3- Conclusion générale

Nous venons d’établir que pour les parents la T.H d’un enfant par don extrafamilial, réactive ou révèle selon chacun, une faille, une rupture dans le transmis générationnel. Les parents ne vont pas pouvoir faire l’économie psychique d’une (ré)élaboration du processus de « transmission par un don psychique » sous la forme d’un dépassement ou d’un enkystement de la situation traumatique en raison de la capacité interne et externe du système parental à subir une agression aussi violente dans l’atteinte narcissique.

Le dépassement (cf. cas des parents d’Ophélie) ou l’enkystement (cf. le cas des parents de Linda) dépend du vécu même de la culpabilité d’une défaillance dans la transmission. Il sera d’autant plus prégnant que l’enfant sera transplanté par un don extrafamilial déterminant alors le mode d’acquittement de la dette pour les parents.

Nous voudrions nous attarder quelques instants sur le sens de la dette et comprendre son inscription dans « la transmission par un don psychique ».

A. Boyer, philosophe de formation, décrit dans son dernier ouvrage, « Guide philosophique », dont le sous-titre n’en est que plus évocateur « La loi de l’échange », l’aspect fondamental de la dette. Il définit deux types de dettes, celle symbolique et celle imaginaire.

Nous pensons nous aussi que la dette n’a pas la même résonance dans le processus de « transmission par un don psychique » pour les parents lorsqu’ils ont recours à un don extra ou intrafamilial.

Par ce concept, nous insistons sur l’hypothèse qu’une transplantation d’un enfant rejoue au niveau parental une micro scène de leur propre infantile et modifie, comme nous l’avons décrit dans le chapitre précédent, l’illusion brutale de la perte de cet enfant merveilleux pour qui on envisageait, consciemment ou inconsciemment, de transmettre une certaine histoire familiale et surtout de renforcer l’homme et la femme devenus parents, comme eux-mêmes, inscrits et reconnus par leur ascendant.

Cette transplantation ne rend plus possible cet état de fait ; le transmis subit une modification fondamentale narcissique des parents en s’enrichissant ou inversement ne s’enrichissant pas de ce don psychique.

Tout au long de notre étude, nous avons utilisé le terme de dette symbolique et paradoxalement nous sommes entrain de démontrer que dans le processus de « transmission par un don psychique » l’acquittement de la dette n’était pas la même, en fonction du type de don et que son mode d’acquittement avait une répercussion sur le processus même.

Que voulons-nous démontrer ?

Si nous nous appuyons dans notre exposé sur la théorie d’Alain Boyer énoncée ci-dessus, ce dernier conçoit la dette comme ayant deux visages.

L’une est dite symbolique et correspond à :

« Il est convenu du prix à payer pour être quitte. Ce peut être le franc, très précisément « symbolique » (…). Ce peut être simplement un mot : « mère », peu importe, pourvu que telle soit la convention commune. Il faut payer le prix fixé par la loi. »151

L’autre est dite imaginaire et s’apparente selon l’auteur : « à partir du moment où elle n’est pas symbolique, où la loi préexistante n’est pas posée où il n’y a aucun prix convenu. Alors, je suis entièrement soumis au caprice du donateur. Je suis, à proprement parler à sa merci. »152

Nous entendons bien la différence significative et fondamentale qu’en donne l’auteur. Mais à un niveau purement conceptuel, en psychologie clinique il nous semble primordial de maintenir la terminologie de dette symbolique. Nous travaillons avec des représentations et non sur un échange monnayable physiquement. En transplantation, il est d’autant plus facile de faire l’amalgame entre organique et psychique.

Nous nous situons au niveau « d’une transmission par un don psychique » qui évidemment est d’autant plus prégnant qu’il trouve son origine dans notre champ d’étude à partir d’une transmission d’un don d’organe.

De ce fait, maintenir le concept de dette symbolique rassemble l’idée commune de l’existence de représentations intra et interpsychiques, pour les parents, lors d’une T.H de leur enfant. La différence se situe au niveau des représentations et induit une incidence sur le mode de « transmission par un don psychique ».

Dans le cas du don extrafamilial, l’acquittement de la dette provient du prix à payer que se donnent les parents face à ce don psychique octroyé par un ou des autres non représentables.

« Le paiement est un acte de reconnaissance qui fait LIEN, où la dimension du tiers est impliquée, entraînant la question de la dette. »111

C’est justement cette non-représentation de « l’autre » qui va être le lieu du dépassement ou de l’enkystement dans la situation traumatique.

En reprenant les situations cliniques évoquées ci-dessus, les parents d’Ophélie perçoivent le don psychique octroyé par un tiers comme un mode de transmission constant des individus vis à vis des autres. A l’opposé, le père de Linda vit ce don psychique comme intrusif, le liant à sa fille dans une relation fusionnelle. Il nie, efface la dette et la culpabilité,. Reconnaître leur existence serait ouvrir une faille dans ses mécanismes de défenses. Par la maladie de sa fille, il s’est « nourri » de la situation par sa présence constante à l’hôpital, par son bilan comme potentiel donneur ; ceci le place dans une position illusoire de réparation. Ce don psychique transmis est une forme d’aliénation à autrui.

Nous allons maintenant nous intéresser à la « transmission par un don psychique », lors d’un don intrafamilial puisque nous venons d’aborder que le mode d’acquittement de la dette ne s’organisait pas selon les mêmes principes ; qu’en est-il aussi de la culpabilité ?

Notes
1.

51 Boyer A. (2001), « La loi de l’échange », p 22.

1.

52 Ibis.

1.

11 Morhain Y. (1996), “L’argent et la psychanalyse”.