1-2 Prométhée et la transmission générationnelle

1-2-1 Mythe hétéroclite

Avant de vous exposer nos conclusions, certaines règles de lecture doivent être respectées afin de parvenir à l’essence même du mythe. Nous allons retracer brièvement l’œuvre Prométhéenne pour faire « entendre » la forme hétéroclite du mythe qui concourt à une origine commune de « la transmission générationnelle », même, si les formes qui nous permettent d’y accéder sont variées et variables d’un auteur à un autre.

Eschyle retraçait un Prométhée enchaîné. L’étude du texte d’Eschyle transcrit le périple de Prométhée. Son analyse ne donnait qu’une séquence d’événements se succédant de façon plus ou moins cohérente. Hésiode a écrit une théogonie contant la naissance de l'univers, un point important étant la généalogie des Dieux. L’historien Hécatée de Milet (fin du VIième siècle avant J.C.) avait écrit « des généalogies » dont quelques fragments nous sont parvenus.

Le mythe de Prométhée a influencé nombre d'auteurs contemporains. C'est ainsi que Prométhée trouvera sous la célèbre plume d'auteurs75, comme André Gide…, le moyen de parvenir à cette immortalité tant convoitée. Sans cesse, repris par la trace écrite, le mythe traverse les siècles interrogeant toujours l'homme sur ses mystères transmis.

De cette confusion, entre les différentes versions antiques repérant une lignée entre les mythes, entre chaque composante des liens de filiation et d’affiliation, nous trouvons une nécessité de mettre à distance les événements des différentes versions d’un même mythe pour focaliser notre travail sur l’établissement de repères inter-transgénérationnels.

La théogonie nous fournit une explication concernant la naissance des Dieux. Dans la théogonie d’Hésiode, la Terre serait l'origine primordiale et trouverait son explication de Gaïa, la mère des Dieux et des Hommes (cf. schéma page suivante).

ORIGINE D'OURANOS ET DE GAIA
ORIGINE D'OURANOS ET DE GAIA Fondateurs de la mythologie Gréco-romaine

Au cours de nos lectures recherchant l’origine de la filiation de Prométhée, la confusion, la complexité, les contradictions des liens de parenté me renvoyaient à mon travail de clinicienne auprès d’enfants placés où la confusion des liens de filiation et d’affiliation règne. Ceci m’amenait en parallèle à m’interroger sur les processus organisateurs de la transmission psychique de l’enfant transplanté et de sa famille. Qu’en étaient-ils ?

Chez les transplantés, à un niveau moins flagrant, où à première évidence tout semble si facile, si parfait, un père géniteur, une mère génitrice, une fratrie, puis la transplantation, nous observons une modification de l’entité familiale dans les places, rôles et fonctions attribués à chacun qui s’entrecroisent, s’entrechoquent, puis s’obscurcissent.

Mon travail auprès d’enfants placés m’a fortement influencée et ouvert des perspectives d’analyses que je n’avais que pressenties intuitivement dans ma recherche auprès d’enfants transplantés et de leur famille.

Alors, dénouer la problématique psychique de ce foie mourant le jour et renaissant la nuit, me paraissait trouver une explication auprès des concepts se rattachant au processus de transmission générationnelle.

Travailler avec la généalogie, permettait une mise à plat des processus, qui régissent les liens familiaux ou l’absence de lien, et venait en écho d’un travail en collaboration avec Pia Santelices qui visait à théoriser « l’utilisation libre du génogramme » (1999) et avec une réflexion menée en parallèle avec Bernard Chouvier. Ceci se concrétisa par un écrit commun sur le génogramme et répondait pour chacun à des questionnements sur son sujet d’étude.

De même, nous allons, en reconstruisant chaque génération antérieure à Prométhée, analyser les phénomènes, de transmission de filiation et d’affiliation, constitutifs de la génération suivante, pour étudier les raisons qui ont amené Zeus à enchaîner Prométhée sur ce rocher au-delà d’une personnalité sans reproche, bien au contraire, conquérante, donnant à l’homme des pouvoirs qui n’étaient sien et jusqu’alors, réservés aux seuls dieux.

Les auteurs qui tentent de donner du sens à la mythologie, à la classifier se limitent souvent à une étude d’une scène particulière ou à répertorier les différentes versions constatant, sans analyse clinique, qu'elles s’entrechoquent et complexifient l’entendement de la mythologie.

C’est ainsi que j’appliquerai à ce travail, la méthodologie proposée dans notre article «Utilisation libre du génogramme en pratique clinique auprès d’enfants placés »76

Nous sommes repartis de Prométhée pour reconstruire « chaînon »77 après « chaînon » les liens l’unissant à la fois par les liens de sang et par les liens au sens propre à l’expiation de sa faute sur ce rocher, pour tenter de pouvoir trouver le processus organisationnel entre généalogie et chaîne l’unissant à ce rocher.

Notes
7.

5 Pour ne citer que les plus célèbres auteurs qui se sont intéressés à ce mythe, nous trouvons dès le II siècle Prométhée sous la plume de Lucien Samosate dans « Prométhée sur le Caucase ». En 1710, Shaftesbury dans le « Soliloque » voit un Prométhée sculpteur et poète. Voltaire dans « Pandore » un libérateur. Goethe fait de Prométhée le créateur des hommes refusant le divin dans « Drame de jeunesse ». Shelley en 1820 dans « Prometheus unbound » donne une suite à Eschyle. Roger Dumas en 1897 écrit « Prométhée ». Ou encore parmi les contemporains, J.P Sartre dans « Epiméthée » en 1929 laisse une place à Prométhée. Nous terminerons par un de nos auteurs favoris, Albert Camus dans « Prométhée aux enfers » in L’été.

7.

6 Santelices. M.P, Simon M., Chouvier B. (1999),"Utilisation libre du génogramme en pratique clinique auprès d’enfants placés », p 165 - 176.

7.

7 Nous tenons compte dans cette formulation du double sens qui s’y associe. Le premier, signifiant une petite chaîne tenant prisonnier une chose à une autre et le second, fait référence à un lien unissant deux choses.