4- Conclusion

La transplantation, dans son mécanisme général, nécessite un travail psychique préalable, «  processus de psychisation   », c’est-à-dire d’intériorisation de la décision de l'acte chirurgical. Ceci ne signifie nullement que les parents et l’enfant prennent réellement conscience d’un suivi médical et médicamenteux obligatoire, astreignant en post-transplantation. «  Ce processus de psychisation  » favorisera la décision de transplantation et sera d’autant mieux intégré, assumé si le corps « imprime » la souffrance (ascite, ictère, perte de poids).

L’explication vient du foie, lui-même, organe silencieux, mystérieux et méconnu, par opposition à d’autres organes tel que le cœur où les battements sont audibles pour chacun et en chacun. Pourtant, le rein, organe silencieux, tout comme le foie, ne s’entoure pas de la même énigme. Ceci provient de la fonction physiologique concrète du rein mais aussi de l’existence d’un deuxième rein ce qui fantasmatiquement met à distance la mort. La nécessité de transplanter le foie réactive donc des représentations fantasmatiques différentes selon chaque individu. De ce fait, « la preuve » visuelle de l'existence d'une défaillance organique externe est attendue qui justifierait pour le futur transplanté, ainsi que pour sa famille, un tel acte, recevoir un nouveau foie et surtout perdre son foie.

Cette transformation du corps, donne vie au foie en même temps qu’apparaît une réalité de dysfonctionnement physiologique. Ceci permet alors une élaboration psychique de la nécessité vitale de pratiquer une transplantation, qui n’est plus le souhait de l’équipe médicale, mais devient décision du sujet ou de sa famille dans le cas d’enfants, quelle que soit la technique chirurgicale pratiquée (foie entier, bipartition, don intrafamilial).

Le «  processus de psychisation   » que nous venons de développer est à notre sens un maillon primordial dans la T.H d'un enfant. Ce processus se construit (cf. Jérôme) ou au contraire son absence d'élaboration (cf. Marie) est le signe d'un dysfonctionnement dans le générationnel. Ce travail psychique a pour fondement d'amener un enfant transplanté à la vie, celle d'un enfant vivant, et devant vivre avec un organe extérieur à lui-même dont le don s'origine dans de l'intra (cf. Alice) ou de l'extrafamilial (cf. Jérôme/ Marie).

De ce fait, l'enfant n'est pas le seul protagoniste de cette effraction corporelle et psychique, il est inscrit dans une histoire familiale avec ses blancs et ses pleins.

Les parents sont donc mobilisés dans cette souffrance. Ils vont devoir élaborer le sens pris par le dysfonctionnement organique de leur enfant lequel interpelle une défaillance symbolique liée aux enjeux parentaux de la venue au monde de l’enfant. La pathologie létale met en défaut provisoire la parentalité. Ils doivent traverser « la désidéalisation brutale de l'enfant merveilleux  » attendu, espéré sain pour le réinvestir et lui attribuer une place dans leur histoire individuelle, de couple et familial en lien avec leur généalogie.

Tout simplement comme l'exprimait S. Lebovici : « l'enfant commence à avoir une place quand il se sent exister dans sa famille » 1 35

Mais nous citerons aussi le passage suivant du même auteur quand il explique que «  la réalité est plus ce qu'on en fait que ce qu'elle est vraiment  » 1 36. La représentation de l'acte de T.H produit, que vont se « donner » les parents ou l'enfant transplanté, déterminera de l'advenir de l'enfant à l'âge adulte. « Le processus de psychisation   » ouvre un espace d'élaboration sur le transmis mobilisé par la transplantation, il ne s'agit pas d'une simple pathologie organique mais d'une ré-interpellation sur le fondement de la vie et de la mort dans la transmission induite par le don organique qui mobilise l'expression d'un don psychique.

M. Mauss explique toute la problématique d'un don par le fait qu'accepter quelque chose de quelqu'un ‘«’ ‘  c'est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme. La conservation de cette chose serait dangereuse, mortelle, et cela non pas simplement parce qu'elle serait illicite, mais aussi parce que cette chose qui vient de la personne… donne prise magique et religieuse sur vous ’» 1 37

Plaçons-nous dans un effet groupal de cette « transmission par un don psychique  » du côté des parents et de l'enfant. Ce don d'organe trouve une représentation psychique symbolique spécifique pour chacun des membres de la cellule nucléaire, puis ces représentations intrapsychiques vont donner une représentation interpsychique et intersubjective de l'entité familiale en tenant compte de l'individualité et de la place d'enfant transplanté, de receveur, de donneur ou de non donneur.

Dans ce descriptif, nous oublions un élément, ce nouveau don d’organe vient faire intrusion et vient modifier le réseau familial puisqu'il est extérieur au fonctionnement triangulaire initial.

La définition de M. Mauss (1923-1924) prend en compte cette part qu'il nomme « l'essence spirituelle  » de ce don, nous le caractérisons de psychique. Nous ne parlerons pas d'une simple « emprise magique ou religieuse  » de ce don psychique, mais d'une forme plus complexe se développant autour du générationnel.

Ce travail préliminaire du « processus de psychisation   » a pour fondement d'amener parents/enfant à accepter à la fois le don organique comme nécessaire pour s'organiser dans l'acceptation de ce don psychique transmis et prenant place dans du générationnel.

Cette « transmission par un don psychique  » inclut une part énigmatique dans le générationnel, part non restituée qui induit une forme d'une «  inquiétante étrangeté  » par la peur de perdre la maîtrise sur son enfant pour les parents (cf. cas d'Alice) ou sur son existence pour l'enfant en tant que sujet (cf. cas de Jérôme).

La transmission par un « don psychique » se déploie spécifiquement en fonction du don, nous allons nous intéresser dans un premier temps au don extrafamilial.

Notes
1.

35 Lebovici S. (1994), " En l'homme, l’enfant", p 2.

1.

36 Ibis p 6.

1.

37Mauss (1923-1924), “Essai sur le don”, p 161.