1-2-2 Rencontre semi-directive en pré-transplantation avec Mme et Hélène, ou, « mère et fille un combat pour la vie »

Mme et Hélène sont hospitalisées ensemble pour leur bilan respectif en vue d’une transplantation par don intrafamilial. La rencontre semi-directive se déroule en présence de Mme et d’Hélène dans la chambre   « mère-enfant », constituée de deux lits, l'un pour un des parents et l’autre adaptée à l’âge de l’enfant. Vu l’âge d’Hélène, il s’agit d’un lit berceau comprenant des barreaux à hauteur d’homme. Mme est au chevet de son enfant endormie, en train de l’observer, penchée sur le berceau, une main caressant ses cheveux. A mon entrée, elle se relève et un regard scrutateur et interrogateur m’accueille. Je garde toujours en mémoire, malgré les années, ce regard profond, sondant, jaugeant, me renvoyant contre transférentiellement l’impression de subir l’intrusion d’un tiers dans cet espace de relation mère-fille sans que Mme puisse s’y opposer réellement. A l'annonce de ma fonction de psychologue-chercheur, Mme a un mouvement corporel imperceptible de surprise et de recul.

Ceci induit en elle une position défensive qu’elle traduit par un regard scrutateur, inquiet, avec une attitude, à l’opposé, en faux self d’hyper adaptation aux règles sociales inappropriées pour le cadre.

Elle se dirige à ma rencontre en me tendant poliment la main et me barrant, de fait, l’accès à son enfant par sa proposition : « Voulez-vous, vous asseoir ? ». Elle m'indique une chaise qu’elle approche auprès de son lit (tournant le dos à celui d’Hélène), elle-même prenant place à la tête du lit, en s’appuyant dos au mur, le plus éloigné possible de moi, dans une position d’appui, d’étayage sécurisant dans une attitude défensive.

A peine assise, un déferlement logorrhéique de Mme s’ensuit. Elle raconte les événements en liens avec ses préoccupations médicales ne me permettant pas d’intervention verbale et restant centrée sur un discours généralisateur du processus médical de transplantation dans une auto protection. L'envahissement idéationnel de Mme est axé sur une parole orientée autour d’une thématique corporelle. Ceci a pour effet 162 une fuite d’un potentiel espace psychique de symbolisation. Mme s’est « sur adaptée » au discours médical par une rationalisation d’événements, de justifications faisant appel à un registre médical (la maladie d’Hélène, s’est déclarée… elle est née…) confirmant ses résistances à élaborer du psychique.

Cette défense massive envers l’intrusion du psychologue, dans l’intimité de cette relation duelle mère/fille en souffrance, en raison de la maladie et de la situation particulière du bilan de transplantation, ne peut que s’amorcer dans une distance physique pour construire un espace psychique extérieur à toute fusion/confusion de corps à corps.

Cette décentration de l’espace physique donne à Mme la possibilité de psychiser une pensée163. Progressivement, elle passera du registre à « raconter », à « se raconter », sur « son histoire » de transplantation, l’état de sa fille, l’incompréhension du milieu médical, sa solitude face à la décision de transplantation et face aux choix… qui sont, selon ses termes, « difficiles », sans énoncer de quels choix en particulier.

Nous tenons au terme « raconter » qui, dans le cadre de cette rencontre favorise pour Madame une mise à distance par la narration d’un fait passé où le sujet n’est pas acteur, avant de pouvoir accéder au « Se raconter » qui introduit la notion de sujet impliquant et engageant madame dans une parole adressée à un autre, extérieur à soi.

Elle se risque au regard et au jugement de l’autre en s’autorisant à verbaliser le non sens qu’elle vit par l’annonce d’un possible acte de transplanter sa fille. Nous pouvons nous interroger si ce non sens ne réactive pas un traumatisme antérieur, par la démarche de transplantation, en faisant ré-émerger un traumatisme primaire où déjà elle se serait vécue comme victime des événements ? Nous essaierons au cours des rencontres ultérieures, de repérer la transmission traumatique initiale réactivée par la situation même de transplantation.

Mme, par une parole logorrhéique ne laisse pas de place à la parole d’un potentiel interlocuteur car la décharge émotionnelle de ses affects demande à être contenue dans un premier temps. A ce moment de la rencontre, elle ne peut qu’expulser, à l’extérieur d’elle-même, cet envahissement idéationnel sur la transplantation, afin d’empêcher toute interprétation clinique par cet autre, le psychologue, qu’elle ne peut qu’affronter dans l'écoute, mais pas encore dans la parole. Parole qui « l’a meurtrie » comme elle l'évoque lors de l’annonce de la maladie de sa fille, puis d’une nécessité de transplantation, comme le relate l’expression populaire « la parole qui tue », toute parole dite ne pouvant s’effacer. Discours qu’elle ne saurait entendre, tant la souffrance et l’angoisse sont présentes dans ses évocations, en se défendant contre tout effondrement.

Puis, progressivement, elle se « laisse aller », ses mécanismes de défenses contre l’effondrement psychique laissent place à un déferlement verbal orienté selon une thématique basée sur ses reproches, ses souffrances contre ces médecins, ces chirurgiens qui « ont voulu tuer sa fille » et qui ne l’avaient pas prévenue de la gravité de l’état de la maladie.

Ce déplacement de sa propre culpabilité sur l’équipe soignante lui permet de retrouver une place de mère. La honte et la faute ne sont plus portées par elle seule. Cette transposition symbolique d’une culpabilité sur l’équipe médicale qui aurait, selon ses termes « voulu tuer son enfant », nous interpelle en résonance avec les données du dossier où il était noté qu’elle était « tombée à 6 mois de grossesse ».

Ce mécanisme de défense par déplacement opère une transformation à partir d’une représentation inacceptable pour elle vers une autre représentation psychique acceptable, moins douloureuse, témoignant d’un conflit interne du sujet.

Madame s’exprimant ainsi :

«  On pouvait encore attendre car Hélène allait très bien ; mais j’arrive ici et on me dit que les analyses affirment le contraire. Qui croire ? »

Après avoir effectué un déplacement de la culpabilité sur l’équipe médicale, Mme, dans son évocation de sa réalité de transplantation, procède d'une culpabilité par un retournement des faits comme défense contre l’angoisse de mort. Dans un premier temps, c’est l’équipe médicale qui « a voulu tuer sa fille » en ne la transplantant pas. Dans un second temps, c’est la décision de transplantation qui est remise en cause en invoquant la non nécessité de cet acte. Ceci, afin de nier l'angoisse de mort, si l’intervention chirurgicale échouait par mauvais pronostic et décision des médecins. Ce ne serait plus elle, la coupable de cette erreur, mais elle, deviendrait victime du système.

L’angoisse de cette mère s’articule dans l’expérience originaire de la relation mère-enfant. Elle n’a pas encore expérimenté l’épreuve de la séparation et du sevrage. De plus, le processus d’attachement (selon la théorie de Bowlby) est interrompu brutalement par la maladie de l’enfant. La maladie anticipe la séparation mère – enfant entravant le processus d’attachement et de détachement propre à la relation primaire, d’où les difficultés de cette mère à gérer cette « désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux ».

Madame est mise en difficulté. Elle doit mentaliser la double expérience fondamentale de la séparation nécessaire à l’autre, sa fille, et penser la mort. Ces deux processus ne peuvent s’élaborer dans l’urgence (choix de donner une partie de son foie sans effondrement psychique).

La décision de transplantation amène le sujet face à un paradoxe où deux idées entrent en conflit : l’une admet une pseudo réalité de transplantation et l’autre la rejette se rattachant à des éléments du réel, par la preuve qui annihilerait la pensée première.

« Qui croire ? » renvoie, là aussi, au double discours interne par lequel Mme est tiraillée.

Pour cette mère, il est difficile d’entendre la réalité de transplantation. Elle se sent dépossédée de sa fonction de mère exprimant en ses termes sa pensée : « d’autres disent savoir mieux que moi, sa propre mère, que mon enfant va mal ». Le terme mort n’est pas énoncé.

Cette mère laisse apparaître dans son discours une fantasmatique portant sur la rêverie d’un enfant parfait, en bonne santé et m’interpelle ainsi :

« Elle (Hélène) va bien (…) On ne peut pas croire qu’elle va si mal ? (…) Elle mange tellement bien (...) Elle n’a jamais sauté un biberon ».

Nous pouvons faire un parallèle entre le fantasme et la réalité. Pour souvenir, les données du dossier nous rappelaient que l’enfant a été nourrie les nuits, en entérale, du 2ème au 7ème mois après une dénutrition sévère.

Madame poursuit ainsi : « vous ne trouvez pas qu’elle va bien ?… qu’elle est belle ? ».

Le questionnement de Mme m’a permis de lui repositionner le cadre ainsi que mon rôle de psychologue travaillant auprès de la réalité psychique et de la réinterroger en tant que mère sur son lien à sa fille, non pas d'un point de vue organique, mais par rapport à l'enfant comme sujet du désir de la mère. Mais aussi, dans son propre lien à l’unité familiale (fratrie – père).

Elle me fait signe par un hochement de tête en direction de sa fille m’autorisant à la regarder (son lit est face à Mme, je suis en position de tiers sur une représentation fictive d’une diagonale). Je me retourne et entr'aperçoit Hélène toujours en train de dormir dans son lit.

L’enfant est allongée dans son lit et dort d’un sommeil paisible. L’apparence physique d’Hélène laisse transparaître sa maladie organique par la couleur jaunâtre sur l’ensemble de sa peau.

Le mot que personne n’emploie : « elle est en train de mourir » reste à l’état de non-dit (…). Elle me laisse observer à partir de ma chaise sa fille endormie (…). Mme reste plongée dans ses pensées.

Lorsque je me retourne vers Mme,  elle me rétorque : « on a du mal à penser qu’elle va si mal (…), qu’il va lui falloir une transplantation hépatique et, surtout, que les médecins m’annoncent que son état s’est dégradé (… )»

Des silences hachurent l’échange (...) ……

La mère regarde sa fille les larmes aux yeux dans une profonde souffrance (…). Un moment de silence, plus conséquent que les précédents, s’impose de lui-même.

Madame reprend sa pensée oralement : « non, elle vit comme n’importe quelle enfant. Elle nous suit partout (en évoquant des souvenirs de vacances, des repas chez des amis….). Même son père a du mal à comprendre qu’il faut la transplanter en urgence. Pour nous, elle grandit normalement, grossit et mange. Elle a une vie tout à fait normale ». Un changement de registre est à noter. Mme amorce une tentative d’élaboration psychique par le « processus de psychisation ». Elle n’est plus dans une dénégation totale de la transplantation mais dans l’urgence à transplanter.

Psy: « Que voulez-vous expliquer par : « même son père » ? »

Mme : « Il travaille beaucoup, alors, c’est moi qui me suis toujours occupée de tout (…). Il n’a pas le temps avec son emploi. Il a toujours beaucoup de travail. Quand je lui dis que les médecins disent qu’il faut la transplanter, il ne comprend pas non plus. Elle va si bien ! (Soupir) (…). ».

Mme n’a pu relever le lapsus, « même son père », qui pose question sur la place de cet homme en tant que mari et père. Elle rationalise la situation par une réponse adaptée. Ce mari / père ne parvient pas à émerger dans le discours de Mme autrement qu’en tant qu’instance présente sans droit à la parole, figurant d’une pièce de théâtre dont Monsieur ne connaîtrait pas le script des acteurs principaux. Cette mère reste, quant à elle, très défensive sur cette relation. Elle ne laissera rien transparaître des potentiels conflits refoulant toutes représentations qui risqueraient de révéler les discordes du couple qu’elle n’est pas à même de gérer, préférant masquer cette problématique douloureuse pour se préserver d’un effondrement psychique potentiel qui annihilerait ses possibilités d’être mère – donneur.

(…) Durant l’entretien, Mme aborde l’état physique d’Hélène décrit par le milieu médical.

Mme : « Les examens montrent que rien ne va. (…). Oui, elle est jaune, mais ça ne se voit pas trop ? Mais nous sommes d’accord pour la transplantation. Le chirurgien nous a déjà expliqué qu’il préférait le faire maintenant, avant que son état s’aggrave. Tant qu’elle est bien, c’est une opération plus facile. »

Cette phrase contient deux sens. Mme sous-entend, selon un processus défensif fonctionnant par déplacement de son angoisse à la fois de séparation et de mort, que les risques opératoires sont plus importants et les chances de survie réduites si l’état de son enfant est fortement dégradé pour supporter la transplantation. Elle opère cette transformation par négation de l'ampleur de la réalité, affirmant que l'enfant est jaune, mais pas trop. Nous pourrions résumer ainsi la pensée de Mme : l’enfant n’est pas en danger de mort. Il se porte bien, c’est pour une optimisation de l’intervention qu’il faut opérer.

(…)

Mme : « Je voudrais donner mon foie, je fais le bilan pour ça, si je suis compatible. Mais vous savez …, ça va marcher car je ne suis jamais malade (…). J’ai 38 ans (…) ce n’est pas vieux ? »

Psy : « Qu’entendez-vous par « ce n’est pas vieux » ? ».

Mme : « C’est la seule chose qui m’inquiète, être trop vieille. Autrement, je n’ai jamais été malade. Je ne fume pas. J’ai un bon cœur. »

A 38 ans, elle attendait son enfant sans autre préoccupation, lorsque son gynécologue lui renvoie : « à votre âge  il faut faire une amiosynthèse de contrôle pour vérifier si votre enfant n’a aucune anomalie ». « C’était le choc, jamais je n’ai pensé que j’étais trop vieille pour avoir un enfant ».

A ce moment là, …elle affirme avoir été persuadée que son enfant était malade. Jamais, pour les précédentes grossesses, elle n’y avait pensé. Pour cette grossesse, « je ne pensais qu'à ça (…); mais là, c’était sûr. Je sais, j'avais peur. Il y allait avoir un problème et je ne pensais qu’à ça. ».

Poursuivant : « j’ai transmis la maladie à ma fille. J’ai vécu tous ces mois différemment de mes autres grossesses où jamais je n’ai pensé que mes enfants pouvaient naître malades » (…). Silence (…).

Mme : « Je veux donner. »

Progressivement, elle abordera, au-delà d’une plainte physiologique « être trop vieille », une plainte psychique, la culpabilité, d’être responsable de la maladie d’Hélène. « Etre trop vieille » pour donner naissance à son enfant en « transmettant un don psychique », trace de sa maternité et de son statut de mère et de femme. Répétition, « Etre trop vieille » pour donner une partie de son foie à son enfant et ne pouvoir donner que la mort, sans l’énoncer. Ceci restera à l’état de non-dit comme si la parole pouvait engager un acte et devenir réalité.

Nous pouvons nous interroger sur la place de cette enfant dans le désir individuel et groupal (couple et famille). Elle voulait cette enfant malgré ses deux enfants précédents. « C’était important, on souhaitait tous les deux avoir un enfant ». Cette situation paradoxale interroge d’autant plus le sens du donner.

Cette culpabilité fantasmée a induit chez Mme un désir de donner une partie de son foie.

Psy : « Et votre mari ? »

Mme : « Je n’ai pas trop laissé le choix à mon mari. J’ai deux enfants. Ma fille, c’est la 3ème … Vous ne me jugez pas ? »

Psy : « Quel sens donnez-vous à cette interrogation ? ».

Mme : « La dernière fois, la psychologue m’a dit que je ne devais pas donner car j’avais des enfants, que c’était anormal, même criminel, de donner mon foie en ayant 2 enfants à charge, au risque de les laisser seuls, s’il m’arrivait quelque chose. Mais, je ne peux pas attendre sans rien faire. »

Nous redéfinissons donc, ensemble, le cadre des interventions, la place du psychologue, l’accompagnement des familles de transplantés dans leur souffrance psychique.

Psy : « Nous ne pouvons nullement juger d’une décision ou d’un choix. Chaque parent est différent. Il peut faire le choix d’une transplantation donneur vivant ou d’une transplantation par donneur anonyme. »

Nous avons expliqué à Madame que le psychiatre, monsieur P. effectue l’examen psychiatrique obligatoire et qu’il est le seul représentant de la loi sociale habilité à émettre un diagnostic de faisabilité ou non sur la transplantation à partir d’un donneur vivant.

Nous abordons alors les difficultés, non plus à un niveau médical, mais à un niveau psychique : les représentations qu’induisent un acte de transplantation à un niveau individuel et familial.

Mme réaffirme son souhait d’être mère - donneur« sans avoir laissé le choix » à son mari, selon ses dires.

« Vous comprenez, dira-t-elle, c’est important, pour moi, de donner. Mon enfant est malade. C’est à moi de donner. »

Psy : « Avez-vous envisagé la possibilité d’un donneur anonyme ? »

Mme : « Au début, quand je ne savais pas que ça existait ; mais après, c’était normal que je donne. Je n’ai jamais été malade… quelqu’un qui donne, on ne sait jamais, il peut avoir une maladie qu’on ne sait pas ou être trop vieux. (…) Moi, je sais que je suis saine.. (…) C’est inconcevable que quelqu’un d’autre donne. Ca doit être moi (…). Je suis sa mère. »

Une amorce du « processus de psychisation » est en train d’émerger dans le discours de Mme. Quand Mme évoque que le donneur peut être atteint par une pathologie organique ou être trop vieux, elle scotomise la réalité, le donneur est forcément décédé.

Psy : « Votre mari pourrait, lui aussi, être donneur potentiel ? »

Mme : « Oui, mais je… C’est à moi de donner. C’est important. »

Psy : « Important en quoi ? »

Mme : « Ben ! C’est important (…) C’est à moi. Je sais que je n’ai pas de problème de santé. Mon mari, psychologiquement, ne pourrait pas donner. Il a trop peur des médecins ».

Psy : « Avez-vous évoqué avec votre mari votre choix et cette éventualité ? Qu’en pense-t-il ? »

Mme : «Non, c'est venu comme ça. C'est moi qui fais toutes les démarches. Alors c'est moi qui ai pris la décision et qui ai fait le choix d’être donneur. Il sait que je n’en fais qu’à ma tête. On ne sait jamais avec mon mari ce qu’il pense. »

Psy : « Et vos autres enfants ? »

Mme : « C'est difficile pour eux. Je ne suis pas à la maison. Ce sont des amis qui gèrent les enfants. Melissa est chez une copine comme ça elle peut continuer une vie normale et Caïn est chez des amis. C'est difficile. Je ne sais pas. Actuellement, je n'arrive pas à être disponible pour tous. Alors, je pense à maintenant. Après, je verrai… » (…)

Mme se lève et se dirige posément vers Hélène présentant des signes de réveil et reprend sa position initiale avant l'entretien. Cependant, cette fois, elle introduit le tiers dans son espace tant physique que psychique, dans sa relation duelle mère/fille. Je m'approche du lit. L'enfant se réveille progressivement.

La fin de l'entretien s'organisera autour d’Hélène dans un silence où la parole a laissé la place à une relation avec un objet médiateur, une balle. Hélène apparaît comme une enfant souriante et paisible. Son réveil s'est déroulé sans pleurs, sans phase de repli ou de recherche de relation duelle fusionnelle avec sa mère. L'enfant, grâce aux gestes maternels, a trouvé une distance suffisamment sécurisante pour se risquer dans la relation à l'autre par ce médiateur, une balle de mousse qu'elle me tend et que je prends ; puis, à nouveau, me prend la balle en la faisant tomber sans agressivité mais en lien avec les phases de développement pour un enfant de son âge.

Ce temps empreint de sérénité a permis à Mme de retrouver un équilibre en se recentrant sur l'enfant. La mère étant là, présence tendre auprès de sa fille, et qui, par un geste affectueux, lui caresse les cheveux.

Je propose à Mme de nous rencontrer périodiquement durant la transplantation pour instaurer un espace d’écoute au-delà de toute problématique médicale. Elle accepte de continuer les rencontres cliniques et nous convenons de nous revoir lors du prochain bilan de pré-transplantation, 15 jours plus tard.

La multiplicité des données amenées dans cette première rencontre clinique nécessite une synthèse succincte d’un point de vue théorique afin de pouvoir au mieux aborder les rencontres ultérieures.

Synthèse théorique de la 1ère rencontre :

Lors de la rencontre clinique Mme présente un discours médical centré sur une réalité externe pour échapper à sa réalité interne. Ce mécanisme défensif évite la patiente de se confronter à sa souffrance psychique et au risque de mort (défense contre la crainte de l’effondrement).

Nous pourrions poser comme hypothèse de travail que Mme n’a pas encore élaborée et structurée la situation traumatique de l’annonce d’une maladie létale de son enfant, et au-delà, de la transplantation nécessaire. Elle se situe entre la phase de négation (« elle n’est pas jaune »« elle va très bien ») et la phase de recherche « d’un coupable » (« les médecins sont responsables »), amorçant le « processus de psychisation », et par la suite symbolisant sur le processus de « désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux ».

Cet enfant espéré et attendu, brutalement à l’annonce d’une amiosynthèse devient imaginairement un enfant malade sans raison apparente. Inconsciemment, ceci soulève sa culpabilité d’être « tombé durant la grossesse» selon ses dires (sans autre explication) et soulève la question du vieillissement.

Par cette naissance l’enfant devait combler une blessure narcissique. Le désir d’enfant prend vie dans l’histoire du couple « nous voulions tous les deux un enfant ». Mais l’échec d'une naissance non pathogène renvoie au but inconscient du couple dans la venue de cette enfant, de réparer une défaillance dans la transmission qui, en échouant, renvoie à la représentation à laquelle il fait référence. Dans son discours, l’investissement de l’enfant avant la naissance pose la question : qu’est-ce qui a pu justifier d’un désir d’enfant vers le fantasme d’un enfant pathogène durant la grossesse ? Cet enfant à naître venait-il combler chez elle une dépression déjà présente, réparer un conflit conjugal latent ?

En début de rencontre, cette mise à distance corporelle imposée au tiers par Mme dans la relation à sa fille, structurera l’échange mère-psychologue. L’enfant prendra existence dans la médiation verbale avant que Mme puisse accepter une relation ternaire effective entre le psychologue et l’enfant. Cette place du psychologue, médiatisant par la parole, et non par le corps, distingue le psychologue des soignants occupés à l’écoute du corps de sa fille. Ceci permet à Mme d’entendre que le psychologue s’occupe de la réalité psychique et de l’intersubjectivité de la relation mère-fille favorisant l’élaboration du « processus de psychisation ».

Madame, après avoir raconté, se raconter, chemine dans une amorce d'élaboration psychique sur le sens de la transplantation. Le cadre clinique permet la mise en travail du « processus de psychisation » dans la « transmission par un don psychique ».

Mme aborde, sur un plan physique, dans ce cadre de rencontre clinique au pied du lit, les douleurs organiques avant de pouvoir amorcer progressivement sur un plan psychique ses douleurs centrées autour d’une culpabilité inconsciente d’avoir insufflé la maladie à sa fille par sa pensée durant la grossesse.

Notes
1.

62 Ce trop plein de langage parental portant sur le réel est un fonctionnement général où les parents se centrent sur l’écoute du corps de leur enfant. Ce temps et ce passage d’élaboration sont nécessaires au sujet pour l’instauration d’une relation de confiance avec le psychologue pour accéder à une forme d’écoute psychique non centrée sur du corporel.

1.

63 La place du psychologue s’orientera, en début d’entretien, vers un cadre psychique contenant, par une neutralité bienveillante et le respect de cet espace sans intrusion symbolique non assumé par Mme dans sa relation corporelle mère/fille, puis progressivement, par le respect de sa demande implicite face à ses difficultés d’élaboration psychique hors registre médical et la fonction d’écoute contenante proposée par le cadre clinique, lui laissant le temps de « se raconter ».