2-2 Conclusion de la vignette

Marie est le cas prototypique de l’absence de travail de psychisation en amont de la transplantation. Les parents n’ont pu construire une représentation de celle-ci. Quant à Marie, elle n’est que le réceptacle en miroir de la projection parentale, plus exactement maternelle, en raison de l'absence régulière du père.

La phase de négation est restée enkystée à ce stade par l’absence de représentation visuelle d’une défaillance organique de l’enfant. La létalité a été seulement énoncée par les médecins affirmant l’inéluctabilité de l’échéance sans une potentielle transplantation. Les parents, mais dans notre cas, la mère n’a nullement pu constater de visu en tant que parent cette réalité annoncée par un tiers extérieur à l’unité familiale.

Cette annonce de transplantation est vécue par Mme sous une forme de dépossession de sa fille dont la naissance venait en réparation d’un deuil dans son histoire de femme et de mère. La confrontation de Mme, à une maladie à nouveau mortelle d’un de ses proches, est irrecevable à ce moment là et vient raviver la situation traumatique initiale. Ce travail de deuil reste à l'état inachevé par la restauration de la vie à travers la naissance de sa fille, malheureusement vie précaire et aléatoire dont la maîtrise lui échappe. La répétition intrafamiliale d’une pathologie mortelle rend tout « processus de psychisation   » caduque en raison d’une impossibilité à identifier un coupable.

Cette maladie garde à la fois son mystère et ne donne pas une représentation du responsable de la maladie. La conflictualité de Mme ne se pose pas dans les termes habituels mais dans une croyance face aux principes énoncés par les équipes médicales de pratiquer ou de ne pas pratiquer une transplantation hépatique. Cette croyance dans les affirmations médicales laisse Mme insatisfaite et non actrice directe dans la décision.

Elle ne peut amorcer une élaboration psychique et intersubjective de la situation traumatique qu’elle réfute et dont elle ne peut se confronter à la «  métaphore prométhéenne   » puisqu’elle se situe dans le rejet de cette réparation dont elle ne constate pas la nécessité et ne peut être dans la position de fascination face à l’objet don-d’organe en raison de son impossibilité à élaborer un don-psychique.

Son rapport à la mort est encore trop douloureux et empreint d’une réalité par le décès de son premier mari qui ne peut lui permettre d’envisager une réparation prométhéenne. Son mari, père de Marie par ses absences répétées n’a pu l’aider à élaborer sur la situation dans «  l’ici et maintenant  » sur l’état organique de leur fille.

Cette transplantation, Mme l’a autorisée comme dans un arrachement d’elle-même sans conviction mais par croyance en la parole médicale.

Marie par ses dessins met en scène l’absence de «  processus de psychisation   » de son coté mais aussi représente l’absence de celle de sa mère. L’enfant se vit comme bâillonnée et non comme patiente. Toutefois, sa soumission ou sa passivité montre que l’enfant s’est vécue, prisonnière de son histoire par l’absence de figure parentale contenante. La confusion dans la scène évoquant Jeannot et la petite fille, Benny, révèle aussi la confusion des places et des rôles octroyés à chacun. Jeannot est la figure emblématique de Bugs Benny dans le dessin animé se moquant toujours du médecin en disant la si célèbre phrase : «  Quoi de neuf docteur ?  ». C’est un peu celle de Marie qui interroge l’adulte sur la situation vécue. Elle ne parvient pas à trouver de lien dans son généalogique. Jeannot est à la fois la figure du médecin qui sauve et fait naître à la vie masquant celle du père. La scène est double et vient figurer l’absence paternelle et la situation oedipienne qui ne parvient à se résoudre en l’absence du père, du tiers.

La phrase dite par la peluche, non encore identifiée, est forte «  mon père est mort et je suis le roi  ». Le meurtre du père, celui qui l’a abandonnée, est remplacé par ce « père-chirurgien » que l’on malmène et à qui on s’autorise à faire vivre les ressentiments sous le masque de la transplantation.

Nous percevons dans cette vignette clinique la mobilisation du générationnel par la «  transmission par un don psychique  » qui dans ce cas vient faire tiers symbolique par l’intervention chirurgicale du médecin. Il prend place de tiers à qui la mère/la femme projette ses angoisses, et sa culpabilité.

A la fois la transplantation de Marie ouvre dans un second temps à un processus d’élaboration en post-T.H et mobilise une ré-élaboration du transmis par la " transmission par un don psychique ". Mme entreprend un travail thérapeutique autour de la transplantation mais aussi du deuil initial sur sa place de mère qui se veut omnipotente pour combler tout désir de son enfant. Marie par la transplantation se trouve directement au « cœur » du générationnel et du transmis dont elle est porteuse et héritière. Son corps devient parole de l’inconscient exprimant la souffrance psychique.