2-3-3-2 2ème rencontre avec Monsieur

Ce jour là, Mme n’est pas présente puisqu’elle travaille et Monsieur a décidé de rester auprès de sa fille constamment. Il vient de subir les examens de bilan pour être donneur potentiel. Linda est maintenue en hospitalisation en raison de son état de santé précaire jusqu’à la transplantation que les médecins espèrent rapide.

Monsieur m’explique qu’il s’est porté donneur vivant pour sa fille. Les motifs restent confus quant aux raisons, par l’absence dans son discours de représentation d’un sujet distancié de lui.

Monsieur : « J’ai beaucoup pensé à ce bout de foie que je donnerai. C’est une partie de moi. Comment je réagirai après, dans mon attitude vis à vis de ma fille, je me pose la question ? »

Ce questionnement semble au demeurant adapté et présage un « processus de psychisation » sur lui-même et sur les conséquences pour son enfant. Il ne faut pas oublier ma position de chercheur en transplantation hépatique.

Monsieur s’arrête de parler sur le thème de T.H et reprend un tout autre sujet en évoquant sa capacité à laisser seule Linda dans le service.

Monsieur : « je l’ai laissée 12h dans le service.!!!»

Je lui demande si un motif particulier l’a poussé dans cette démarche. Il m’explique qu’il pense que c’est important pour sa fille et pour lui de se séparer de temps en temps.

La réalité des faits est tout autre, suite à un incident particulièrement violent, verbalement entre Monsieur et l’équipe infirmières, le chef de service a dû intervenir pour demander à Monsieur de prendre un peu de distance et de revenir seulement le lendemain. Cette rencontre clinique se situe le jour suivant cet événement, particulièrement traumatisant pour l’équipe.

Monsieur était rentré dans un comportement tellement fusionnel avec sa fille que les soins prodigués étaient rendus impossibles. L’enfant avait présenté des signes de malaises, irritabilité, hyper agitation en présence de son père et à l’approche des infirmières ; aucun soin ne pouvait être prodigué en raison de l’énervement de l’enfant.

Cet excès de vampirisation constante de Monsieur (la prenant dans ses bras, la touchant, l’obligeant à des soins corporels réguliers…) avait eu pour conséquence chez Linda un rejet de l’adulte, quel que soit ce dernier, dans le toucher corporel. Cependant, les complications organiques nécessitaient des soins médicaux appropriés. Monsieur était parti non sans difficulté mais ne pouvant faire autrement en raison de l’insistance du médecin. Monsieur n’a pas la possibilité psychique actuellement de se remettre en cause sur l’incident de la veille et ne semble pas avoir compris et entendu la plainte du service qui trouvait sa présence dangereuse pour lui et pour sa fille dans cet attachement fusionnel.

Cet incident restera sous silence durant notre échange. Il poursuit sur la thématique déjà abordée lors de notre première rencontre : la nécessité de savoir repérer ses interlocuteurs en fonction de leur rôle pour obtenir ses desiderata.

Monsieur poursuit ainsi par : « j’ai repéré à qui, il fallait s’adresser pour obtenir ».

Je l’interpelle sur ce questionnement, cause de son problème sur la détention de la loi et des règles. Il s’exprime sur son habitude de prendre des décisions et de faire en sorte d’obtenir ce qu’il souhaite et changera aussitôt de sujet.

Monsieur revient aussitôt sur ses inquiétudes quant à sa compatibilité à être donneur pour sa fille. Il m’est impossible d’aller plus avant dans chacun des thèmes abordés. Monsieur n’est pas dans une démarche de psychisation, étant trop sur la défensive, et dans un processus de contrôle et de maîtrise constants.

Monsieur : « Mais encore faut-il savoir si je suis compatible ? » […] Quand je donnerai un bout de foie, ce sera bien. On sera très proche, ma fille aura une partie de moi en elle et moi j’aurai une partie d’elle en moi. »

Je reprends : « Elle aura une partie de votre foie et vous aurez une partie en moins. »

Il n’entend « pas » la subtile différence et poursuit sa réflexion à haute voix sur son « bout de foie » qui sera dans sa fille.

Cette partie de foie commune, imaginée être échangée – partagée met en exergue la conflictualité intrapsychique de Monsieur et la fragilité générationnelle qui transparaît. Nous ne pouvons pas aller très loin dans l’interprétation en raison du matériel clinique restreint sur le générationnel. Cependant, nous percevons toute la complexité psychique soulevée par la transplantation, au niveau de Monsieur et de Mme, individuellement et groupalement, dans leur couple et dans leurs liens familiaux.

Monsieur aborde sa relation avec sa fille. Il exprime l’importance pour lui d’être auprès de celle-ci mais ne parvient pas à traduire les raisons de ce besoin. Il décrit une relation très fusionnelle dans les gestes et dans la parole en une dyade symbiotique où le tiers, en l’occurrence la mère, n’a pas pris encore sa place ou une place dans le discours de Monsieur.

Il décrit des faits qui nous apparaissent préoccupants dans la formulation sur la description de sa relation présente et future qu’il établit ou établira avec sa fille où la séparation père/fille ne parvient pas à se construire s’enkystant dans une relation générationnelle confusionnelle et pathogène de type traumatique.

Monsieur m’expose qu’il connaît tellement sa fille qu’il peut anticiper les symptômes qu’elle peut avoir et que les infirmières ne comprennent rien. Nous citons un des exemples donnés :

Monsieur : « je sais quand ma fille fait une hypoglycémie »

Actuellement, il a interrompu son travail. Il dirigeait une entreprise avec un associé. Monsieur : « C’est un échec : il est survenu plus rapidement que je ne pensais à cause de mon associé qui n’était pas compétent. »

Ne veut-il pas poursuivre cette symbiose père/fille à laquelle il semble vouloir accéder ? Il reproche à son associé son manque d’investissement et ses absences répétées, reproches qui transférentiellement apparaissent inversés. N’est-ce-pas les propres reproches faits par son associé en raison de ses absences répétées à son bureau par choix d’être omniprésent auprès de sa fille ?