1-2-1-2 Rencontres à visée thérapeutique avec Mme, ou, « l’angoisse de mort »

….deux ans plus tard……

Jérôme est hospitalisé à plusieurs reprises durant ces deux années. Les résultats ne sont pas encourageants et aucune réponse au niveau médical ne laisse entrevoir un espoir de «  réparation organique  » de cette défaillance au vue des connaissances chirurgicales présentes. Un silence pesant s’est installé entre la famille et les équipes médicales mettant en situation de tiers les équipes paramédicales qui partagent le quotidien lors des passages de Jérôme dans les différents services hospitaliers. D’un point de vue psychique, tous les traitements médicamenteux pour agir sur l’hyper agitation ont été interrompus par Jérôme avec l’accord de ses parents. Ces derniers évoquent, auprès du personnel infirmier, leurs angoisses et leur besoin de soutien moral tant la détresse de Jérôme est devenue insoutenable.

Quant à Jérôme, il reste muré derrière un sourire jovial devant l’ensemble du personnel hospitalier. Il passe par des phases d’hyper agitation et de repli.

Lors de cette rencontre clinique, Jérôme est rehospitalisé pour la énième fois en quelques mois. Les analyses de Jérôme laissent apparaître l’absence de prise de médicament anti rejet 1 27 . Depuis quelques mois, les résultats médicaux s’étaient stabilisés. A notre dernière rencontre, 3 mois plus tôt, Jérôme était apparu enjoué et plein d’entrain après un bilan médical optimiste, pour une fois, ce qui avait permis un retour en famille…

Durant ce temps de rencontre, Mme est seule dans la chambre et exprime immédiatement être «à bout nerveusement». Cette mère est effrayée par le geste de son fils qui a fait semblant d'absorber, durant plusieurs jours la totalité de ses médicaments devant elle sans qu’elle perçoive ou soupçonne la supercherie.

Dans l’après coup de l’hospitalisation, Jérôme a expliqué à Mme qu’il prenait tous les médicaments, sauf la ciclosporine, volontairement. Selon les dires de Mme, ce passage à l’acte l’a « paralysée d’effroi », d’autant plus que Jérôme depuis quelques temps lui parle de son désir de mourir, désir d’en finir avec la maladie qui n’en finit pas, et cette incertitude...

Selon Mme, Jérôme devient tyrannique avec son entourage et a recours au chantage lorsqu’on lui résiste et menaçant, disant : « je vais mourir autrement » si ses parents ne cèdent pas à ses desiderata. Cette forte angoisse de mort en tant que parents, ils ne peuvent y répondre, étant eux-mêmes pris dans leurs propres angoisses pour leur fils.

Le comportement de Jérôme a toujours posé problème par son hyper agitation et ne fait que s’amplifier depuis un certain temps. Il ne se supporte pas dans l’inaction.

L’interprétation suivante peut être proposée : l’angoisse de mort est tellement envahissante et présente, que, combler le vide de l’espace par le mouvement corporel est le seul mode défensif mis en place par Jérôme pour se prouver qu’il « vit » encore.

(…)

Mme se sent trahie par Jérôme avec tous les sacrifices qu’elle a faits pour lui en mettant à distance sa propre existence, son identité. Jérôme dans cet acte de tentative de suicide volontaire remet en cause la mobilisation du couple autour d’un projet commun, «  sauver leur enfant  », en dehors des dires et pressions de la famille de Monsieur.

Mme se sent isolée, depuis peu, du milieu médical : «  ils (les médecins) me fuient, je le sens bien qu’ils ne peuvent répondre à mes questions. Mais quand ils me disent juste bonjour, quand ils passent dans les couloirs en me demandant comment va Jérôme, c’est tellement important. »

Nous travaillons sur le sens de ce « bonjour ». Ce terme trouve son origine au XIIIème siècle de, « bon » et « jour », signifiant « jour heureux ». Nous pouvons donner comme hypothèse interprétative que ce bonjour, de jour heureux, symbolise la reconnaissance de l’existence de Jérôme et de son appartenance comme sujet inscrit dans une lignée familiale mais aussi de la mise à distance journalière de la mort de son fils. La famille de Monsieur ne reconnaît pas à Jérôme d’existence et « souhaite sa mort ». Selon le fantasme de Mme, ses beaux-parents désirent ou désireraient effacer cette image honteuse (dérangeante, amorale) d’un enfant vivant avec un foie donné : «Il aurait été préférable de laisser faire la nature » auraient-ils affirmé à Monsieur et Madame.

Nous observons au niveau des parents : une absence de recherche véritable du sens pris dans l’histoire générationnelle de Monsieur du rejet de Jérôme par ses parents qui ne fait que réactualiser la répétition de son propre rejet. Nous pouvons faire l’hypothèse suivante : la répétition traumatique de ce rejet signifie que les grands-parents en niant l’existence de l’enfant malade, soit ne reconnaissent pas la filiation paternelle de Monsieur soit la tolère par obligation familiale.

C’est ainsi que Madame évoque avec joie le simple fait que ce matin des médecins spécialistes en transplantation lui ait dit : « bonjour ». Elle exprimera avoir été toute bouleversée, elle ne «  s’y attendait pas ». Mme analysera cela en évoquant ce geste comme une reconnaissance symbolique de l’acceptation de la maladie de Jérôme et, au-delà, celle de l’existence de son fils. Nous pouvons supposer que ce geste est vécu à un niveau intrapsychique comme une forme de réparation de sa non inscription familiale, par les grands-parents paternels dans la chaîne générationnelle.

Lors de l’annonce par les médecins de la probable retransplantation, elle abordera avec émotion la réalité médicale où de forts risques en péri et post retransplantation sont à prévoir. L’angoisse de l’attente du, « quand » la décision de retransplantation « tombera », est insupportable d’autant que, «   tout va plus ou moins bien. Je comprends qu’ils (les médecins) préfèrent ne pas y toucher. »

Nous remarquons une nouvelle fois s’activer «  le processus de psychisation   » dans la première phase, lors de l’annonce d’une potentielle T.H. Les parents mettent en place une résistance en niant la réalité n’ayant pas de preuve organique repérable.

Mme : « je suis inquiète et je me demande si Jérôme voudra subir une nouvelle transplantation ? »

Elle exprimera son inquiétude par rapport à la décision de son fils sur sa pulsion de vie qui s’amenuise au fur et à mesure que le temps passe : « il n’a plus trop d’espoir ».

Retraçant une des paroles de son fils : «  si je dois mourir autant que je meure maintenant… ça sert à quoi d’attendre ? ».

Nous poursuivons sur la nécessité pour Jérôme d’avoir un lieu de parole où il pourrait exprimer ses angoisses, ses questionnements pour pouvoir les reformuler et les surmonter. Mme explique que son enfant a consulté à plusieurs reprises des psychiatres qui le médicalisaient sans entendre sa souffrance. Elle renvoie qu’elle a pu comprendre, de ses rencontres avec différents médecins spécialisés ou non, que son enfant soit atteint de troubles psychiatriques. Pour Mme, ce diagnostic est intolérable. L’enfant devient celui qui, organiquement et psychiquement, est porteur de toutes les « tares ». Nous suggérons qu’un traitement de soutien peut être nécessaire en raison des événements, porteurs d’angoisses, vécus par Jérôme, et qu’il a besoin d’un t.e.m.p.s d’écoute pour affronter ce t.a.n.t d’hospitalisation, long et astreignant (angoissant). D’un point de vue psychologique, la tension est importante dans ce type de pathologie organique où aucune ligne de conduite n’est applicable dans une généralisation.

Elle explique que son fils a déjà consulté une psychologue, entretiens auxquels il a mis un terme par refus d’exposer ses difficultés à une femme.

Nous retravaillons sur le sens de ce refus que nous avions déjà élaboré au cours des rencontres précédentes. Durant les hospitalisations en post transplantation, Madame a accompli, toutes les fonctions, à la fois celui de mère, d’infirmière, de garde malade, et d’institutrice. Ainsi, elle détenait tous les rôles et Jérôme s’est rebellé de l’omnipotence de cette mère. Une décentration a été travaillée, séparation nécessaire mais difficile à mettre en place en raison de la réalité (hospitalisations constantes, le manque d’infrastructures d’accompagnement).

Son impuissance en tant que mère à répondre à l’angoisse de mort de Jérôme amène cette dernière à me demander de rencontrer son fils en précisant : «   Vous, il vous acceptera peut-être ? Il voudra vous parler comme vous faites une recherche sur la transplantation.  »

Je ré-explique que mon intervention se situe dans un cadre de recherche. Pour cette raison, je ne pourrai nullement mettre en place un suivi. Cependant, je lui réaffirme la nécessité d’une prise en charge thérapeutique.

Nous convenons d’un temps où je rencontrerai Jérôme, seul, s’il le souhaite, pour élaborer une explication sur le sens de ce geste, l’absence de prise de ciclosporine, acte assimilable à une « tentative de suicide ».

Ma place de clinicienne/chercheuse en transplantation me donnait, à ses yeux et peut-être à ceux de son fils, la fonction de reconnaître le sujet transplanté comme ayant une identité de sujet existant.

En conclusion :

Nous venons de percevoir toute la souffrance ressentie par cette mère et indirectement par ce père dont l’enfant a dû, ou doit être, (re)transplanté. Cette situation traumatique mobilise les parents dans un processus psychique d’une élaboration sur le vécu de transplantation, mais au-delà, réactive en eux leur propre infantile.

C’est ainsi que Monsieur J 1 28 vit le rejet de son fils par ses parents comme la répétition d’une absence de désir et d’appartenance filiale. Mme avait expliqué que seules les filles étaient investies par les parents de Monsieur. Le désir des grands-parents paternels d’accompagner Jérôme dans la mort, et le refus ou l’absence de souhaiter l’anniversaire de celui-ci sont autant d’éléments qui conflictualisent une situation, qui dans un premier temps n’apparaissait que comme mobilisant une transmission d'un don d'organe dans une action purement médicale.

«  Le processus de psychisation   » , du côté des parents, nécessite l’élaboration d’une certaine représentation de la maladie de leur enfant mais aussi la confrontation brutale avec des réminiscences de situations traumatiques antérieures. Dans notre étude de cas, il s’agit de la place des fils dans la transmission générationnelle du côté paternel.

Monsieur, dans son désir de transplantation pour son fils, tente de réparer une défaillance organique initiale, mais au-delà, il tente de «  transmettre par un don psychique  », ce que ses parents ont été dans l’impossibilité de lui transmettre. Ce transmis consiste à inscrire Jérôme dans un désir de vie, d’être reconnu en tant que « son fils ».

Mais qu’en est-il du côté de l’enfant transplanté ?

Notes
1.

27 La ciclosporine, permettant la survie du greffon.

1.

28 J’ai rencontré Monsieur J au cours d’une énième hospitalisation de Jérôme où nous avons abordé sa souffrance mais surtout son impuissance de père. Monsieur était complètement dépassé par les événements. Une souffrance béante était présente pour cet homme aux fonctions psychiques très concrètes et rationnelles. Pour lui, travailler, assumer, être présent auprès de son fils sont les moyens d’accorder à Jérôme une reconnaissance.