3-2-4 3ème rencontre avec Mme ou
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage »

Dans la chambre mère/enfant en hospitalisation de jour.

Mme attend la fin des examens d'Alice. L'enfant est dans la salle de jeux avec l'animatrice.

Mme explique sa lassitude d'être là, sans rien faire, à «  perdre son temps  » . «  Je m'endors  » .

Elle évoque les moments de la transplantation où, là aussi :« J’attendais et tout le monde me demandait comment ça allait et ça n'allait pas. (…) Je ne supportais pas mes beaux-parents qui m'appelaient tous les jours pour prendre des nouvelles ainsi que ma mère. (…) J'ai craqué, et ma mère a compris que je ne voulais pas que quelqu'un m'appelle tous les jours. (…) C'était très difficile, donc elle m'a dit que je n'avais qu'à l'appeler quand j'avais besoin d'elle. (…) J'avais mes soucis, mes angoisses et vous comprenez, il fallait gérer leurs inquiétudes. (…) J'ai dit stop.  »

Je lui demande si elle n'a plus son père.

Mme : « Non, ma mère, elle est décédée il y a 6 mois, d'une tumeur au cerveau  » .

Le « non » correspond à la question initiale, son père est donc toujours vivant. Elle rajoute que sa mère vient de décéder et poursuit en évoquant les moments difficiles qu’elles viennent de passer depuis la maladie de sa mère jusqu’à sa mort.

Mme : «  elle nous a attendus pour mourir.  » .Moment d’émotion qu’elle s’autorise à laisser transparaître. Elle élabore un travail de deuil sur cette perte symbolique qui vient juste après la transplantation d’Alice. C’est la première fois qu’elle exprime des affects autres que : « tout va bien dans le meilleur des mondes » qu’elle affectait depuis nos rencontres ponctuelles.

Alice est venue pour son bilan de transplantation des x années. Mme exprime son inquiétude par rapport à l'examen médical. Le premier temps de l'entretien est orienté par Mme autour d'un discours normalisé sur la situation familiale. Puis dans un deuxième temps, Mme aborde la transplantation par donneur intrafamilial et son incompréhension du refus de certains parents d'être donneurs.

Mme : « C'est normal de donner pour son enfant, on doit donner, c'est notre rôle. Je ne comprends pas les parents qui ne donnent pas. C'est inadmissible pour des parents  » .

Je lui renvoie l'angoisse de mort une des composantes primordiale de la transplantation inhérente à toute intervention chirurgicale. Ceci me donne l’opportunité d’orienter l’entretien sur son propre vécu de cette problématique.

Mme : « Je ne me suis pas posée de questions. C'était tellement normal de donner. Je n'ai même pas fait mon testament. (…) Je n'y ai même pas pensé. Ce n'est qu'après que j'ai pensé que j'aurais pu. (…) J'ai dit à mon mari que j'avais oublié de faire mon testament. (…) Mais ça ne m'est pas venu à l'idée. J'y suis allée, point.  »

Plus tard …

« Je ne pouvais supporter l'idée de devoir attendre la mort de quelqu'un pour faire vivre mon enfant. C'était plus dur que de donner. (…) Attendre un bip qui aurait pu ne pas sonner à temps, (…) être dépendant d'un bip, (…) attendre et venir nous dire non, que les personnes ne veulent plus donner, (…) c'était impossible. (…) Là, on a planifié. On a pu se préparer  » .

Elle développera cette hypothèse sur la notion de maîtrise des événements et du temps pour conclure par : «  je préférais donner  » .

Elle relatera les examens de sa fille comme étant les siens, la cicatrice similaire à celle de sa fille, ou encore, durant les examens ne mange et ne boit que si Alice en a l’autorisation.

Cette identification en miroir avec sa fille est organisatrice, tout au cours des deux rencontres, dans sa relation avec son enfant.

Nous pourrions terminer cette rencontre par un clin d’œil humoriste dans la lignée des apartés de Mme. Le proverbe « du lièvre et de la tortue  »de Jean de la Fontaine, comme métaphore de cette rencontre, exprime au mieux le déroulement de cet entretien. Patience pour la mère qui décrit son processus de psychisation, et patience, comme règle numéro un dans la transplantation, laisser le temps au temps car même l’urgence de la transplantation doit à un moment donné, laisser le temps ; à la tortue de trouver sa vitesse de croisière pour gagner la course qui semblait au demeurant gagnée d’avance par le lièvre. Mais la vie, pour les transplantés, n’est-elle pas représentée par cette tortue qui se hâte lentement mais sûrement ?