besoin de le réactiver afin qu’il ne s’éteigne pas. Jusqu'où la conscience humaine, divine, éthique dans son profond désir de respecter autrui, protège-t-elle l'être humain de lui-même et des autres ?

Les motivations de Prométhée consistent à soustraire les hommes de la mort par la foi en l'espèce humaine. La décision l’amène au choix de donner le feu aux hommes en le volant aux Dieux.

Le nom de Prométhée, «  le prévoyant  » , comporte une ambivalence. En même temps, il s’enquiert en parent, d’apporter le feu maintenant la vie, mais aussi, engendre des êtres voués au Tartare 6 6.

Les géniteurs songent-ils à une telle « chose » en procréant leurs enfants ? Ne pensent-ils pas que le feu, engendrant l’amour et la vie, serait l’élément vital permettant de maintenir l’existence ? La maladie de l’être créé ne renvoie-t-elle pas à la culpabilité d’une défaillance dans l’accomplissement de la transmission ?

Désir fantasmatique de l’homme et de Prométhée de pouvoir s’autogénérer, au-delà du mal, repoussant les barrières de la mort. Tout humain doit se confronter à ce principe de réalité et s’éloigner du principe de plaisir où la maladie disparaîtrait sous l’emprise divine.

L’auto régénération du foie de Prométhée le maintient en vie. Il est dépendant des liens, cordon ombilical des racines génétiques, lien de passage médical entre vie et non vie. Tout lien asservit le sujet, selon l’expression de Pierre Loti, «  l’être individuel s’annihile  ».

Héraklès délivrera Prométhée de lui-même, en perçant l’aigle d’une flèche, lui donnant l’accession à l’immortalité. Héraklès, ou le geste de l’équipe médicale, lors d’une transplantation hépatique, vient rompre le lien aliénant, maintenant provisoirement «  l’être enchaîné  » entre vie et mort.

Zeus, père d’Héraklès, enjoint à Prométhée de porter, en mémoire, une bague faite de chaînes en acier, cicatrice matérielle et psychique, ainsi qu’un morceau du rocher, foie donné, sur lequel il était attaché en souvenir du châtiment hérité.

Notes
6.

1 Freud S. (1932), “La prise de possession du feu ”, P191-196.

6.

2 Anzieu D. (1994),"Le penser du Moi-peau au Moi-pensant", p17-18.

6.

3 Tr. des vers de Lucrèce [55, p.118] « Certaines lignées augmentent et d’autres diminuent / en peu de temps, les générations se remplacent / et, tels des coureurs se passant le flambeau de la vie » (II V. 77 – 79)

6.

4 Séchan L. (1951), "Le mythe de Prométhée».

6.

5 Selon la version d’Hésiode, Prométhée aurait créé la race humaine à partir d’une motte d’argile à laquelle Athéna aurait insufflé la vie.

6.

6 Définition de Tartare : c’est au-delà de l’enfer dans les profondeurs les plus obscures.