1- « Transmission par un don psychique » lors d’un don extrafamilial

1-1 Aspects généraux

L’annonce de la nécessité inéluctable de transplanter met les parents et l’enfant dans une situation incertaine, face au douloureux rapport vie\mort, en fonction des dons disponibles en temps voulus. Ce don extrafamilial pourrait sauver leur enfant mieux qu’eux-mêmes. Cet environnement nouveau, l’hôpital, est régi par une nouvelle loi : le champ de la maladie organique. L’hôpital est lui-même, par sa définition intrinsèque, assimilable à un espace de transitionalité, selon la définition de Kaës, ou un espace transitionnel, selon celle de Winnicott.

L’hôpital devient cet espace intermédiaire de rupture entre le temps de l’avant sans pathologie, le temps de la maladie et le temps de l’après hôpital. Ce lieu est porteur de source anxiogène maximale car sa représentation n’est pas figée à une seule élaboration. Plusieurs possibilités s’ouvrent : passage à l’état sain et passage dans l’au-delà. Il devient cet entre-deux (ancien – nouvel état), moment conflictualisé, lieu où peut être entendue, accueillie, reconnue cette dualité entre deux réalités qui s’achoppent et dont leur représentation est de l’ordre de l’intolérable. L’urgence médicale permet le colmatage psychique face à une situation intra/interpsychique conflictuelle.

L’intérêt de ce temps transitionnel de rupture vient de son opposition « au temps mort » dont se réfère A.Green. Cet intermédiaire n’est pas un arrêt provisoire, au contraire, il est un espace d’un intense travail psychique nécessaire mais dont le temps poursuit son chemin.

Kaës le définit comme :

‘« La zone intermédiaire d’expérience entre deux états caractérisés par l’aménagement d’une rupture, dans l’incertitude maximale quant à l’environnement et au devenir du sujet ».139’

Cette vision du phénomène correspond à la représentation du processus qui est activé et mobilisé dans une transplantation hépatique pédiatrique par don extrafamilial.

Les parents, père-mère, vont expérimenter différemment la transplantation de leur enfant, en fonction de multiples facteurs individuels et groupaux. Elle aura pour conséquence une modification de la structure psychique, mais aussi sociale, intervenant dans un processus de changement.

La transitionalité, selon R. Kaës, est caractérisée par une rupture qu’il définit par une perte des liens d’origine (d’extraction) qui passe par l’aménagement d’un deuil liminaire (R. Kaës, 1973) d’un idéal de soi et d’un espace d’illusion dans lequel coïncident l’attente de l’objet et la manifestation (l’actualisation) de l’objet. Ce processus de transitionalité décrit par R. Kaës, nous le retrouvons de même, en transplantation, renforcé par une mise en acte physique d’une représentation qui reste habituellement à un niveau purement psychique.

Pour les parents, ce type de T.H réinterroge la continuité du soi à travers leur enfant transplanté et dont l’organisation des identifications et des idéaux individuels et groupaux (couple – famille) amène une fragilité des liens d’appartenance à un groupe, qui est le plus souvent transitoire.

R. Kaës utilise le terme de transitionnalité140, nous trouvons dans ce contexte que ce concept répond au mieux à cette situation de rupture du générationnel induite par ce don psychique extérieur à la famille. Ce temps de transplantation est une situation intermédiaire dans le sens où il oblige un processus de passage d’un état ancien vers une nouvelle organisation défaillante ou non.

C’est ainsi que la transitionnalité favorise : « l’aménagement d’une expérience de rupture dans la continuité du soi ou de l’environnement dans leurs espaces et dans leurs temps respectifs. »141

Pour notre part, nous préférons définir, cette continuité dans le soi, de transitoire. Elle met en exergue la nécessité intrinsèque du sujet ou d’un groupe d’appartenance à « trouver - créer », dans un espace intermédiaire, une expérience de rupture et de potentialités à exister, malgré la situation conflictuelle interne.

Nous pourrons observer toute la réalité de ce constat lors de la présentation des études de cas. Souvenons-nous de la situation de la mère de Marie présentée précédemment. Dans ce chapitre, nous verrons aussi l’étude de cas du père de Linda. Ces types de parents se trouvent fragilisés par cette situation de rupture et ne parviennent pas à élaborer en fonction d’une transmission générationnelle, déjà précaire et insuffisamment structurée, pour permettre, face à cette situation douloureuse et faisant effraction, de reconstruire des représentations étayantes. Cette réparation par un « autre », le donneur anonyme, les renvoie à leurs propres défaillances. Ces parents en manque de symbolisation sur la T.H de leur enfant les met à mal rendant cet espace de rupture encore plus douloureux et ravivant des plaies psychiques non cicatrisées, par le passé et dans le passé, venant renforcer une instabilité, une précarité psychique et donc affective.

A l’inverse, c’est ainsi que les parents, tels que ceux de Jérôme (cf. chapitre IV) et d’Ophélie ont la potentialité interne de parvenir à une réorganisation et une adaptation constante aux situations mobilisées par la T.H. R. Kaës explique ce phénomène par le fait que toute expérience de rupture dans la continuité de l’existence devrait s’aménager dans :

« Un intervalle entre une perte assurée et une acquisition incertaine ».142

Les parents doivent pouvoir affronter cette douloureuse angoisse qui, dans cette situation traumatique, met en confrontation la vie et la mort d’un enfant, et au-delà, renvoie les parents à leur propre origine et finitude.

Tout d’abord, nous allons développer, à l'aide de la situation clinique de Fabrice, cette transmission psychique entre parents/enfant qui se vit dans une violence psychique et physique. Cette situation n’a en rien été modifiée au vu du matériel présenté et de sa dureté en éléments générationnels. Nous pourrions imaginer que le cas a été schématisé pour permettre une mise en exergue de l’hypothèse. Il n’en est rien. Les seuls éléments modifiés sont les noms, âges, nombres d’enfants dans les fratries…

Nous avons intitulé cette première vignette : « un combat pour la vie…. le visage de la mort ». Ce titre métaphorise, au mieux, à notre sens, la violence subie par ces parents lors de la transplantation. Violence de la transmission générationnelle qu'ils vont revivre par l'intermédiaire de l'acte de transplanter réactivant figurativement une violence primordiale de leur propre infantile.

Notes
1.

39Kaës R. (1983), “le groupe et le sujet du groupe”.

1.

40 Kaës se propose de reprendre la terminologie de Winnicott en modifiant le terme Transitionnel par Transitionalité. Cette nuance prend tout son sens dans la conceptualisation théorique. Transitionnel est un adjectif qui se doit d’être accolé pour exprimer alors une qualité ou un rapport. Ce terme se veut, toujours accompagné, selon Winnicott, du vocable aire ou espace transitionnel, montrant ainsi l’infini et la non-délimitation, sa représentation étant psychique. Transitionalité est un nom et se suffit à lui-même exprimant un fait. C’est une situation particulière, selon Kaës.Winnicott a axé son champ d’étude sur l’enfant, quant à Kaës, il étend le processus au domaine de l’adulte.

1.

41 Kaës R., (1985) Rapport sur “La transmission psychique intergénérationnelle et intragroupale” p23

1.

42 Ibis.