2-3-3 Rencontres en pré - péri - post transplantation

2-3-3-1 Brève rencontre clinique au moment du bilan de T.H

Avec Monsieur :

Je ne pourrai jamais rencontrer le père de Linda dans un cadre déterminé c’est-à-dire dans un temps et un espace de psychisation. Les rares fois où je parviendrai à le rencontrer ce sera toujours dans une hyper agitation soit physique ou psychique. Cette mise en ébullition constante barre l’accès à un temps de psychisation, d’élaboration, de symbolisation. Ce sera donc toujours entre « deux portes », dans un couloir, puisque Monsieur ne se montrera pas accessible à un travail clinique durant les trois temps de rencontres en pré-péri-post transplantation. Il fuit toute parole en se plaçant dans une position en deçà de ce questionnement.

J’avais déjà été présentée aux parents par l’équipe comme effectuant une recherche en transplantation. Passant dans le service, je croise Monsieur dans un couloir. Il est agité et veut rencontrer le transplanteur, sans avoir pris rendez-vous…

Il se lance pendant cette attente dans une rationalisation des faits en lien avec la transplantation de Linda qui se profile de manière assez rapide. Sans prendre conscience, Monsieur changera de registre en fonction de la place qu’il pense et imagine que je tiens au sein de ce service durant notre échange. Le discours s’adapte avec une aisance remarquable selon l’interlocuteur, plus exactement, selon le pouvoir qu’il octroie aux gens pour obtenir gain de cause. Il essaie de manipuler l’auditoire afin d’obtenir le but escompté.

Il décrit sa relation à sa fille en évoquant des liens qui apparaissent très fusionnels et symbiotiques où l’autre apparaît absent d’une représentation de sujet individualisé, extérieur à lui-même. Son enfant est évoqué en fonction d’une appartenance corporelle non distanciée. Contre transférentiellement, je ressentirai un malaise qui persistera durant tout échange et ceux qui suivront (malaises confus et difficiles à retranscrire par des mots).

Comprenant enfin ma position de chercheur, il me prend à partie sur les fonctionnements institutionnels essayant d’obtenir de ma part mon aval et des informations-analyses sur les équipes ou les protagonistes directs enclins à prendre la décision de transplantation. Restant très discrète, mais dans une position d’écoute, Monsieur perd complètement pied avec la réalité, en raison de son état anxiogène paroxysmique (Monsieur est entrain de pratiquer les examens pour se porter donneur vivant). C’est alors qu’il m’explique avoir observé le fonctionnement institutionnel et avoir compris que, « pour obtenir, une certaine diplomatie était nécessaire, car il faut essayer de manipuler l’auditeur. Vous voyez bien ce que je veux dire en tant que psychologue. »

Je lui demande le sens qu’il attribue à cette remarque. Monsieur développe sa théorie sur ses compétences de père sachant écouter et percevoir les besoins de son enfant à l’inverse des équipes infirmières qui sont dans l’ignorance. Il ne se positionne pas en père désireux du bien être de son enfant, mais dans une maîtrise de toute chose mettant l’autre dans un statut d’objet dépourvu de capacité interne de symbolisation et de représentation.

L’échange prend une orientation axèe sur une apparence de règles et de lois dont il est le seul garant et le seul dépositaire de la transplantation pour Linda. La transplantation est un des éléments en jeu dans cette problématique.

Je lui propose de nous rencontrer à nouveau dans un contexte plus à propos en lui signifiant que le couloir n’était pas le lieu d’une certaine confidentialité et ne facilite pas l’échange verbal sur une situation difficile à appréhender en tant que père, et peut-être, comme futur donneur. Il consent, très et même trop rapidement à mon gré.

Avec Mme ou « le jeu de cache-cache » :

Par ailleurs, dans un second temps, je rencontre Mme dans la chambre mère/enfant. De son côté, Mme apparaît comme une personne effacée, fragilisée par la situation de sa fille et dans une impuissance à pouvoir agir. Son mari prend une place très importante, envahissante, et Mme se situe dans une place secondaire.

Elle justifie cette place ainsi : « je ne peux pas laisser ma carrière, je ne retrouverai pas mieux après. »

Je parviendrai à la rencontrer, seule, lors d’une brève absence de Monsieur pour un examen ; mais très rapidement, nous serons interrompues par le retour de son époux. Mme évoquera la nécessité urgente de sortir de la chambre pour faire quelque chose dehors. En l’absence de celui-ci, Mme profite de ce temps pour mettre en mots un interne en pleine introspection que nous allons retranscrire.

Mme tente de se persuader, ainsi qu’autrui, du bon droit de son mari dans l’action qu’il mène seul et dans laquelle il l’écarte. Elle se sent évincée dans son rôle de mère auprès de Linda mais pas dans celui qu’elle peut avoir auprès de ses aînés, transférant sur eux ce manque, cet arrachement double de son dernier enfant occasionné par la maladie et par son mari.

Mme : « De plus, pour mon mari, ce n’est pas la même chose, il n’a pas d’enfant »

Elle vit la situation comme étant la bataille de son époux. L’analyse qu’elle en donne est, selon elle, liée au fait qu’il n’a pas d’enfant. Mme donne l’impression de se résigner sur l’état de Linda et du comportement de son mari. Ne vivrait-elle pas la maladie de sa fille sous la forme d’une culpabilité liée à sa position de femme dans le couple ? Comment a-t-elle pu mettre au monde un enfant malade après trois grossesses sans difficulté ? Cet enfant, elle ne le désirait pas puisque s’étant, comme elle l’évoque, « complètement réalisée en tant que mère, j’envisageais plutôt d’être grand-mère à mon tour et si ce n’était pas pour mon mari, je n’aurais pas eu d’enfant. »

Mme met beaucoup de temps entre chaque réponse, réfléchissant aux mots qu’elle emploie, en pleine réflexion sur la situation vécue. Elle constate la nécessité de transplanter Linda sans remettre en cause « maintenant » la transplantation. Elle « se dégrade tellement vite et puis mes enfants n’étaient pas comme ça à son âge. »

Nous sentons tout le potentiel réflexif de Mme qui devra trouver un lieu d’expression en raison de ce besoin à symboliser.

En conclusion :

Il n’a jamais été évoqué par le couple, la possibilité pour Madame d’être un potentiel donneur, si la demande de son mari ne pouvait être retenue.

Ceci soulève toute la conflictualité pressentie au sein du couple mais aussi à un niveau plus individuel pour Monsieur. Comment dans la position occupée par Mme pourrait-elle s’autoriser à prendre une telle place sans détruire ou déstructurer le couple qu’elle forme avec son époux ?

Mme nie sa place, et de fait, délègue son rôle de mère étant dans l’incapacité psychique de s’autoriser à prendre cette place sans l’aval de son mari. Le cadre hospitalier ne favorise pas non plus cette possibilité puisqu’il vient renforcer le tiers dans la relation maternante. L’équipe n’a pas étayé Mme dans l’inscription en tant que mère étant elle-même prise dans la problématique de Monsieur.