2-3-1-2 Transmission psychique

Nous avons repris dans notre hypothèse théorique, le concept de «  transmission psychique  » ; comme le faisait remarquer S. Tisseron, cette appellation a acquis « son droit de cité ». Elle englobe la notion de transmission dont le terme générique est communément employé, mais son association avec le terme psychique détermine le champ d’application.

La transmission vient signifier l’importance d’un lien permettant la transmissibilité du message à travers le temps. Ce transmis devient trace et fait héritage. Héritage du transmis à travers les générations, espérance de faire lien dans l’histoire familiale comme sujet inscrit dans une lignée.

Le psychisme fait référence à l’appareil psychique individuel ou groupal. Cette notion est détachée de l’organe physique et sa représentation n’est que symbolique dans les processus qui concourent à faire fonctionner de manière intra – interpsychique, intersubjective, le sujet.

Par conséquent la « transmission psychique » n’est plus seulement l’enjeu d’une communication, elle fait vivre du « psychisme ». Nous sommes dans un domaine de la transmission qui fait référence à du conscient et de l’inconscient comme le définirait S. Freud. Depuis, l’individu s’inscrit aussi dans un champ plus large d’échanges entre les générations, de croyances, traditions, dettes et culpabilités assurant la pérennité de l’individu et surtout du groupe auquel il appartient, le définissant lui et les générations qu’il construira.

C’est en ce sens que le terme de «  transmission psychique  » trouve toutes ses lettres de noblesse de notre point de vue. Il inscrit en lui-même ce mouvement du transmis, contenus qui ne sont pas de l’ordre de faits ou d’actes mais bien de représentations psychiques en grandes parties inconscientes.

Dans l’utilisation de cette théorie de «  la transmission psychique » ce qui nous a interpellés c’est justement ce lien unissant et agissant entre parents/enfant. Cette transmission vient buter en raison d’une situation traumatique nouvelle, la transplantation d’un enfant, qui re-mobilise symboliquement et physiquement ce travail du transmis.

Daniel Stern en 1989 propose l’idée selon laquelle le traumatisme ne serait plus seulement à rechercher dans le noyau traumatique infantile. Il avance l’hypothèse qu’il peut survenir à tout âge selon les circonstances de la vie. La situation de transplantation en est l’exemple pour l’enfant transplanté tout comme pour ses parents. Nous pouvons poser comme postulat que les événements de transplantation réactivent le travail du transmis.

La transplantation serait le moment privilégié de ré-interroger, de retravailler des éléments traumatiques. Cette situation de transplantation laissera une trace dans l’histoire du sujet et du groupe d’appartenance (parents/enfant). Elle serait déjà par elle-même un traumatisme qui pourra et sera transmis des parents à l’enfant transplanté et de ce dernier à ses propres enfants.

Les parents, confrontés à cette létalité potentielle de leur enfant, modifient le transmis initial d’un enfant merveilleux. Les identifications projectives du merveilleux, des parents sur l’enfant, sont brutalement mises en échec. Ils sont confrontés à ce que nous définirons par la suite de « désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux ».

Des mécanismes d’adaptation à la situation réelle s’organisent et les parents sont envahis par des « images du passé », des situations vécues en positifs comme en négatifs qui influencent la transmission à l’enfant, futur transplanté ou transplanté, et de même, pour l’enfant re-mobilisé par un travail psychique, par la mise en « tension » de ses parents.

Les questions des parents sur leur histoire qui faisaient silencieusement souffrance, et non résolues, sont réactivées par cette transplantation de leur enfant. Cette “opération” est, sur un plan fantasmatique, une intrusion interne du sujet allant jusqu’à une «  incorporation fantasmatique  » selon N. Abraham et M. Torok.

Si nous revenons à la conceptualisation de Nicolas Abraham et Maria Torok qui ont proposé une analyse originale autour du concept «  d’introjection  » . «  L’introjection  » mobilise le sujet à transposer sur un mode fantasmatique les objets extérieurs dans les différentes instances de l’appareil psychique. Cette conception ne peut que nous interpeller en transplantation hépatique. L’introjection fait référence à «  l’élaboration psychique  » (S. Freud). Elle n’est pas à confondre avec la théorie de l’introjection selon Freud qui l’a élaborée autour de stades (oraux, anaux, phalliques, génitaux).

Abraham et Torok voient dans l’introjection un travail d’auto-élaboration constamment renouvelé en fonction des situations vécues, bonnes ou mauvaises. Pour ma part, je nommerais ce processus de «  psychisation  ». La différence serait le mode d’élaboration qui se structure en plusieurs phases spécifiques de par la maladie létale de l’enfant.

L’enfant, par ce don d’organe dont l’acte, mis en parole ou non par les parents, aura une incidence dans le transmis générationnel, devra dépasser les dettes, les héritages donnés par ses parents avec un dû supplémentaire en raison du don d’organe, don qu’il devra là aussi acquitter, le transmis psychique, soit en s’adressant à ses parents, lors d'un don intrafamilial, soit à un inconnu pour un don extrafamilial. Mais les parents, eux aussi, vont devoir « payer » ce don fait à leur enfant d’où la complexité comme l’évoquait Freud : « d’être à soi-même sa propre fin » et « d’être le maillon d’une chaîne auquel il est assujetti sans la participation de sa volonté  » 1 21

C’est ainsi que nous avons été amenés à prendre en considération la notion de don qui nous paraissait une condition sine qua non de la transplantation hépatique pédiatrique. Nous avons donc identifié les processus psychiques qui régissent une transplantation dans les mouvements de transmission générationnelle entre parents/enfant transplantés, de «  transmission par un don psychique  ».

Nous avons été amenés à modifier la terminologie initiale : «  transmission d’un don psychique  ». Une ambiguïté résidait dans le concept où pouvait être perçue la notion d’octroyer un don au sujet receveur ce qui n’est pas le but de la démarche. De même, « transmission par don psychique » pouvait porter à confusion malgré, il est vrai, la recherche d’un pardon à travers cette transmission. Le terme donation n’a pas été retenu car il faisait appel à la notion d’héritage, certes de transmission, mais, associée à la mort, puisqu’il s’agit d’un terme juridique employé pour transmettre un bien après la mort. Nous voulons exprimer dans cette terminologie le concept de transmission, celui de don dans le sens de donner quelque chose à quelqu’un de manière consciente et/ou inconsciente en lien avec du générationnel. Afin de ne pas porter à confusion avec le don d’organe nous stipulons psychique car le produit de la transmission étudiée ne peut être associée qu’à des représentations intra et interpsychiques. Nous utiliserons donc la dénomination de «  transmission par un don psychique  » .

Notes
1.

21 Freud S. (1914), “Pour introduire le narcissisme”.