2-2 Transmission générationnelle

2-2-1 Terminologie lexicale du terme : transmission

Nous nous appuierons sur les travaux menés par Réné Kaës et Evelyne Granjon pour proposer une relecture contemporaine de la terminologie du terme de «  Transmission  » basée sur une étude lexicale, étymologique et théorique. Cependant, cette redite doit être entendue dans une perspective de psychologie clinique dans un domaine médical de transplantation hépatique pédiatrique en s’appuyant sur la métaphore Prométhéenne. Quant à R. Kaës et E. Granjon, ils ont défini respectivement ce terme dans le cadre de la thérapie psychanalytique familiale et de la thérapie en psychanalyse groupale.

Le terme « Transmission » a pris son origine du latin transmissio 8 7 dont le vocable signifie littéralement « trajet », « passage » ou « envoi ».

Si nous dissocions TRANS – MISSION, nous pouvons percevoir que ces deux termes pris séparément renvoient à des concepts variés, déterminés par la fonction qui leur est attribuée (cf. tableau page 175).

Le terme MISSION fait appel à une action d’une personne qui va faire ou qui a pour mission d’accomplir quelque chose. Tout comme Prométhée qui s’était donné comme mission celle de soustraire les Hommes au pouvoir divin. D’autre part, le terme de mission peut être rattaché aux synonymes auxquels il s’associe, ceux de croyance et de foi, en une action à accomplir en raison d’une conviction construite sur le bien-fondé de l’action elle-même. Prométhée était persuadé de son bon droit et d’une justesse de sa cause et ne comprendra pas initialement le jugement imposé par Zeus.

La transmission peut s’effectuer dans les deux sens : transmission du négatif et du positif. Elle serait de l’ordre de la transitionalité, d’une rupture d’expérience, et faisant référence à un mandat de l’ancêtre.

La transmission serait ce qui est, au-delà d’un « ici et maintenant», faisant appel à ce qui n’est pas présent, conscient, mais inclut ce qui n’est plus, le passé et à la fois ce qui est encore méconnu de l’ordre de l’inconscient et du futur, ce qui va advenir.

Tableau F12  : Etude du terme « Transmission » Selon le dictionnaire Robert
Transmission TRANS MISSION
origine Préfixe d’origine latine « par-delà » deux sens selon la fonction de « trans » préposition et préverbe. Du latin MISSIO « action d’envoyer » et de mittere « envoyer »
Premier sens « Au-delà de »  (transalpin) « à travers » (transpercer)
« charge donnée à quelqu’un d’aller accomplir quelque chose en lien avec un mandat.
Deuxième sens marque le passage ou le changement (transition, transformation)
groupe de personnes ayant une mission.
Troisième sens   bâtiment où logent les missionnaires.
Quatrième sens   but, tâche que l’on se donne à soi-même avec le sentiment d’un devoir.

La transmission est cette trace à travers les générations. Cette modification d’état marque le passage, le changement et de ce fait implique des transformations. Le processus de transmission est souvent sous-tendu à un mandat générationnel. La transmission, c’est donc l’acte de transmettre quelque chose à quelqu’un ou à quelque chose.

La transmission nécessite la communication d’un message, d’où la présence d’au moins deux protagonistes, un émetteur et un récepteur. Le récepteur reçoit un message crypté, déformé auquel il applique « son filtre de compréhension ». Ce message reçu à l’état brut devra être traité en subissant une altération, des nouvelles possibilités et des mutations.

Nous pouvons établir que cette phase de traitement de la transmission fait exister un espace intermédiaire de mise en travail conscient ou inconscient du transmis.

Cette transmission de quelque chose ou quelqu’un à une autre personne peut nous ramèner à une notion qui lui est proche, le terme de « tradition ». Il provient lui aussi du latin trado, ere, contraction de trans et do, are, « donner ». Tous deux possèdent le même préfixe et nous renvoient métaphoriquement aux chaînes de Prométhée. Chaînes qui font lien à travers les générations par cette chaîne ininterrompue par transmission de traditions conscientes ou inconscientes.

L’objet ou l’acte destiné au transmis a deux voies d’expression, une passive, conservatrice et gardienne de l’entité, et une active, sélection du produit.

Comme le mythe de Prométhée nous l’a figuralisée, la transmission impose le poids d’un legs, d’un héritage avec lequel le sujet doit se construire dans son individualité et dans sa groupalité.

Cependant, René Kaës distingue la transmission de la transformation, celle qui augure pour le sujet un dépassement, une résolution du transmis positif et la transmission sans transformation qui porte sur «  le défaut du symbolique et de l’introjection » 8 8.

René Kaës a d’autre part différencié la « transmission - répétition sans fantasme de transmission » et « la transmission transitionnelle ». Ce premier concept a retenu toute notre attention. Si nous adjoignons une relecture de ce terme théorique à travers le mythe de Prométhée ceci est fort intéressant.

« La transmission – répétition sans fantasme de transmission » est qualifiée par Kaës de traumatique« parce que, transformée, elle est vouée à la répétition du même à travers les générations ou entre contemporains. La répétition du même est celle des objets psychiques non traités par la fonction symbolisante du préconscient […] la pathologie de la transmission pourrait se qualifier par les troubles du préconscient ou les défauts de constitutions du préconscient […] c’est-à-dire “l’appareil à signifier / interpréter” » 8 9

Si nous revenons au mythe nous percevons cette transmission-répétition entre Ouranos – Japet – Prométhée, et de l’autre côté entre Ouranos – Kronos – Zeus.

Zeus et Prométhée sont les pions d’une histoire générationnelle dont ils sont les instruments d’une répétition sur trois générations. Cette transmission traumatique s’avère être non transformée car jamais interprétée. Il faudra que Prométhée soit enfin pri-sonnier pour rechercher à mettre du sens symbolique sur ses chaînes physiques : la faute et la culpabilité du père transmises de génération en génération par répétition de la faute.

Cette transmission, René Kaës, l’a caractérisée de négative :

‘ « Ce qui se transmet, ce serait ainsi préférentiellement ce qui ne se contient pas, ce qui ne se retient pas, ce qui ne se souvient pas : la faute, la maladie, la honte, le refoulé, les objets perdus et encore endeuillés. » 9 0

Ceci amène R. Kaës et E. Granjon à postuler l’existence d’une « transmission de la vie psychique ». Nous avons pu le constater à la lecture du mythe de Prométhée au-delà de ce foie mourant et renaissant sans cesse, il nous est apparu, comme le traduit R. Kaës, « un réseau de traces, empreintes, marques, vestiges, emblèmes, signes et signifiants dont le sujet hérite ». Je préciserais en formulant ainsi : malgré lui, avec lui, pour lui et contre lui.

« Qu’il reçoit en dépôt, qu’il enkyste ou interprète et transforme, et qu’il transmet d’une manière ou d’une autre. » 9 1

Cette citation est déterminante dans la théorisation et l’étude des processus de la transmission insistant sur l’élément clef d’une exigence du travail psychique nécessaire à toute transmission.

Toute la complexité du processus de transmission réside dans le fait que Prométhée, sujet individualisé, est déjà inscrit par sa naissance à un ensemble de sujets avec lesquels il entretient des relations conscientes ou inconscientes.

‘ « Nous avons affaire à la fois au sujet singulier, aux processus et aux formations inconscientes de son psychisme et aux positions subjectives qui y correspondent, et nous avons affaire à un ensemble de sujets, dans lequel le sujet vient se placer et s’inscrire comme sujet porteur d’un désir et d’une parole singulière, selon les conditions qui sont précisément à interroger, et qui concernent la transmission. » 9 2

Prométhée, sans le vouloir, prend place de défenseur en dehors de tout lien générationnel avec sa propre lignée et l’histoire de celle-ci, c’est-à-dire meurtre du père de génération en génération.

‘ « ce qui fait qu’un sujet qui ne tient pas sa place et sa parole est probablement tributaire de la difficulté qu’il rencontre à s’inscrire dans une lignée générationnelle et dans un ensemble de discours, de dits et inter-dits. Qu’est-ce qui dans le processus de la transmission ne s’est pas opéré ? » 9 3

Pour répondre à la question posée par René Kaës en ce qui concerne Prométhée : l’inopéré, dans l’histoire de Prométhée, vient du silence de Japet. Il n’a pas inscrit son fils dans sa lignée, puisque, lui-même, en a été exclu par son propre père. De plus, Clyméné, sa mère, n’a pas réinscrit son fils dans le discours paternel.

Je reprendrai le jeu de mots usité par Christian Guérin lors du colloque « Penser la famille » Hôpital J. Imbert à Arles le 21-22 septembre 1984, lorsqu’il évoquait le penser et le panser. Japet n’a pas pensé et pansé sa propre histoire, comment aurait-il pu faire penser Prométhée qui pourtant était surnommé paradoxalement : « la pensée prévoyante ». Ce surnom renforce l’idée qu’il ne suffit pas de prévoir, il faut voir pour penser - panser le générationnel…

C’est ainsi que E. Granjon affirmait que :

‘« L’inscription du sujet dans « une chaîne » dont il est un « maillon » et à laquelle il est assujetti, la structuration du sujet singulier et son développement psychique en rapport avec ce dont il se constitue héritier et qui lui est transmis, son appartenance à un groupe et les nécessaires formations intermédiaires qui articulent les différents espaces psychiques des sujets et du groupe. […] abordent la question de la transmission » 9 4

La transmission est un processus complexe, il intègre le groupe familial dans son entièreté avec ses trous, ses blancs et ses ratures.

Avant d'aller plus loin dans le développement théorique reprenons brièvement la définition «  du groupe familial  » dans son implication en tant qu’individu groupal, en tant que potentiel transmetteur selon l'exposé 9 5 présenté par E. Granjon. Le groupe familial est spécifique de par «  sa structure et les enjeux de ses fondements  ».

Si nous reprenons notre modèle, la structure du groupe familial dépend entre autres :

  • «  des liens d'alliance  » : nous les retrouvons à plusieurs niveaux dans l'histoire de Prométhée : Gaïa fait un pacte avec ses fils pour tuer son époux ; Japet se veut le complice silencieux du meurtre de son père ; Prométhée lui-même fait un pacte avec les hommes, puis avec Zeus et enfin Prométhée concède son immortalité à Chiron.
  • «  des liens de filiation   » : Prométhée par sa filiation à Japet se trouve inscrit dans une transmission négative d'une répétition générationnelle, liens qui déterminent son identité.

Le groupe familial définit un espace psychique complexe de transmission intrapsychique, inter - transsubjectif. Cette réalité psychique du groupe familial élaborera de façon inconsciente des alliances, pactes, contrats avec lequel chaque membre devra « faire avec ».

Depuis une vingtaine d’années, les travaux sur les effets de la transmission n’ont cessé de se développer. Nous avons choisi d’exposer les courants théoriques en fonction des éléments qui apportaient un éclairage au processus de «  transmission par un don psychique ».

Notes
8.

7 Substantif issu de trans et mitto, ere, devenu trameto, ere.

8.

8 Kaës R. (1996), “ La transmission de la vie psychique : nouvelles approches psychanalytiques à partir du groupe”, p 63.

8.

9 Ibis p 65.

9.

0 Ibis p 67.

9.

1 Ibis p 70.

9.

2 Ibis p 71.

9.

3 Kaës R. (1984), “La transmission psychique intergénérationnelle et intragroupale”, p 4 - 9.

9.

4 Granjon E. (1994), “L’élaboration du temps généalogique dans l’espace de la cure de thérapie familiale psychanalytique”, p 61-73.

9.

5 Ibis.