1-2-2 L’origine du transmis générationnel

Afin de faciliter la lecture, je vous propose de présenter mes conclusions sur ce travail d’étude mythique et clinique.

Notre recherche sur Prométhée sera assimilée à la retranscription d’une étude de cas avec ses blancs et ses « trop pleins » d’une histoire générationnelle en souffrance.

Si nous revenons au commencement du mythe, Prométhée présente un trouble organique assimilable à une détérioration du foie qui s’auto-soigne constamment. Prométhée associe « ce mal » à la faute symbolique qu’il est en devoir de réparer pour avoir octroyé aux Hommes des dons qui ne devaient pas être leurs, selon la Loi des Dieux. Loi transmise depuis la nuit des temps, de générations de Dieux en générations de Dieux. Ce non-respect de la Loi des pairs entraîne un rejet de Prométhée et l’accomplissement d’une réparation de la faute commise. Les pairs sont représentés par la figure ancestrale de Zeus, père Universel de Prométhée, puisque, représentant des Lois des Dieux dont Zeus a usurpé la possession à son père, Kronos.

Enchaîné à son rocher, Prométhée souffre dans son corps en raison de ses chairs déchirées sans parvenir à cicatriser cette plaie qui s'ouvre constamment. Prométhée cherche l'origine, cause de ce déchirement dans le conflit l'opposant à Zeus, sur la condition de la créature humaine.

Au niveau métaphorique, cette plaie s'ouvrant, se refermant constamment représente une souffrance psychique non résolue. Elle ne parvient pas à prendre sens pour Prométhée dans son histoire. Nous formulons l’hypothèse que cette réparation impossible symbolise l'être psychique en souffrance en quête d'une compréhension du sens de cette trace organique, expression symbolique d’une marque psychique d’une transmission générationnelle d’un fait non accompli par les ascendants.

Prométhée est le porte symptôme d'une transmission générationnelle défaillante, mais de quel ordre ? Où s'effectue la rupture du transmis générationnel ?

Si nous remontons sur trois générations que constatons-nous ?

Prométhée est le fils de Japet et de Clyméné (ou Asia). Clyméné est définie comme l'intermédiaire entre les Dieux et les Hommes. Japet est à son tour le fils d'Ouranos et de Gaïa qui eux-mêmes s’originent du chaos primordial78 (cf. schéma page 154).

Qu’apprenons-nous de l'histoire généalogique de cette première génération nommée « la période des origines » par les historiens ?

1ière Génération : « la période des origines »

Ouranos, le Ciel, et Gaïa, la Terre, enfantent de nombreux enfants et entre autres six fils et six filles qui porteront par la suite la dénomination de Titans et de Titanides. A ce stade, la transmission du pouvoir des « Dieux » n'est plus transmise de père en fils. Ouranos ravit à ses fils, le droit d’être des Dieux, comme lui, et décrète qu’ils deviendront des Titans par trace paternelle dans un but bien précis que nous énoncerons ultérieurement. Ils héritent par leur mère Gaïa, mère des Dieux et des Hommes, cette demi part maternelle que leur père ne peut leur ravir. Ils perdent ce signe distinctif de la lignée paternelle qui les a vus naître de l'union d'Ouranos et de Gaïa, Dieux fondateurs des descendances à venir.

Ceci s’explique par l’absence de désir paternel d’Ouranos d’accéder au statut de père. Il est décrit comme un père cruel, excessif et violent. Il n’investit pas ses enfants de l’Amour paternel allant même jusqu’à les faire disparaître dans les profondeurs du sein maternel par crainte d’être détrôné par l’un d’eux.

Malgré tant de précautions, Kronos, fils d’Ouranos et de Gaïa, sera l’exécuteur du méfait commis sur son père sous les directives de Gaïa elle-même. Kronos, dernier des fils d'Ouranos est donc poussé par sa mère, Gaïa, et s’empare la place de son père Ouranos. Kronos aidé dans cette tâche par ses frères (dont Japet, frère de Kronos) mutile les parties génitales79 de son père lui donnant, de fait, l’opportunité de destituer son père en renversant le pouvoir divin. Il s’auto proclame comme successeur direct et donc Dieu. Il se réapproprie son héritage sans transmission paternelle.

Par le geste castrateur et symbolique de Kronos sur son père, Kronos devient acteur direct, et ses frères, dont Japet, père de Prométhée, sont les complices silencieux du méfait en ne prévenant pas leur père du danger encouru. Ils font fi de tout pacte de loyauté filial, et de ce fait, leur consentement les rend coupables, indirectement.

C’est ainsi que dans sa colère, Ouranos leur impose à tous, le nom de Titan en rappel du méfait perpétré contre lui et leur présage un châtiment à venir.

2ième Génération : « la période des Kronides »

La deuxième génération porte le nom du Dieu qui la dirige : Kronos80. En destituant son père, Kronos rompt le lien familial avec Ouranos jusqu’à destituer le nom de ce dernier mais maintient la tradition de transmettre à chaque génération le nom du « Dieu-roi ».

Kronos par peur du châtiment paternel prédit, avale tous ses enfants à leur naissance pour ne pas être à son tour détrôné par son propre fils. Malgré une mise à mort constante de ses enfants, Zeus parvient à échapper à son père par la complicité de sa mère.

Rhéa par un stratagème réussit à sauver le 6 ème de ses enfants, Zeus. Rhéa, tout comme Gaïa en son temps, désireuse d’une maternité, sauvera un de ses enfants du sort imposé par Kronos. Rhéa prendra conseil auprès de ses parents, Ouranos et Gaïa, réconciliés pour l’heure. Ils conviendront de faire avaler une pierre emmaillotée à Kronos pour sauver l’enfant.

A la différence de Kronos, Japet devient père de Prométhée par son union avec Clyméné, elle-même fille d’Okéanos, (frère de Japet et de Kronos ) et de Téthys, une des six Titanides.

En âge de succéder à son père, à son tour, Zeus détrône Kronos et délivre ses frères et ses sœurs. La transmission« du meurtre » paternel d’une génération à une autre, malgré les efforts de Kronos à rompre cette répétition, induit involontairement à son tour de transmettre la faute et la culpabilité auprès de Zeus qui, par l’intermédiaire de Prométhée, se retrouve face à son passé.

Cette répétition sur deux générations montre la contamination de la faute que Freud théorisa des siècles plus tard dans « Totem et tabou » (1913). R. Roussillon, quant à lui, a réactualisé la lecture freudienne de ce texte. Il affirme que si les frères sont capables de s’unir pour tuer le père, ils devraient par la suite être capable de se regrouper et de fonder une organisation sociale qui ne trouverait plus d’utilité à pratiquer le meurtre du père.

‘« Une telle société [ tuant le père] n’aboutirait sans doute qu’à une lutte permanente entre frères, qui détruirait dans l’œuf tout effort organisateur, ou ne tarderait pas à reproduire, à répéter, la situation antérieure, un mâle prenant le dessus sur les autres. »81 ’

3ième Génération : « les Olympiens »

La troisième génération est celle des Olympiens. Elle diffère des précédentes et porte le nom du mont qui accueille les Dieux et non pas le nom du Dieu dirigeant. De plus, à partir de Zeus, les Dieux garderont à jamais le terme d’Olympiens jusqu’à la destitution finale de la mythologie grecque. Zeus deviendra le dernier Dieu, représentant des générations passées, présentes et à venir, ainsi que l’unificateur de la mythologie grecque lui donnant toute sa consistance tout en œuvrant à la transmission de leur histoire à travers les temps. L’explication de cette modification générationnelle provient de l’alliance entre Zeus et Prométhée. Nous allons en redonner l’explication.

Le règne de Zeus l’amène à se confronter, à résoudre des faits du passé. 82Le premier est celui de libérer ses frères et sœurs d’une punition injuste prodiguée par son père par peur, lui aussi, d’être destitué. Son deuxième combat est de lutter contre les autres Titans, ses oncles, qu'il précipite dans le Tartare (la mort) comme protection à l’angoisse de mort d’être détrôné à son tour. Il faut en préciser la raison, les Titans frères du père de Zeus montrent leur jalousie pour le pouvoir acquis et s’ensuit un combat qui dura dix ans et dont Zeus en ressort : Vainqueur.

Et que fait Prométhée durant ce temps où Zeus est occupé à d’autres combats ? Prométhée œuvre, souvent par des stratagèmes dont Zeus est la victime, à améliorer la condition de l’Homme. La naissance de Prométhée le fait naître, d’un point de vue purement généalogique dans la quatrième génération. Mais comme nous venons de l’expliquer après Zeus, seule la génération des Olympiens existe. Cependant, si nous analysons avec nos repères cliniques, Prométhée n’est pas de la génération de Zeus. La naissance de Prométhée est la réunion de la branche des Dieux et des Hommes donnant accession, de fait, à Prométhée portant en lui cette double origine, Dieu et Homme, sans parvenir à appartenir complètement à l'une ou à l'autre. Il réunifie les deux lignées des aïeux divisés depuis le geste vengeur perpétré par Kronos83 sur Ouranos avec la complicité de Japet, son père.

Par sa filiation à Japet, Prométhée est porteur de la culpabilité du père, non réparée et acquittée par ce dernier. La prophétie d’Ouranos, du grand-père de Prométhée et père de Japet, persiste de fait à travers les temps. Prométhée en devient inconsciemment le dépositaire familial d’une culpabilité dont il n’est pas porteur direct de la faute, mais  son exécuteur testamentaire.

La délivrance de Prométhée ne pourra s’achever que par la résolution du conflit familial dont Prométhée et Zeus84 en deviennent les protagonistes inconscients et involontaires d’une histoire générationnelle répétitive, à la fois leur, et, étrangère.

Malgré ses précautions, Zeus se trouve face à Prométhée, valeureux combattant dit, « la pensée prévoyante », qui, par son habilité résiste et améliore la condition de la créature humaine sans lui en référer, bien au contraire, en se jouant de lui85. Ce dernier voit son pouvoir mis en danger par ce Prométhée qui accorde tant de grâces à l’Homme affaiblissant de fait le pouvoir des Dieux transmis par les Dieux à d’autres Dieux. Zeus se voit contraint de combattre l'insubordination de Prométhée.

Zeus, Dieu primordial, successeur d’Ouranos puis de Kronos, se protège des Titans, comme son père et son grand-père auparavant. Il est dépositaire d’une transmission générationnelle, expression de la culpabilité du meurtre du père des origines, mais aussi maintien de l’ordre établi dans la transmission des traditions et dans l’autorité paternelle et sociale du Dieu, père envers les autres, les Hommes et les Dieux.

Les Titans étant la figuration de la culpabilité du meurtre du père des origines, Zeus prolongerait le méfait commis sur son grand-père par son propre père en maintenant les Titans au Tartare, métaphore de la mort impossible des Titans, car ils demeurent de par leur filiation paternelle, descendance des Dieux.

Une mise en mots du secret86, détenu seulement par Prométhée et transmis à Zeus, permet à ce dernier de consentir à la libération de Prométhée. La révélation de ce secret permet de rompre avec la répétition d’une faute générationnelle. De ce fait, Zeus lui accorde son pardon, ce qui a pour effet de libérer les Titans de leurs chaînes. L’acquittement de la dette culpabilitaire de Prométhée répare la défaillance familiale qui trouvait son origine auprès de son père et grand-père, faisant de lui le dépositaire et porteur inconscient d’une faute dont il ignorait l’existence générationnelle.

Nous observons une répétition inter/transgénérationnelle d'une faute dont chaque génération reproduit la dette. Prométhée vient symboliser le porte symptôme de cette histoire et met en acte les défaillances.

Cette trace organique est le révélateur d'une rupture dans le transmis. Prométhée est porteur d'une culpabilité, non sienne, mais qui vient de son père et remonte à son propre grand-père.

Ce mythe de Prométhée figuralise, les processus psychiques à l’œuvre dans la mise en travail d’une transmission d’une dette et d’une culpabilité dont le sujet était porteur inconscient, et la réparation dont il faisait l'objet pour l’ensemble de l’entité familiale.

Maintenant que nous avons réalisé une lecture du mythe, nous allons dresser la conclusion qui s’en dégage.

PROCESSUS PSYCHIQUE ENGAGE DANS LA TRANSMISSION
PROCESSUS PSYCHIQUE ENGAGE DANS LA TRANSMISSION PAR UN DON PSYCHIQUE

Notes
7.

8 Paul Diel définit le chaos primordial en ces termes dans son ouvrage « le symbolisme dans la mythologie grecque » : « Au début était le chaos. Le « chaos » du mythe n’est pas le monde préexistant en état chaotique […] Il n’est pas une réalité ; il n’est qu’une dénomination symbolique. Il est le chaos que l’esprit humain rencontre, lorsqu’il cherche à expliquer l’origine du monde. Le « chaos » symbolise la déroute de l’esprit humain devant le mystère de l’existence. » (p110).

7.

9 Kronos sectionne les parties génitales de son père à l’aide d’une faucille. Elle est le symbole tant connu de l’image de la mort. Mais Ouranos est une divinité immortelle. Il ne peut s’agir que d’une mort métaphorique celle de la fin de son règne. La faucille a une autre représentation tout aussi connue mais qui lui est associée secondairement tant la première focalise la pensée. La faucille est l’emblème de la moisson, l’espérance d’une récolte abondante. Ces parties génitales sectionnées sont autant le symbole d’une castration symbolique par cette perte que la force créatrice d’une nouvelle vie.

8.

0 Kronos se trouve aussi écrit sous la forme de Chronos, sa signification en est « le temps ». Ouranos est détrôné par Kronos dont le principe est la progression du temps et le symbole de l’évolution naturelle de toute chose. Selon G. Devreux, « Kronos combine donc, dans sa personne, les traits qui, dans le mythe de sa naissance, appartiennent soit à son père Ouranos (Ciel), soit à sa mère Gaïa (Terre). » p279.

8.

1 Roussillon R. (1999), “Le pacte dénégatif originaire, in le négatif, figures et modalités”, p140.

8.

2 Zeus accède au pouvoir non pas en perpétrant le meurtre du père mais en demandant réparation à son père du méfait commis sur ses frères et sœurs. Zeus est appuyé entre autre par les Titans, ses oncles qui lui procurent une drogue qui a pour action de faire vomir Kronos et libère ses frères. Zeus n’aura de cesse de multiplier les conquêtes amoureuses et de procréer allant même jusqu’à accoucher d’Athéna et de Thémis, rompant ainsi l’infanticide familial. L’aide des Titans n’a été que de courte durée. Zeus est porteur d’un pouvoir suprême que chaque Titan pense être en droit d’hériter, celui de Dieu représentant de la dynastie.

8.

3 Dans certains ouvrages, on attribue le surnom de « pensée courbe » à Kronos et Japet en mémoire de leur fourberie.

8.

4 Zeus est « le père des Dieux et des Hommes » et Prométhée se veut, être en lien avec les Dieux et les Hommes.

8.

5 A Méconé, les Dieux et les Hommes vivent ensemble et s’assoient à la même table. Au cours d’un repas, Prométhée préside le banquet et par un subterfuge donne à Zeus la partie la plus appétissante en apparence et donne aux Hommes les plus beaux morceaux.

8.

6 Prométhée savait que Thétis, convoitée autant par Zeus que par Poséidon, mettrait au monde un fils plus puissant que son père. Zeus afin de rompre le parricide intergénérationnel propose à Poséidon que Thétis épouse un humain, nommé Pelée (ils donneront naissance à Achille).