CHAPITRE VI
TRANSMISSION PAR UN DON PSYCHIQUE INTRAFAMILIAL OU
« Il était une foi(s) entre père – mère – enfant un foie »

Dessin n°9 Hélène
Dessin n°9 Hélène

Introduction

Nous venons de conclure dans le chapitre précédent que les mécanismes induits dans la « transmission par un don psychique » différaient en fonction du type de don pratiqué.

L’analyse des mécanismes parentaux dans le cadre d’une T.H extrafamilial nous a permis de décrire et d’interpréter les modalités générationnelles impliquées dans cette démarche. Qu’en est-il du processus de « transmission par un don psychique » lors d’une T.H pédiatrique dans les enjeux mobilisés auprès des parents ?

Pour ces derniers, vouloir et pouvoir donner une partie de soi à son enfant, malgré la connaissance d’une opération chirurgicale moins douloureuse pour eux (par don cadavérique), nous a interrogés.

J’aimerais revenir sur mes hypothèses antérieures à cette démarche concernant la T.H par don intrafamilial. Nous avancions que ce type de don était un objet symbolique de réaménagements familiaux. Nous avions observé que la décision par les parents de faire le choix d’une telle transplantation servait de porte symptôme pour révéler une pathologie ou une fragilité narcissique et identificatoire précaire.

Les parents rencontrés trouvaient par cette réparation interne au couple un mode thérapeutique où des conflits à dominante oedipienne tentaient de se résoudre selon deux modèles d’élaboration :

une impossibilité ou une possibilité de passer d’une triade narcissique à une triangulation en fonction de la structuration oedipienne initiale de chacun des parents.

Nous affinons cette hypothèse en mettant à distance la notion de triade et de triangulation qui, d’un point de vue conceptuel, met en retrait la notion de groupalité, c’est-à-dire des parents inscrits dans une chaîne diachronique et synchronique de liens de filiation et d’affiliation qui nous apparaissent fondamentaux pour prendre en compte le concept du générationnel.

D’autant plus que cette expérience de T.H pédiatrique rejoue à un niveau symbolique le processus de création parentale de (re)donner la vie à un enfant, que ce soit pour la mère, donneur vivant, mais aussi, dans ce cas tout particulier, pour le père qui peut s’autoriser à « donner la vie » organiquement et symboliquement, de manière « similaire » à la fonction maternelle. Nous serons donc amenés à aborder ce concept.

Mais avant toute chose la T.H par donneur intrafamilial constitue une forme de création, par ce don qui se crée, se régénère. Cette création est une réponse violente à l’angoisse de mort, vécue comme inacceptable. D’autant plus qu’elle touche l’enfant, leur enfant, leur Moi (individuel et s’inscrit dans un lien de groupalité) mais aussi interroge brutalement leur propre finitude.

D. Anzieu avait théorisé remarquablement le concept de la création et de la mort qui nous renvoie en miroir à notre sujet d’étude si nous lui appliquons une lecture orientée. Il écrivait ceci :

‘« Les métaphores de la mort, où de l’immortalité du génie créateur, relèvent de la même complaisance narcissique (…) La création, entend-on dire, serait une parade contre la disparition de soi-même à venir, parade aux deux sens de moyen de défense contre une angoisse et l’étalage ostentatoire d’un désir. On produirait des œuvres comme on fait des enfants, pour se prolonger à travers eux et elles, pour se survivre en quelque chose ou en quelqu’un. »153’

Les parents donneurs se situent dans cette figure, confrontés à la mort. La réparation par eux-mêmes est productrice de sens que nous pouvons identifier d’acte créateur. L’expression de D. Anzieu« se survivre en quelque chose ou quelqu’un » est une des composantes fondamentales de l’acte de donner à un niveau intrapsychique. Cette trace symbolique de ce don psychique vient comme une inscription renforcer le lien unissant l’enfant à ses parents.

D. Anzieu poursuivait ainsi :

‘« Le désir d’éternité, pour le désigner par un nom, est un des composants de l’idéal narcissique (…) Certes l’auteur fait exister –ek sister – au dehors un morceau de lui qui acquiert une vie indépendante plus ou moins durable, qui circule parmi un public plus ou moins entendu et renouvelable (…) donner la vie à une œuvre rassure, pendant le temps éphémère de l’inspiration, sur sa propre toute-puissance, sur sa fécondité, sur son éternité : acte de foi narcissique, immense et mouvant comme la mer toujours recommencée entre les pins, entre les tombes. »154’

A la relecture des cas de patients transplantés par don intrafamilial exposés dans les chapitres précédents et ceux présentés dans les pages suivantes (cf. les parents d’Hélène ou de Maeva), nous retrouvons ce processus de « désir d’éternité » décrit dans un autre cadre par D. Anzieu. Les parents font acte de don et ne peuvent envisager les événements qui suivent pour leur enfant : complications, reprises au bloc… Ils imaginent leur foie comme le meilleur, selon leurs dires, et préfèrent envisager cette réparation comme magique et éternelle.

Cette création d’un don met les parents en effervescence (cf. mère d’Hélène) et participe à la mise à distance de la problématique familiale, mais une fois « l'œuvre  accomplie » (D. Anzieu), cet « acte de foie narcissique » réactive les blessures générationnelles initiales qui sont alors décuplées en raison du surinvestissement dans le don psychique produit.

Mais cette « œuvre accomplie » par les parents donneurs n’est qu’illusoire. La réalité de T.H reprend ses droits de toute puissance. L’enfant demeure transplanté et devant se soigner à vie. Ce « morceau de lui » comme pourrait le dénommer D. Anzieu effectivement pourra acquérir « une vie indépendante plus ou moins durable ». C’est cet état de fait qui est à l’origine d’une « transmission par un don psychique » d’une existence pour l’enfant transplanté« plus ou moins » structurée. C’est à ce nœud charnière que les parents eux-mêmes parviendront à supporter d’un point de vue narcissique la transplantation de leur enfant et à prendre la décision de réaliser cet acte contre la mort, mort symbolique d’une partie d’eux-mêmes dont l’origine reste bien souvent inconsciente.

Ceci nous amène à aborder la notion de « métaphore prométhéenne », instrument initial mobilisant le désir parental d’accomplir cette réparation intrafamiliale. Le terme « métaphore » est un des procédés rhétoriques qui consiste à « transporter » la signification propre du mot à une autre signification selon une analogie et une comparaison sous-entendue.

Si nous revenons à la conceptualisation de D. Anzieu nous servant de fil rouge pour exprimer le concept théorique, il concevait la référence au mythe comme une preuve clinique. Pour notre part, nous avons étayé notre hypothèse sur le mythe Prométhéen. Nous avons utilisé à plusieurs reprises dans cet écrit le concept de « métaphore Prométhéenne », il tient compte des deux éléments théoriques de D. Anzieu qui correspondent à notre vision de la clinique des parents d’enfants T.H.

A la fois, nous intégrons la notion de « métaphore de la mort » ( D. Anzieu), création narcissique défensive contre une angoisse et un désir, et d'autre part « le mythe comme preuve clinique » (D. Anzieu). Ainsi le vécu de Prométhée illustre le paradigme mis en jeu dans une T.H et plus précisément dans la situation d’une T.H par don intrafamilial« le foie qui se régénérerait sans fin » et dont l’origine de la faute trouverait son point d’ancrage dans l’histoire familiale. Il serait le dépositaire d’une culpabilité antérieure et dont il devrait en acquitter la dette. Malheureusement pour Prométhée, le paiement s’accomplit par un don sacrificiel autopunitif.

Ce postulat nous a conduit à établir la sous-hypothèse suivante :

Le recours à une transplantation hépatique par don intrafamilial serait, pour les parents, une tentative de réparation dans « une métaphore prométhéenne» du transmis défaillant en (ré)élaborant « une transmission par un don psychique » autour de réminiscences d’une culpabilité générationnelle qui s’acquitterait par le paiement symbolique d’une dette au moyen d’un don sacrificiel autopunitif.

Nous prendrons appui sur une étude de cas fondatrice et nous poursuivrons par une vignette clinique pour amorcer un travail théorique de distinction entre mère ou père donneur au sein du couple parental.

Mais avant de nous plonger dans la clinique, nous allons reprendre les concepts théoriques énoncés dans la sous-hypothèse pour effectuer une lecture de l’étude de cas d’Hélène qui retrace le parcours d’un couple plus précisément d’une mère donneur pour sa fille en pré-péri-post-T.H

Notes
1.

53 Anzieu D. (1996), “Les métaphores de l’immortalité”, p 35-36.

1.

54 Ibis.