1-1-2 Analyse de la scène du mythe

L’analyse première que nous faisions en début de recherche théorique – clinique, s’inscrivait en référence à cette scène si célèbre du mythe de Prométhée où le foie mourait et renaissait sans cesse. Nous nous sommes appuyés sur l’étude du sens donné à cet acte en faisant une lecture du texte d’Eschyle. Prométhée devait réparation aux Dieux, selon les termes usités, en paiement d’un acte non autorisé, le vol de la beauté et de l’éclat du feu, maître des arts.

Cette réparation prenait effet par l’enchaînement de Prométhée sur un rocher attaché avec un fer, le plus dur qui existe, afin de faire perdurer à travers les temps en mémoire du passé la faute commise par Prométhée : «  Et de ces fautes-là je paie le prix, avec ces nœuds qui me clouent en plein ciel » 6 7.

Le mythe de Prométhée met en exergue l’expiation d’une faute et le paiement de cette dette par une réparation, dans son corps propre, d’un acte plus symbolique. Nous avons assimilé cette réparation perpétuelle du foie dans le mythe prométhéen aux transplantations hépatiques actuelles dont la pratique chirurgicale a pour objectif une réparation organique, pour faire perdurer la vie contre l’inévitable, la mort.

Comme nous l’avons représenté dans le schéma page 132 du chapitre précédent, ce processus d’accession à l’immortalité est régi par des mouvements conscients et inconscients individuels et groupaux symboliques, mais aussi réels.

Nous nous sommes attachés 6 8 à identifier, dans ce processus de réparation du foie par les sujets donneurs vivants, les raisons qui les motivaient à donner une partie de leur organe. C’est ainsi que les rencontres cliniques laissaient apparaître culpabilité et dette symbolique qui s’originaient dans l’histoire familiale individuelle et groupale.

L’enfant transplanté est prédestiné, tout comme Prométhée, à être enchaîné et devoir payer une dette, mais qu’en est-elle ? D’où s’origine-t-elle ? Quelle faute vient-elle mettre en évidence ?

La lecture du mythe à travers cette scène, de «  Prométhée enchaîné  », ne venait pas répondre à notre questionnement. Nous constations que Prométhée était enchaîné en réparation d’une faute commise envers Zeus, mais la gravité de la peine, dans les deux sens du terme, était considérable par rapport à l’acte répressif. Quel critère déterminait la punition infligée à Prométhée ? Aucune explication n’était trouvée dans une lecture purement descriptive des événements.

Nous pouvons entendre que cet acte est condamnable par le pouvoir que Prométhée donne à l’Homme en dépossédant les Dieux, c’est-à-dire Zeus, Dieu souverain en son temps. Mais Prométhée n’appartient-il pas, en quelque sorte, à aucune des deux « familles » puisqu’il est l’émanation combinée entre mi-Dieu, par sa lignée paternelle, et mi-Homme par sa lignée maternelle 6 9,

La faute de Prométhée est en lien avec une trahison du pacte de loyauté inconscient rompu par Prométhée envers Zeus. Nous pouvons nous interroger sur le lien ou les liens qui les unissent et en quoi Prométhée les a trahis et de quelle nature sont-ils ?

Dans une deuxième lecture du mythe nous trouvons des phrases clefs toutes en corollaire avec la généalogie et l’appartenance de Prométhée à une lignée. Il ne faut pas oublier l’ambiguïté de Prométhée ; Il n’est pas considéré comme un Dieu, mais de la race des Titans. Il n’est donc, ni Dieu, ni Homme….

‘« Qu’il apprenne à aimer la royauté de Zeus,
Qu’il en finisse avec ce goût pour les humains. » 7 0

Plus loin, nous trouvons cette phrase qui en dit long sur la souffrance « familiale » liée à la trahison de Prométhée :

‘« Les liens du sang, plus l’habitude d’être ensemble, c’est redoutable. » 7 1

Nous percevons dans la restitution du mythe les affects éprouvés par l’entourage à la vision de la souffrance de Prométhée, enchaîné pour une faute somme toute banale de désaccord avec Zeus sur des attributs confiés aux hommes.

C’est ainsi qu’Océan 7 2 confie à Prométhée son impuissante souffrance de trouver une solution pour le délivrer de ses chaînes :

‘« Je souffre, sache-le, avec toi de ce qui t‘arrive.
La parenté, déjà, m’y contraint, je pense.
Mais au-delà de la famille,
Personne, pour moi, ne compte
Davantage que toi.
[…]Je t’en prie, indique comme je dois t’assister.
[…] j’affirme, j’affirme que Zeus ne me refusera pas
ce don, et tu seras délivré de ton supplice
. » 7 3

C’est en ce sens qu’il devient intéressant d’étudier et d’analyser en quoi et pourquoi, Prométhée est le porteur d’une rupture du transmis dans la chaîne inter-transgénérationnelle.

Nous reprendrons les termes de l’encyclopédia Universalis qui tente d’expliquer, au non initié, comment lire les faits retranscrits dans le mythe :

‘« On a donc raison d’avoir peur, de guetter le sens des actes. […] Ces mêmes Dieux […] Une fois la faute commise, ne limitent pas leur colère à l’auteur de cette faute. […]La culpabilité d’un individu s’étend à tous ceux de même sang et sepoursuit sur plusieurs générations après lui. […] A chaque nouveau malheur les hommes se tournent, inquiets, vers ce passé dont ils ont hérité et qu’ils n’ont jamais fini de payer. » 7 4

C’est ainsi que nous allons analyser, en retrouvant « ce passé dont ils [dans notre étude Prométhée et Zeus] ont hérité  et dont ils n’ont jamais fini de payer », la raison qui amena Zeus à enchaîner Prométhée et Prométhée à réparer un fait, mais lequel ?

Pour ce, nous devons étendre notre lecture.

Notes
6.

7 Eschyle, “ Prométhée enchaîné”, p 68.

6.

8 La recherche de D.E.A centrait son étude sur les transplantations hépatiques par don intrafamilial.

6.

9 Gaïa étant la mère universelle des Dieux mais aussi des Hommes et son arrière-grand-mère.

7.

0 Eschyle, “ Prométhée enchaîné”, versets 12 -13, p 15.

7.

1 Ibis, versets 391, p 16.

7.

2 N’oublions pas que Océan n’est autre qu’ Okeanos, son grand-père.

7.

3 Eschyle, “ Prométhée enchaîné”, versets 288-292, 295-297, p 28.

7.

4 Encyclopédia Universalis, tome 6 p 444.